Payer le journal à la cenne près!
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 17 juin 2011, 11:28 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Guillaume Cloutier dans le cadre du cours SCI6355 sur l'économie du document de la maîtrise en sciences de l'information de l'EBSI.
Bien des gens sont familiers avec les micropaiements sans le savoir. Il suffit de penser à Itunes pour s’en convaincre. En effet, presque quiconque possède un Ipod a déjà acheté une chanson en ligne au microprix de 99 cents. Un fois l’inscription complétée et les coordonnées bancaires entrées, il suffit de quelques clics pour procéder au paiement de la chanson : rapide, efficace, facile et quasi-indolore pour le portefeuille. Il s’agit ici de payer un petit prix pour avoir accès à un petit morceau de contenu. Si ce modèle d’affaires peut faire vivre Itunes, ne peut-on pas penser que les journaux en ligne pourraient en tirer partie et trouver enfin une solution de rentabilité? C’est l’idée que je veux explorer dans ce billet.
Les micropaiements ne sont pas une idée nouvelle, bien au contraire. Ils ont eu une brève vague de popularité à la fin des années 1990 avec des compagnies comme Beenz, Fleez, Bitpass, CyberCash et Peppercoin. Comme le disais Walter Isaacson dans un billet paru sur le site Time.com: si vous vous souvenez de ces compagnies c’est probablement parce que vous y avez perdu de l’argent! Bref, en dehors de quelques notables exceptions, les micropaiements n’ont jamais su s’imposer comme façon de rentabiliser du contenu. Néanmoins sitôt oubliée, l’idée réapparaît ailleurs, avec la promesse que, cette fois-ci, il s’agit de la bonne.
C’est ce qui s’est passé en 2009 quand le puissant Rupert Murdoch et son Wall Street Journal ont annoncé l’arrivée d’un système de micropaiements donnant accès à certains articles au contenu exclusif (voir l’article). L’arrivée de ce système et le retour des micropaiements ont été surveillés de près par la plupart des grands acteurs de la presse. Malgré cette percée du WSJ, les micropaiements ont autant d’admirateurs (billet ici) que de détracteurs (billets ici et ici).
Un des problèmes pratiques du micropaiement est le coût de la transaction. À supposer que le coût d’un article soit le même que celui d’un message texte comme le dit Monsieur Murdoch, soit environ 10 cents, il faudra nécessairement trouver un système transactionnel fiable, sécuritaire et surtout peu coûteux pour que l’ensemble fonctionne sans qu’il y ait une trop grande érosion de la marge de profit. Or un système définitif reste à établir et bien des compagnies ont connu leur Waterloo en tentant d’élaborer un tel système. Il faudra en quelque sorte un système de paiement quasi-universel. Un tel système reste toujours à implanter sur une grande échelle.
L’autre grand problème, largement plus complexe, est celui d’amener le consommateur à accepter de payer pour un contenu autrefois accessible gratuitement et, de plus, de s’assurer que ce même contenu n’est pas accessible ailleurs gratuitement. Or cette barrière du paiement est un des problèmes majeurs auquel fait face l’industrie. Idéalement, il s’agirait de trouver un contenu si exclusif et nécessaire au consommateur que ce dernier franchirait la barrière du paiement pour y avoir accès. Il est hautement improbable que le lecteur paiera pour lire des articles très généraux. Mais plus les articles se spécialisent et répondent à un besoin informationnel précis plus il est probable que le consommateur paiera les quelques sous pour y avoir accès. Chose certaine, les journaux en ligne devront rivaliser de créativité pour aller chercher une clientèle habituée aux nouvelles gratuites et instantanées.
