Un étudiant qui prépare aujourd'hui un mémoire ou une thèse sur l'économie du livre numérique ne manquera pas de références. Le nombre de rapport, études, enquêtes sur le sujet est impressionnant. Pour démarrer son sujet, je lui suggérerai deux lectures synthétiques et complémentaires toutes chaudes.

La première est un livre numérique justement, une réflexion ample, stimulante et plaisante par deux grands connaisseurs de l'édition, du livre et du numérique. Ce livre là pose les bonnes questions, clairement mais sans simplisme, sur la notion d'œuvre, sur la place des auteurs, des éditeurs, des libraires, des bibliothèques ou sur le rôle du lecteur. Il relativise quelques fausses évidences parfois proférées par les évangélistes du numérique sans pour autant sousestimer l'importance des changements.

Jean Sarzana et Alain Pierrot, Impressions numériques, Publie.net., 2010. ici.

La seconde lecture est une enquête réalisée pour le Forum d'Avignon. Les enquêteurs se sont intéressés aux comportements d'achat et de lecture numérique dans six pays (Corée, États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne et Japon).

Bain & Cie, Les écrits à l'heure du numérique (Forum d'Avignon, 2010), Pdf. Une quarantaine de références, une mine, accompagnent l'étude ().

La principale leçon n'étonnera pas les lecteurs réguliers de ce blogue. Extrait (p.6-7) :

Le livre ne devrait pas connaître de scénario catastrophe similaire à celui de l’industrie musicale. Plusieurs indicateurs émanant de l’étude étayent ce constat. Les lecteurs qui ont effectué leur migration vers le numérique restent profondément attachés à la lecture papier, et trouvent à l’ebook des usages complémentaires. Cet ancrage dans la lecture du papier se vérifie également au sein des nouvelles générations, pourtant nées avec le numérique. En parallèle, des facteurs sousjacents assurent à l’industrie du livre une stabilité au moins temporaire sur laquelle l’industrie musicale n’a pas pu compter : une fragmentation des contenus limitée, en particulier pour la littérature, et un piratage modéré même parmi les jeunes lecteurs, au moins en ce qui concerne la “première vague” d’utilisateurs.

L’appétit pour le numérique est cependant bien réel, et les ebooks pourraient représenter de 15 à 25 % du marché du livre à l’horizon 2015. Les marchés les plus avancés comme les États-Unis et la Corée ont peu de temps pour se mettre en ordre de marche : environ 5 % des volumes y sont déjà vendus en numérique. Cette mutation devrait s’accélérer pour atteindre 20 à 25 % du marché dans les cinq prochaines années, à mesure que le numérique dématérialisé se substitue notamment aux volumes commercialisés par internet aujourd’hui. Les pays comme la France migreront plus graduellement avant que le numérique n’atteigne autour de 15 % du marché à l’horizon 2015 - en partie du fait de réseaux de distribution physiques encore denses, rendant le produit papier plus immédiatement accessible.

La migration vers les lectures numériques s’accompagne de deux tendances de fond qui pourraient animer une industrie à la croissance limitée depuis plusieurs années.

Première bonne nouvelle, la migration vers le numérique présente une opportunité de renverser les tendances de marché. La simplification de l’acte d’achat et la portabilité de la bibliothèque représentent en effet des facteurs de consommation supplémentaire. Plus de 40 % des lecteurs équipés de support numérique déclarent lire plus qu’auparavant. Certes, les écrits numériques bénéficient d’un effet de nouveauté qui pourrait s’estomper au cours du temps. Mais quand bien même il s’agirait d’un phénomène de court terme, la constitution de “bibliothèques numériques” par les lecteurs pourrait s’avérer bénéfique pour l’industrie du livre, tout comme le renouvellement des audiothèques fut l’un des moteurs de croissance du Disque Compact.

De plus, une majorité de consommateurs se disent prêts à payer pour les ebooks qu’ils consomment, et 70 % des utilisateurs de tablettes et autres liseuses déclarent acheter aujourd’hui la majorité de leurs ebooks alors que la consommation d’ebooks sur ordinateur n’a jamais déclenché d’acte d’achat significatif.

