Ce billet a été rédigé par Christian Lacombe dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.

John Wronoski, bibliophile de renommée, propose un état des lieux du commerce du livre ancien en Amérique depuis l’arrivée d’internet dans un article. Malgré une sombre vision de la profession en Amérique, depuis l’arrivée d’internet, JW pense que les libraires américains représentent un renouveau dans la profession. En Amérique, dit-il, il n’y a pas d’attache au passé, la population tout comme les professionnels sont tournés vers l’avenir et cela demande du courage et une volonté saine pour avoir une attitude neuve vis-à-vis d’une vieille profession. Il pense que, même s’il ne faut pas avoir peur des clients venant d’internet, la clientèle de base rétrécit à cause du manque de contact avec les livres via les bouquinistes spécialisés qui se raréfient. Alors que l’on peut remarquer la présence de plus en plus forte des maisons de vente dans le commerce du livre ancien en Amérique, on peut en même temps déplorer le manque de jeunes libraires qui ouvrent ou reprennent un commerce avec pignon sur rue. À l’inverse, on constate une surabondance de nouveaux libraires sur internet.

Depuis l’arrivée des plateformes sur le web, la librairie de livres anciens est à un moment critique de son histoire, car cette technologie modifie radicalement la façon de conduire les affaires. Aucun sujet ne préoccupe autant les libraires américains qu’internet assure JW. Certains libraires voient en cette technologie une possibilité d’atteindre un nombre infini de clients qu’ils n’auraient jamais pu rejoindre auparavant. Les libraires de livres anciens sont très soupçonneux, alors que les libraires généralistes (livres d’occasions mais pas nécessairement anciens) y voient un outil indispensable pour le commerce d’aujourd’hui. Pour ceux-là, internet révèle la valeur réelle des livres, il y a une uniformisation du marché. Pour les autres, internet met en relief l’ignorance du métier de libraire, car les informations consignées sur les notices ne sont plus fiables (copiage de notice pour des ouvrages différents).

JW fait référence à l’Antiquarian Booksellers' Association of America ABAA qui observe ce phénomène et s’inquiète, elle aussi, du manque de jeunes libraires de livres anciens en Amérique (moins de 10 libraires en dessous de 40 ans adhèrent à l'ABAA et à la Ligue Internationale de la Librairie Ancienne LILA). JW affirme qu’en Amérique le livre appartient à une technologie vue comme rétrograde. En effet, la possibilité pour un jeune libraire de se trouver un mentor est rare, les connaissances nécessaires demandent de nombreuses années de confrontation avec les vieux documents, ce qui n’est pas facile et les coûts d’installations sont excessifs. Des libraires canadiens et américains, déjà en fonction, pensent qu’il est beaucoup plus difficile de se forger une réputation et une personnalité avec les plateformes en ligne.

Alain Marchiset, libraire à Paris et président du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne SLAM lui répond dans un entretien transposé en article. Le texte de JW serait révélateur de la différence de culture entre l’Amérique et l’Europe. AM le considère comme trop «apocalyptique». L’amateur du dimanche est une denrée courante en Europe et l’on peut remarquer la profusion de vieilles librairies avec leurs chineurs. Par contre, à l’inverse des États-Unis, les bibliothèques universitaires européennes ne sont plus des clients réguliers des librairies, car elles n’ont pas autant d’argent. De même il n’existe pas en Europe de grands mécènes correspondant au prototype américain qui constitue des collections de rêve. (J’aimerais pourtant rappeler ici que le manuscrit de L’histoire de ma vie de Casanova est entré récemment à la BnF grâce à la générosité -7 millions d’euros- d’un mécène «anonyme») AM rappelle que les européens ont refusé en bloc, lors du dernier congrès de LILA, de faire des bases de données de librairies de types : BIBLIOFIND ; BIBLIOCITY. Pour eux, le libraire doit préserver son style et sa spécificité, garder sa singularité en proposant des collections choisies très rigoureusement.

JW appelle à un renouveau du libraire en Amérique, mais il ne propose aucune piste. Je pense que la profession se transforme, que les livres rares seront peut-être moins recherchés par des «fétichistes» mais deviendront des valeurs de placement. AM assure que les libraires européens refusent en bloc l’idée de base de données, mais «tous» sont sur Abebooks. Il faut aussi rappeler que le monde de la librairie ancienne tel que le présente AM est réservé à une classe sociale très privilégiée, les exemples de gens sans fortune ayant une boutique de livres anciens en France sont rares…