Le livre toujours
Par Jean-Michel Salaun le mercredi 25 mai 2011, 08:16 - Édition - Lien permanent
À contrecourant de l'opinion ou du souhait d'un bon nombre de blogueurs, il se confirme que, pour le moment, le livre résiste aux assauts du numérique. C'est à dire que le livre se maintient dans l'unité de ses trois dimensions (forme-texte-médium), avec une transposition numérique. De nouveaux acteurs importants ont émergé en aval de la filière (Amazon, Apple, Google), celle-ci est toujours dominée par l'acteur principal de l'amont, l'éditeur. Les expériences de livres augmentés, livres inscriptibles, livres-réseau ou même auto-édition restent marginales, quantitativement et économiquement, même si elles sont importantes, comme éclaireurs, inventions de nouvelles formes, nouvelles littératures, nouvelles relations. La comparaison souvent faites avec le destin de l'industrie musicale ne parait pas pertinente.
L'affirmation peut paraître brutale, elle ne surprendra pas les lecteurs assidus de ce blogue (p. ex. ici). Trois documents récents la confortent aujourd'hui. Les trois proposent une synthèse, de pertinence variable nous le verrons, sur un point clé de l'évolution de la filière.
Achats et ventes de droits de livres numériques
Perceval Pradelle, Achats et ventes de droits de livres numériques : panorama de pratiques internationales (Bureau international de l’édition française, mars 10, 2011). Pdf
le BIEF a réalisé une enquête auprès de professionnels du livre à Munich, Milan, Madrid, Londres, Barcelone, New York, São Paulo et Tokyo. 32 entretiens ont été menés de novembre à décembre 2010. Sans doute, les résultats d'une enquête pilotée par un organisme défendant les éditeurs doivent être interprétés avec prudence. Néanmoins, ils sont très radicaux, montrant qu'aujourd'hui l'édition numérique n'est qu'une déclinaison supplémentaire de l'édition traditionnelle, comme il y en a déjà eu souvent dans l'histoire. Extraits :
Les éditeurs anglo-saxons ou japonais acquièrent ainsi les droits numériques depuis une dizaine d’années. Bien souvent, obtenir ces droits est une condition sine qua non à l’achat des droits papier chez les éditeurs anglo-saxons rencontrés (dealbreaker). Sur les autres marchés (européens et brésiliens), l’achat systématique des droits numériques est plus récent, remontant à une ou quelques années, dans tous les cas moins de dix. p.15
Autoédition
En examinant la question de plus près, il apparaît que le refus de céder les droits est plus souvent le fait des agents que des auteurs. (..)
Plusieurs raisons peuvent expliquer le choix de conserver les droits. Bien souvent, les auteurs souhaitent simplement attendre de voir comment évolue le marché et les rémunérations. L’autoédition attire certains d’entre eux et, en raison de la tentation que celle-ci représente, tout éditeur est désormais en droit de craindre le départ d’auteurs phares, dont la production assurait jusque-là une part importante des revenus de la maison.
