Le Blue Ribbon Task Force on Sustainable Digital Preservation and Access (que l'on peut traduire par le groupe de travail sur les politiques publiques de conservation et d'accès numérique), lancé il y a deux et demi par la NSF et la fondation Mellon (en collaboration avec la Bibliothèque du Congrès, JISC, le CLIR et les Archives nationales US) vient de publier son rapport final :

Blue Ribbon Task Force Final Report, Sustainable Economics for a Digital Planet: Ensuring Long-Term Access to Digital Information, February 2010. ici Le site propose aussi une bibliographie sur le sujet.

Le rapport n'aborde pas la technologie, mais les politiques et surtout pour le thème de ce blogue l'économie du processus. Il s'agit plus d'une étude théorique, un cadre de réflexion, que d'une analyse de terrain et on peut regretter l'absence de données empiriques qui auraient donné du corps et du poids aux arguments. Néanmoins les réflexions de cette nature sont rares et donc précieuses.

Pour ce billet, j'ai retenu les quatre caractéristiques économiques de la conservation numérique (en italique, ce sont des citations du rapport, Ch2 p.24-30 trad JMS) :

1. La demande pour une conservation numérique est une demande dérivée

Autrement dit, la demande n'est pas directe, on ne conserve pas pour conserver, mais pour donner accès à l'avenir à des informations numériques. Cette caractéristique n'est pas très originale, ni propre au numérique. C'est le cas de nombreux biens et services en économie, en réalité toutes les matières premières ou encore les biens intermédiaires. Mais elle a des conséquences, notamment que le marché n'est pas toujours capable de réguler cette activité :

Parce que la conservation est une demande dérivée, la décision de conserver viendra en définitive de la valeur perçue associée au matériel numérique dans le temps.

2. Les matériaux numériques sont des biens durables dépréciables

Un bien durable dépréciable est quelque chose qui dure longtemps en produisant de la valeur continuellement, mais la qualité et la quantité de cette production peut décliner si des actions ne sont pas engagées pour maintenir la viabilité ou la productivité du bien. (..)

Parce que le matériel numérique est un bien durable dépréciable, on doit faire continuellement des investissements pour leur maintenance si l'on peut soutenir leur possibilité de créer de la valeur dans le temps.

3. Les biens numériques sont des biens non-rivaux et autorisent les passagers clandestins

Cette caractéristique est bien connue des économistes de l'information.

Les biens numériques sont des biens non-rivaux, car il suffit qu'un acteur conserve un bien, il l'est pour toute intention ou objectifs conserver pour tous. Dans ces circonstances, l'incitation pour un seul acteur à assumer les coûts de la conservation est affaiblie, puisque les autres pourront profiter gratuitement des bénéfices.

4. La conservation numérique est un processus dynamique qui dépend du chemin suivi

Cette caractéristique est la plus originale et la plus spécifique au numérique et donc la plus intéressante. Dans l'analogique, le processus de conservation venait en fin du cycle de vie du bien, c'est à dire à la dernière étape du circuit classique de création-production-diffusion. Dans le numérique, chaque étape peut influer sur le processus de conservation et celui-ci implique des décisions à chaque stade.

Le fait que les décisions de conservation dépendent du chemin suivi signifie que les décisions peuvent influer à chaque moment les conditions futures et déterminer l'éventail des choix futurs.

Malgré l'intérêt de cette réflexion, il me semble qu'il lui manque le plus important, c'est à dire une interrogation sur la nature économique de la valeur de la conservation. Les propos sur cette question (p.20) auraient pu être plus approfondis, notamment en faisant référence par exemple à l'économie de l'assurance.

Le chapitre suivant présente la répartition des responsabilités et des rôles en soulevant les enjeux qui se posent à chaque étape.

L'ensemble est illustré sur quatre domaines d'application (ch4) : le discours scientifique, les données de la recherche, le contenu culturel commercial et le contenu produit collectivement sur le Web. L'intérêt du rapport est de fournir un cadre d'analyse et de réflexion.