La fin de la récré
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 02 septembre 2010, 02:57 - Éco - Lien permanent
Continuons les lectures estivales. Le rédacteur en chef de Wired a le sens de la formule et de l'air du temps. Il sait capter les idées, les présenter et mettre en valeur l'essentiel. Un vrai pédagogue avec le péché mignon du professeur, un zeste de démagogie ici par exemple dans le schéma introductif quelque peu trompeur (voir sa critique sur Boingboing ici).
Chris Anderson et Michael Wolff, “The Web Is Dead. Long Live the Internet,” Septembre 2010, ici.
« Le web est mort, vive l'internet » donc. L'article a été beaucoup commenté en anglais, peu encore en français (sur OWNI ici). Mais c'est juste la rentrée, cela va venir.
L'article est en deux colonnes parallèles. Chacune écrite par un auteur présente la même thèse, mais d'une perspective différente, Anderson du point de vue de l'internaute à la recherche de simplicité, Wolff du point de vue des entrepreneurs à la recherche de contrôle et profit. La thèse n'est pas vraiment nouvelle et n'étonnera pas les lecteurs de ce blogue. Il s'agit de dire que le média internet est arrivé à maturité et que le web (c'est à dire l'accès par un navigateur) n'en est qu'une des applications, dont la rentabilité n'est pas toujours au rendez-vous. Dès lors d'autres joueurs, comme Apple, Amazon ou Facebook développent d'autres services qui rencontrent le succès par leur simplicité d'utilisation, notamment sur les appareils mobiles.
On peut discuter de l'opportunité de la distinction faite entre web et internet dans l'article. Mais j'ai eu souvent l'occasion de répéter ici que le web était dans l'enfance, une enfance pas si différente de celle des médias qui l'ont précédé notamment dans son caractère libertaire, pour ne pas acquiescer au constat général même s'il est un peu forcé pour les besoins de la démonstration. Mais, une fois constat fait, il reste à comprendre quelles sont les logiques du média qui s'installe. Ses prédécesseurs ont construit des modèles robustes. Quel sera celui du petit dernier ? Pour construire un modèle, il faut qu'entrent en résonance l'organisation de la technique (un choix dans les possibles), la satisfaction du social (un choix dans les usages) et une pérennité économique (un marché ou un support public). Pour le web, c'est le troisième qui est encore incertain.
J'ai déjà essayé de rendre compte de l'articulation de ces modèles (court, long) et de décrypter les ressorts des stratégies des principales firmes sur le web (là). Mais il y a encore du boulot..
Actu du 7 oct 2010
Pour un résumé des débats américains, voir le billet de F. Pisani qui ne m'a pas vraiment convaincu :
“Le web n’est pas mort, l’internet ne va pas bien/1 - Transnets - Blog LeMonde.fr,” ici.
et la suite :
“Le web n’est pas mort, l’internet ne va pas bien/2 - Transnets - Blog LeMonde.fr,” là .
Commentaires
Salut Jean-Michel,
une remarque en passant, très (trop) vite. Sur ta dernière phrase, je voie mal en quoi la pérennité économique du web serait incertaine, côté marché en tout cas. Il risque, certes, de ne pas y en avoir pour tout le monde (concentrations accélérées à prévoir, notamment du côté des industries culturelles, par ailleurs déjà passablement concentrées ...) mais les recettes publicitaires (sur le modèle adwords) semblent avoir fait la preuve de leur rentabilité sur le moyen - et peut-être long - terme, et l'essor plus que probable des modèles captifs ou résidents de micro-paiement (à la mode ITunes) alignés sur d'immenses réservoirs de produits affiliés (livres un peu, musique beaucoup et surtout, films et TV très bientôt = cf les projets de Google et d'Apple - AppleTV) devraient achever de consolider ledit modèle.
Pour reprendre tes termes, je pense en revanche que c'est aux articulations entre les 3 (technique, social, éco) que résident encore les principaux points d'interrogation et d'incertitude, et tout particulièrement entre le technique et l'économique où se pose la question du web à deux vitesses et des contenus "prioritaires" (cf l'affaire Google/Verizon et les questions de neutralité du réseau). Sachant que la résolution de ces points de friction affectera nécessairement, en bout de chaîne, les modalités retenues pour la "satisfaction du social", alors que c'est l'inverse qui serait souhaitable (= que la satisfaction du social conditionne l'articulation entre le technique et l'économique ... oui je sais, on n'est pas au pays de Oui-Oui ... :-).
Salut Olivier, bonne rentrée !
Oui Google est évidemment rentable, mais pas sur toutes ses activités. C'est parce qu'il est hyper-rentable sur quelques-unes que l'on ne perçoit pas que d'autres, comme YouTube, perdent beaucoup d'argent. Oui Apple est tout aussi évidemment rentable, mais sa rentabilité provient de la vente de machines qu'il faut renouveler sans cesse et non des micro-paiements. Quant à FaceBook, son modèle d'affaires est incertain et incontrolable, car n'étant pas coté en bourse, il ne rend pas de compte.
Donc tu as peut-être raison sur la consolidation du modèle. Mais ce sont des spéculations à la probabilité encore incertaine, pas un modèle solide.
Sur la deuxième partie de ton commentaire, je crois qu'il ne faut pas confondre la satisfaction du social et celle de la minorité qui s'exprime sur le web. De ce point de vue l'article d'Anderson est éclairant. L'usager, passé la découverte, préfère la simplicité.