Mon université, l'université de Montréal, est incapable, depuis plusieurs années, d'équilibrer son budget et fait face aujourd'hui à une dette cumulée de plus de 150 millions de $ canadiens. Il n'est pas besoin d'être un analyste financier chevronné pour comprendre que son avenir immédiat est sombre. Une consultation interne est lancée, intitulée curieusement «Baliser notre avenir», mais aucune solution à la hauteur du problème n'a jusqu'ici été présentée (ici). Au Québec et au Canada en général la situation des universités publiques est mauvaise ()

Une des principales universités publiques des États-Unis, l'université de Californie à Berkeley fait face à une des plus grave crise de son histoire (v article du NYT). Une pétition s'adressant aux universitaires étrangers a été lancée (ici). Berkeley est loin d'être la seule université américaine en crise financière ouverte même si c'est peut-être la plus prestigieuse.

En France, on le sait, l'université a été le théâtre l'année dernière d'un très sévère conflit à propos d'une réforme contestée de ses structures. Un peu partout en Europe des flambées d'agitations apparaissent traduisant un malaise général dans les universités ().

L'avenir des universités publiques dans les pays occidentaux parait bien incertain. Partout, les équilibres financiers fragiles craquent, mais le plus inquiétant de mon point de vue est l'absence de solution proposée en phase avec le devenir de la société et, pire, l'absence même de consensus dans les analyses et les diagnostics.

Comme mes collègues, j'ai été choqué par le discours présidentiel péremptoire sur les universités en France et le suis tout autant par le silence persistant des gouvernants canadiens et québécois sur le sujet. Mais je reste sceptique sur la critique facile, souvent entendue, d'une privatisation de l'université, d'une marchandisation ou d'une vente au grand capital. On accuse, par exemple, l'Union européenne de vouloir construire un marché de la connaissance (ici). Le processus de Bologne a eu pourtant l'immense mérite de tenter, sinon de réussir, d'harmoniser les processus et les diplômes à l'échelle du continent, chose qui va de soi en Amérique du nord. Inversement, on loue le discours inaugural plein de bons sentiments de la première présidente de l'université de Harvard (ici) dont pourtant la plus grande partie de l'emploi du temps est consacrée à la levée de fonds privés. La seule dialectique logique privée/logique publique permet peut-être des mobilisations de terrain, des effets de manche dans les AG, ou des billets ravageurs mais ne tient pas la route pour analyser la situation financière des universités, surtout quand on se lance dans une comparaison internationale.

Dans le même temps, je constate à ma petite échelle que nous avons des professeurs passionnés, compétents et dévoués, que nos étudiants travaillent, qu'ils n'ont sans doute jamais été aussi bien formés à leur profession future.. et même qu'à l'EBSI nous n'en avons jamais formé autant qu'aujourd'hui. Tout ne va donc pas si mal. Je constate aussi qu'une part de plus en plus grande de la création, la circulation et l'échange de savoirs passe par le web qui est un formidable accélérateur dans ce domaine. C'est une opportunité extraordinaire pour l'académique et, en même temps, s'il y a un risque de marchandisation ou d'encadrement du savoir, c'est beaucoup plus de ce côté que je m'inquièterais (ici).

Il y a donc un hiatus entre le micro, le travail du terrain, et le macro, la gestion et le système général des universités. Il est paradoxal que les institutions du savoir ne soient pas capables de le comprendre et de l'analyser, mais les cordonniers.. Aujourd'hui la science ne peut se concevoir qu'à une échelle internationale, c'est donc à cette échelle qu'il faut raisonner. La première étape, me semble-t-il, serait d'avoir une analyse lucide, globale et internationale, exempte des pesanteurs idéologiques, sur l'économie de l'université. Elle devrait être confiée à de grands noms respectés des académiques. Il leur faudra prendre du temps et du recul.

Sans juste diagnostic, il est impossible de se faire une tête et de poser des actions utiles. Celui-ci servira l'ensemble des pays, car la crise financière et gestionnaire de l'université est largement partagée et, même si la concurrence est sévère, la coopération est aussi la règle. Peut-on coopérer entre partenaires sinistrés ?

N'est-il pas aussi paradoxal que des gouvernants qui ne parlent que de société et d'économie du savoir ne soient pas capables de faire de cette question une priorité ?