Un des agents interrogés rappelle toutefois que, dans le cas précis des auteurs célèbres, dont les titres drainent les ventes, l’avance qui leur est versée en contrepartie de la cession des droits papier représente souvent des montants colossaux, à six ou sept chiffres, et constitue donc un revenu sûr – face à des ventes numériques hypothétiques – ainsi qu’un argument de poids pour convaincre les auteurs de céder leurs droits. p.19
Au Japon enfin, les éditeurs rencontrés disent avoir, en comparaison avec les pays occidentaux, un lien plus direct et plus fort avec leurs auteurs, lien qui se caractérise notamment par une large prise en charge financière de la phase de rédaction des manuscrits. Aussi, les auteurs sont-ils plus fidèles à leur éditeur et moins enclins à couper les liens mutuels. Quelques rares cas de refus sont néanmoins rapportés. Ils sont justifiés par des projets d’autoédition et, phénomène singulier, il arrive que des auteurs s’associent en petits groupes de 3 ou 4 personnes pour exploiter conjointement leurs œuvres sous forme numérique. p.20
Livres augmentés
À l’exception du Japon, où le genre d’édition numérique prédominant est le manga, les maisons interrogées proposent essentiellement des livres numériques constitués de textes, copies homothétiques de l’édition papier. Les illustrés et livres pour enfants sont fréquemment exclus de l’offre numérique, tout au moins temporairement, ou, lorsqu’ils en font partie, ne représentent qu’une part mineure de celle-ci. En effet, d’une numérisation complexe sur le plan technique, les livres illustrés requièrent également de la part de l’éditeur de s’assurer de la possession des droits numériques pour chacune des images, un processus souvent long et aux résultats incertains. p.30-31
Sans surprise, la production de contenus enrichis demeure marginale parmi les éditeurs interrogés. Cela s’est vérifié dans chacune des villes visitées. Citons pour illustrer une enquête récente tentant de quantifier ce phénomène sur le marché américain – enquête réalisée au mois de décembre 2010 auprès de 600 maisons d’édition par le cabinet Aptara3 – et faisant apparaître que seules 7 % d’entre elles ont déjà produit des livres numériques augmentés. Si la production reste faible, plusieurs expérimentations sont réalisées toutefois dans ce sens, quelques unes connaissant même un certain succès. p.31
Ventes
Si toutes les maisons pratiquent la vente de livres numériques à l’unité, certaines, une minorité, envisagent de développer en parallèle la formule par abonnement, permettant de télécharger un nombre limité de titres pour une somme forfaitaire mensuelle. Ce système de commercialisation est déjà bien implanté au Japon pour la vente de magazines et de mangas sur téléphones portables, et les éditeurs japonais qui y recourent réfléchissent à une extension de ce modèle sur lecteurs numériques (liseuses et tablettes). p.32
Google et les éditeurs français
Matthieu Reboul, « Google et les éditeurs français : les raisons de la colère », INA Global, mai 23, 2011, ici .
INA-Global propose une remarquable synthèse du feuilleton de Google-Books et des relations orageuses entre Google et les éditeurs français et des jeux entre les règles et les systèmes juridiques différents des deux côtés de l'Atlantique. La bataille n'est pas terminée, mais il est déjà sûr que le livre, dans son acception traditionnelle, en sortira gagnant. Son intégrité n'est plus remise en cause, ni la pertinence de la propriété intellectuelle sur l’œuvre. La question qui se pose aujourd'hui est celle de l'entrée de Google sur le marché du livre.
Il s'agit pour la firme d'une diversification qui souligne un renoncement. Son métier de base est, en effet, de traiter les textes, indépendamment des documents, autrement dit ici de déconstruire les livres. Même si quelques timides applications sont proposées (p. ex. N-Gram), on ne voit pas de ce côté de grandes ambitions poindre. Google semble avoir admis l'ordre des livres.
La stratégie d'Amazon
Amazon.com : l’Empire caché FaberNovel, mai 2011. Diapos
La stratégie d' Amazon a fait l'objet de moins d'analyses que celle d'autres firmes en vue du Nasdaq aussi ce diaporama était bienvenu. Malheureusement, il pêche par manque de rigueur et privilégie l'effet sur les faits. Ainsi par exemple, les chiffres d'affaires des cinq premières années de ebay, Google et Amazon sur la diapositive 6 sont farfelus comme on pourra le constater facilement sur les bilans des entreprises (Ebay2000 p.22), Google2004 p.19, Amazon2000 p.19).
Néanmoins oublions les premières diapositives, l'analyse proposée a le mérite de pointer les stratégies complémentaires et emboitées de la première librairie mondiale : la distribution classique élargie à toutes sortes de produits, tirant partie de toutes les économies qu'autorise le réseau pour un nouveau venu ; le suivi des clients ; la bascule vers les produits numériques (Kindle) et la vente d'espace machine (cloud).
Amazon est bien une des plus belle réussite économique sur le web, à partir du plus traditionnel des produits culturels, le livre.
Actu du 31 mai 2011
Sur Google-Book voir : What next for Google after the Google Books Settlement rejection, eReport, 31 mai 2011, ici.