Ces remarques sont à confronter avec deux schémas tirés de la même étude. L'industrie du livre ne peut se comparer à celle de la musique ou de la presse, comme veulent encore nous le faire croire des observateurs trop pressés. Pour celles-là, le numérique a été un véritable traumatisme économique. Pour le livre, la transition devrait être plus douce.

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Actu du 9 novembre 2010

Contre-argument :

“Negroponte : “Le livre est mort. Dans 5 ans, il aura disparu.”,” ebouquin, Novembre 8, 2010, ici.

Negroponte fait allusion ici à l'utilisation de son ordinateur XO distribué aux enfants dans les pays en développement. S'il est vrai que la déstabilisation du livre imprimé sera vraiment effective quand les enfants n'apprendront plus à lire et écrire sur des codex, deux remarques :

- malgré les très nombreux avantages du numérique, il n'est pas sûr que remplacer complètement le papier ou l'ardoise par un écran électronique pour l'apprentissage élémentaire de la lecture/écriture soit sans danger pour l'autonomie des lecteurs. Ils deviennent alors dépendants de technologies dont la maîtrise complète leur échappe. Ceci est une question particulièrement cruciale pour les pays en développement.

- L'annonce de la mort du livre est un marronnier, au congrès de l'IPA en 2000, Dick Brass de Microsoft indiquait déjà : « En 2005 les ventes de livres et journaux électroniques atteindront un milliard de dollars, en 2008 elles égaleront celles des livres imprimés, en 2010 les auteurs seront leurs propres éditeurs, en 2012 commenceront les campagnes de publicité en faveur de cet objet en voie de disparition que sera le livre imprimé, en 2015 toutes les collections de la Bibliothèque du Congrès seront numérisées; en 2018 paraîtra le dernier numéro du dernier journal imprimé, en 2019 la première définition du livre dans les dictionnaires sera défini comme "un substantiel morceau d'écriture (a substantial piece of writing) généralement accessible sur un ordinateur ou un objet électronique personnel" » rapporté par R. Chartier, cité par Julie Roy (ici). En 2010, Forrester prévoit un marché de 1 milliard de $ pour le ebook pour bientôt..

Actu du 24 novembre 2010

Voir aussi l'itw de l'auteur du livre-enquête sur l'édition US et UK :

“Is Publishing Doomed? JOHN B. THOMPSON with Williams Cole - The Brooklyn Rail,” Novembre 2010, http://www.brooklynrail.org/2010/11/express/is-publishing-doomed-john-b-thompson-with-williams-cole. ici

Il montre que les transformations actuelles de l'édition sont dues d'abord à la concentration et la pression des actionnaires sur les grands groupes pour une plus forte rentabilité et à la montée des agents littéraires. Cela conduisant à des stratégies concentrées sur quelques titres phares (big books). Le e-book arrive dans ce contexte qui s'est construit indépendamment. Extrait (trad JMS) :

Il n'y a pas de consensus sur cette question. J'ai interrogé beaucoup, beaucoup de responsables dans les départements numériques de tous les grands éditeurs, aussi bien que des moyennes et des petites et tous étaient très intéressés par le sujet, mais chacun avait une opinion différente sur ce qui pouvait arriver dans le futur. Les uns croient qu'il va balayer livre imprimé qui ne sera plus qu'une relique que l'on ne trouvera que sur les étagères des collectionneurs. D'autres pensent qu'il va se stabiliser à un certain niveau. Certain disent qu'il fera 10% des lecteurs, d'autres 20%, d'autres 50%. Chacun a une opinion différente sur le sujet. Mon point de vue est que le marché va se segmenter. Les lecteurs et les consommateurs ont des valeurs, des croyances, des préférences diverses et certains seront très content de lire sur l'un ou l'autre appareil électronique. D'autres voudront rester à l'imprimé et voudront des livres sous cette forme. Celle-ci est profondément ancrée dans les pratiques culturelles de lecture et d'écriture et cela ne changera ni vite, ni facilement.