Résistance à la redocumentarisation des humains
Par Jean-Michel Salaun le mardi 13 avril 2010, 06:30 - Juridico - Lien permanent
À lire absolument, un entretien avec Eben Moglen, La liberté contre les données dans le nuage, qui vient d'être traduit par Framablog (ici, entretien original là).
Le juriste y développe une solution technique simple, sur la base de serveurs individuels portables, pour garder la maîtrise de nos données. C'est la première fois que je lis ce genre de solution qui me parait plus réaliste que les tentatives européennes de brider à coup de lois, de règlements ou campagnes d'opinion des mouvements trop socialement installés pour être endigués.
Il s'agit d'une résistance à la redocumentarisation croissante des humains. Cette dernière a beaucoup d'avantages, mais est lourde d'une menace de contrôle social, commercial ou politique (voir ici). Reste à savoir si un modèle économique commercial du Web est possible sans elle.
Tout est à lire. Ci-dessous quelques extraits qui sont en parfaite résonance avec ce blogue.
Les services sont centralisés dans un but commercial. Le pouvoir des traces est monnayable, parce qu’elles fournissent un moyen de surveillance qui est intéressant autant pour le commerce que pour le contrôle social exercé par les gouvernements. Si bien que le Web, avec des services fournis suivant une architecture de base client-serveur, devient un outil de surveillance autant qu’un prestataire de services supplémentaires. Et la surveillance devient le service masqué, caché au cœur de tous les services gratuits. (..)
Les applications de réseaux sociaux en sont l’exemple le plus flagrant. Elles s’appuient, dans leurs métaphores élémentaires de fonctionnement, sur une relation bilatérale appelée amitié, et sur ses conséquences multilatérales. Et elles sont complètement façonnées autour de structures du Web déjà existantes. Facebook c’est un hébergement Web gratuit avec des gadgets en php et des APIs, et un espionnage permanent - pas vraiment une offre imbattable. (..)
Et donc, ce que je propose basiquement, c’est que nous construisions un environnement de réseau social reposant sur les logiciels libres dont nous disposons, qui sont d’ailleurs déjà les logiciels utilisés dans la partie serveur des réseaux sociaux; et que nous nous équipions d’un appareil qui inclura une distribution libre dont chacun pourra faire tout ce qu’il veut, et du matériel bon marché qui conquerra le monde entier que nous l’utilisions pour ça ou non, parce qu’il a un aspect et des fonctions tout à fait séduisantes pour son prix. (..)
Sur le long terme, il existe deux endroits où vous pouvez raisonnablement penser stocker votre identité numérique : l’un est l’endroit où vous vivez, l’autre est dans votre poche. Et un service qui ne serait pas disponible pour ces deux endroits à la fois n’est probablement pas un dispositif adapté.
A la question « pourquoi ne pas mettre notre serveur d’identité sur notre téléphone mobile ? », ce que je voudrais répondre c’est que nos mobiles sont très vulnérables. Dans la plupart des pays du monde, vous interpellez un type dans la rue, vous le mettez en état d’arrestation pour un motif quelconque, vous le conduisez au poste, vous copiez les données de son téléphone portable, vous lui rendez l’appareil, et vous l’avez eu.
Actu du 27 avril 2010
En réalité, avec le web des objets, c'est bien plus que les réseaux sociaux qui sont concernés. Ce genre de projets, par exemple me fait frémir et devrait faire réfléchir plus avant les partisans inconditionnels de la libération des données :
Opera: « Appareils photo, frigos, alarmes… constitueront, demain, une des bases du web », Entreprise Globale, 10 avril 2010 ici.
Actu du 6 mai 2010
Sur le Web des objets, voir aussi le billet de l'Atelier : Quel modèle économique pour le Web des objets ici
Commentaires
Merci pour la référence.
Tout est à lire, effectivement.
Un interview riche d'enseignements, dont plusieurs sont à méditer longuement.
