Ce billet a été rédigé par Iris Buunk dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

Imaginons le scénario catastrophe. Nous sommes en 2030, et les bibliothèques ferment les unes après les autres. Les jeunes générations ont délaissé ces institutions qu'ils considèrent trop éloignées de leurs intérêts et de leurs besoins. Les derniers usagers qui restent encore fidèles à ces anciens temples du savoir, sont les personnes âgées de la 3e génération, beaucoup plus nombreuses aujourd'hui comme l'avaient prédit les statistiques des années 2000. Les gouvernements devant continuer à faire face aux conséquences économiques des crises financières antécédentes, décident de ne plus subventionner les bibliothèques, trop coûteuses, estimant que les animations culturelles peuvent très bien être prises en charge par les maisons pour personnes âgées. Quant aux jeunes, ils se retrouvent entre eux, à la maison, à l'école ou dehors, puisqu'ils savent facilement accéder à toute l'information dont ils ont besoin, sans aucune contrainte, et sans aucune aide.

Sans vouloir m'attribuer des talents de scénariste, je pense néanmoins que ce type de vision est plutôt digne d'un film hollywoodien qui n'a, à mon avis et heureusement, rien à voir avec ce que le futur nous réserve. Faut-il pour autant s'empêcher de se questionner sur l'évolution des publics qui fréquentent les bibliothèques ? Non évidemment. Au contraire, cette réflexion est nécessaire, et le sera toujours. Mais de qui parle-t-on au juste ? Et l'existence des bibliothèques est-elle réellement remise en cause ?

Cela fait plusieurs années que l'on entend parler des digital natives, aussi communément appelés "génération Y" (pour les distinguer de la "génération X"). Un sujet qui est particulièrement relaté tant dans la littérature académique (sciences de l'information ou de l'éducation), que dans les médias, mais également abondamment commenté dans la blogosphère, surtout suite à la publication du désormais célèbre "Born digital" de John Palfrey, professeur à l'Université de Havard, ou encore aux interventions de Marc Prensky.

Une génération donc qui concerne les jeunes nés dès les années '80 (du moins dans les pays technologiquement développés) avec un ordinateur à la maison, et qui ont acquis presque naturellement, une aisance avec les outils technologiques, qu'ils ont pour la plupart hérités des baby-boomers. Souvent impatients, ils ont la faculté de pouvoir effectuer plusieurs tâches en même temps (multi-tasking), sans que cela nuise à leur concentration. De plus en plus, ils reçoivent une éducation interactive basée sur la résolution collaborative de problèmes, et l'enseignement en ligne est un style d'apprentissage qu'ils privilégient. En résumé, on peut donc décrire les digital natives comme étant des individus presque toujours connectés, particulièrement sur des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, sms, Internet), s'adaptant facilement aux changements et à toute nouvelle technologie, aimant travailler, réfléchir et créer en équipe, et en appréciant la mobilité. Ils aiment l'interactivité et l'apprentissage, du moment que ce dernier n'est pas confiné à un lieu fixe.

En quoi est-ce que ces attributs viendraient-ils menacer, ou plutôt remettre en question les services et les espaces que les bibliothèques "classiques" peuvent offrir ? Les bibliothèques, du moins publiques, ne jouent-elles pas un rôle de lien social en offrant un espace d'apprentissage et de loisirs ? Le fait d'être autant connectés "en ligne" se ferait-il au détriment des contacts directs ? Selon Sylvie Octobre, la prééminence des technologies ne sonne pas (…) le glas de leur intérêt pour les autres pans de la culture. (…) Les jeunes générations figurent ainsi parmi les plus connaisseurs des musées, des bibliothèques et médiathèques, ainsi que des lieux de spectacle vivant. (Ainsi), la loi du cumul se vérifie malgré les mutations opérées par le numérique.

J'aime imaginer alors, que les services ne vont pas disparaître ou s'exclure mais se compléter et s'enrichir, intégrant ainsi autant des espaces qui mettent à disposition des outils technologiques, permettant des échanges vivants et collaboratifs, tout comme des endroits réservés à l'étude en silence. Une architecture adaptée en conséquence, et des bibliothécaires qui ajoutent à leur panoplie de compétences, des qualités de tuteurs, pour guider les digital natives à savoir se repérer dans le monde de l'information numérique, certes merveilleux mais parfois embrouillant , malgré leur aisance technologique. Peut-être qu'une nouvelle forme d'Information literacy est en cours, que l'on pourrait renommer comme le suggère Neil Selwyn digital media literacy.

Alors, est-ce que l'arrivée des digital natives ne serait justement pas une magnifique opportunité pour les bibliothèques de se renouveler, afin d'accueillir ce public en devenir ?

Je laisse les lecteurs sur cette question, en sollicitant leurs commentaires.