Problématiques et stratégies sur le document numérique
Par Jean-Michel Salaun le mercredi 07 avril 2010, 01:28 - Cours - Lien permanent
À l'occasion de la préparation de la 13ème et dernière séance à venir du cours 2010 sur l'économie du document (ici), j'ai actualisé et ajouté une colonne à un ancien tableau que tous ceux qui ont participé à l'aventure de Roger Pédauque connaissent.
Pour les non initiés à la réflexion pédauquienne, tout est expliqué dans ce livre. On peut en consulter en ligne l'intro et les trois textes collectifs (1, 2, 3). Malheureusement tout le travail du RTP-DOC n'est plus accessible.
Je rappelle que les lignes représentent les trois dimensions constitutives d'un document selon les réflexions pédauquiennes.
- La colonne Chercheurs liste quelques disciplines, sans souci d'exhaustivité ni d'exclusivité, qui, lorsqu'elles abordent la notion de document, privilégient plutôt l'une de ces trois dimensions.
- La colonne Objet/résultats indique l'objet particulier sur lequel portent les principaux efforts de recherche
- La colonne Étape/interrogation souligne l'avancement des travaux, mais aussi en italiques le principal dilemme.
- Enfin la dernière et nouvelle colonne montre que des stratégies industrielles peuvent aussi se lire à partir de cette grille.
Il est utile de décrypter ainsi à partir des sciences de l'information les stratégies des principales firmes. On se rend clairement compte qu'elles ont choisi des «avantages concurrentiels» différents.
On peut aussi y lire une gradation de haut en bas : Apple et Amazon ont les stratégies les plus traditionnelles, celles qui se rapprochent le plus des industries anciennes où le document n'était pas isolable de son support. Google a utilisé le Web comme un seul texte, sans gros souci de son ordre documentaire, il a ainsi rebrassé les cartes en trouvant avec la vente de mots clés aux annonceurs une source de revenu cohérente et indépendante des supports. Facebook va encore plus loin en inversant la problématique : ce n'est plus l'ordre documentaire ancien, ni même le contenu qui prime, mais bien les lecteurs qui forment l'ordre et sont documentés en conséquence et pour lesquels les documents traditionnels ne sont que des objets de trocs parmi d'autres. Reste que Facebook n'a pas encore trouvé un modèle d'affaires vraiment en phase avec son fonctionnement.
Mais il faut, à mon avis, se garder de conclure à un sens de l'histoire où le dernier arrivé serait le plus à même de l'emporter. La notion de document est trop importante pour une société pour qu'elle ne soit pas réordonnée. Si l'on suit Roger : celui qui devrait l'emporter est celui qui arrivera le mieux à mettre en cohérence les trois dimensions.
Commentaires
Salut Jean-Michel, merci pour cette lumineuse dernière colonne sur les stratégies industrielles, qui me donne plein d'idées pour un futur billet :-) PLein d'idées et une question :
Penses-tu qu'on pourrait décliner ainsi ta 3ème colonne :
FORME : Fichiers / corpuscules (Apple/amazon) = désintermédiation (documentaire)
TEXTE : Corpus (Google) = médiatisation comme/en tant que médiation
MEDIUM : graphe (Facebook) = (ré-)intermédiation (documentée)
J'essaierai de rendre ça plus explicite dans un prochain billet d'Affordance ...
Salut Olivier,
Content de stimuler ton esprit inventif, mais je crois que j'attendrai ton billet pour mieux comprendre. Réaction vite fait, peut-être complètement à côté de la plaque..
Je ne crois pas que la stratégie de Apple ou Amazon conduise à une désintermédiation. Sinon que les libraires sont courtcircuités et les bibliothèques perdent la maîtrise des collections, mais on connaissait déjà avec Elsevier.
Je crois en effet que Google se comporte de plus en plus comme un média dont il a trouvé le business model. C'est un élément central de ce que j'appelle le Webmédia à mi-chemin entre le modèle de l'édition et celui de la radio-tV (voir le cours http://cours.ebsi.umontreal.ca/sci6... ).
Pour Facebook, je ne sais. Mais pour ce que j'en vois en pratique, il semble en effet que tôt ou tard, un nouvel ordre documentaire s'y construira simplement par les jeux des interelations. Les centres de documentation et les bibliothèques se sont construits pour la plupart de cette façon par alliances, opportunités et agrégations. Pourquoi en serait-il autrement sur le numérique ?
non non, t'es bien sur la plaque :-)
Merci de ta réponse.
Bonjour Jean-Michel (et Olivier),
Voici comment je verrai cela du point de vue de la théorie de la documentarisation. Chaque dimension Pédauquienne (Forme, Texte, Médium – pour moi support, contenu, agentivité – ou relation), implique l’utilisation de certains outils de documentarisation, des métadonnées organisées dans des systèmes d’organisation des connaissances (SOC).
Il y a donc des SOC pour la dimension forme/support (p.e. langages de balise pour les styles), des SOC pour la gestion du contenu/texte (p.e. index des moteurs de recherche ou langages des web sémantique et socio-sémantique), des SOC pour la gestion de l’agentivité/médium (p.e. des attributs décrivant les membres d’un réseau social et leurs relation).
Je pense que chacun des grands acteurs cité à une politique spécifique selon chacune des trois dimensions Pédauquienne… Mais peut-être peut-on considérer effectivement qu’il y a des dominantes et que les acteurs traditionnels de la micro-informatique avaient donné la primauté à dimension support/forme, Google à la dimension texte/contenu et les logiciels de réseau sociaux à la dimension agentivité/médium.