GP
Cette solution de serveur personnel serait intéressante, car elle permettrait un réel contrôle des données sur notre identité. Par contre, cette solution me semble un peu extrême, surtout pour des personnes qui ne maîtrisent pas très bien les nouvelles technologies. Ces personnes sont les plus vulnérables en ce qui concerne la protection de leur identité, et une solution comme celle-là est probablement trop complexe pour eux. Dans cet article de Amit Agarwal (http://www.labnol.org/internet/moni...), des solutions plus accessibles sont proposées pour connaître ce qui est publié sur nous. Il est donc possible d'avoir un certain contrôle de notre identité numérique tout en conservant des comptes sur des serveurs qui ne nous appartiennent pas.
La perte de contrôle de nos données personnelles est une réelle problématique que trop peu de personnes prennent au sérieux. Je trouve que cette solution de serveur personnel est très attirante. Cependant, il faudrait voir si ici avec les fournisseurs Intenet du Québec, permettraient l'installation de ces serveurs. Ce qui, pour l'instant, ne semble pas être le cas, car ces serveurs sont souvent perçus comme des outils de piratage. Internet a vraiment fait disparaître la notion de "pardon" face à nos actions virtuelles ou non et avoir le contrôle de nos données et de notre image est important. Ne pas vouloir faire partie des rouages de la vente de nos informations personnelles à des fins mercantile est tout à fait légitime.
Eben Moglen a tout à fait raison. la séduction du "Nuage" ne doit pas nous dissimuler le fait que nous retournons à une situation bien connue : de la révolution de l'Internet qui consistait à mettre toute l'intelligence aux extrémités du réseau et à privilégier les liaisons point-à-point, le nuage nous ramène, bande passante accrue et rapidité en prime, au système centralisé des vidéotex dont le Minitel demeure l'exemple le plus célèbre.
En même temps, ceci nous rappelle que tout système de communication évolue en fonction du rapport de force entre les tenants de la décentralisation (échange, partage, réseaux, etc.) et les tenants de la centralisation et de la diffusion unilatérale (imprimé (dont la presse), radio, télévision, etc.) et des formes de pouvoir en place.
La vraie révolution de l'Internet ne se manifeste pas dans la technologie, mais bien dans les déplacement de pouvoir qui peuvent surgir au détour de la mise en œuvre de ces technologies. Mais la possibilité d'une vraie révolution s'accompagne toujours de la perspective d'une vraie contre-révolution. Le "Cloud" est la forme tentante, mais insidieuse de cette dernière.
Pour autant, pouvoir conserver les avantages du nuage tout en restant fermemnt dans le camp des actions et formes d'expression distribuées paraît constituer un projet de développement important et intéressant. Il complèterait bien tous les dispositifs P2P qui jouent dans le même sens.
Les solutions les plus simples, comme de posséder un serveur personnel, sont souvent les meilleures. Elles demandent cependant de former les usagers du Web à leur utilisation.
Cela dit, cette idée de gérer soi-même ses données est loin d'être nouvelle. C'était la stratégie de base de Microsoft: "un PC dans chaque maison". Si Microsoft disait cela, dans les années 80, essentiellement pour vendre davantage de licences logicielles, l'idée avait au moins l'avantage de former les usagers à la gestion d'un système informatique.
Comme le dit Richard Stallman (traduit ici: http://www.generation-nt.com/stallm...), "L'une des raisons pour lesquelles vous ne devriez pas utiliser des applications Web pour votre travail informatique est la perte de contrôle." Avons-nous quitté le PC pour mieux y revenir?
Bonjour Gabriel,
C'est effectivement une conséquence ironique de l'évolution du Web des nuages, Microsoft peut apparaitre comme un recours pour préserver l'indépendance des internautes. T O'Reilly avait prédit cette évolution de l'argumentaire : «Microsoft sera le grand défenseur du Web ouvert, encourageant l’interopérabilité des services Web, tout comme IBM est devenu l’entreprise soutenant le plus Linux.»
Voir ici :
http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jm...
Mais si R. Stallman, qui participe à l'initiative décrite dans le billet, a effectivement dénoncé depuis longtemps les dangers du cloud computing, je doute qu'il exonère pour autant Microsoft de son investissement dans une bureautique fermée ;-).