Je me suis renseigné plus amplement sur un des systèmes de micropaiements existant : Press+ (leur site web est accessible ici). Le site définit le système comme un kiosque à journal réinventé pour le 21e siècle. En quelques minutes, l’usager peut ouvrir un compte et lorsqu’il naviguera sur le Web à la recherche d’information, il tombera probablement sur un des partenaires de Press+ qui demandera un micropaiement en échange de certain morceau de contenu. En entrant son mot de passe et son nom d’usager, l’utilisateur pourra accéder au contenu sans avoir à ouvrir un compte pour chaque site. Il s’agit en quelque sorte de l’idée d’un guichet unique pour le paiement virtuel de l’information. Il sera intéressant de voir l’évolution de ce système et de ses compétiteurs dans un avenir rapproché.
Je terminerai ce court billet en spécifiant que les micropaiements sont un modèle parmi plusieurs autres et à mon avis, il est fort probable que plusieurs modèles de rentabilité coexistent sur le marché. Ainsi, on peut imaginer un journal générant des revenus provenant à la fois des micropaiements, des abonnements en ligne traditionnels, des abonnements papiers, des publicités, des petites annonces, etc. C’est un peu le modèle du WSJ. Ce n’est pas les sources de revenus potentielles qui manquent, mais bien un modèle économique fort qui permettrait la pérennité du journalisme tel qu’on l'a connu jusqu’à maintenant. Reste à savoir si les micropaiements s’inséreront durablement dans ce modèle économique.
Commentaires
Bonjour à tous,
Juste un petit mot pour vous dire que je ne pourrai pas répondre à vos commentaires avant 7 heures ce soir puisque je travaille aujourd'hui jusqu'à 6h. Évidemment je serai fort content de trouver à mon retour vos commentaires et je prendrai le temps d'y répondre ce soir.
Bonne discussion!
Bonjour!
La voie que tu empruntes est vraiment pertinente et j'imagine très bien l'avenir de la presse ainsi.
Les paiements par Paypal sont monnaie courante et pourraient constituer une solution fiable (quant à la marge de profit selon moi ça fonctionnerait aussi, mais il me semble quand même que Paypal prend un léger pourcentage des transactions). De plus en plus de gens ont un compte et y font des transactions. De plus, Paypal ne se limiterait pas à un seul journal/magazine.
Effectivement, j'imagine difficilement les gens payer pour du contenu très général de l'actualité qu'on entendra ad nauseam à la télévision ou à la radio tout au long de la journée (sans parler des journaux gratuits qui devraient constituer du contenu gratuit sur le Web). Par contre, ce qui fait la "saveur" d'un média sera, selon moi, ce qui sera recherché et ce dans quoi il faudra investir.
Les éditorialistes devront par contre vraiment avoir un public ainsi qu'une certaine valeur ajoutée par rapport aux commentateurs-internautes que l'on peut lire sur les blogues, les forums ou sur Twitter (ces éditorialistes devront d'ailleurs se retenir de commenter à chaud sur Twitter...).
Je vois plutôt cette situation comme l'occasion de renouveler le journalisme d'enquête, de profondeur, etc. ce journalisme qui prend du temps, des ressources et qui tend à se perdre.
Enfin, j'aime beaucoup ton idée et le succès de l'application "Rue Frontenac" montre, selon moi que les gens sont prêts à payer un certain prix pour avoir accès à du contenu dans lequel ils voient une certaine originalité. Depuis longtemps aussi j'imagine la télévision de demain (dont l'accent bascule de l'écoute de chaînes à l'écoute de programmes) sur ce modèle.
La presse est peut-être dans une mauvaise passe, mais je crois qu'il s'agit d'une bonne occasion pour le journalisme de se renouveler et de devenir meilleur, à condition de trouver une solution rentable.
Bonjour,
Selon un des articles que Guillaume nous invit à consulter, il semble que Paypall prenne 0.25$ par paiement. Je ne sais pas si cela permettrait des profits, peut-être sur une base hebdomadaire ou compilative comme a résolu Apple de le faire. Pour ma part je me range plutôt du côté des détracteurs du micropaiement! Je n'arrive pas à envisager des barrières constantes sur l'inforoute. Je ne ferais que fermer la page.
Par contre, je fais partie de ces gens qui dépensent pour des magazines spécialisés, qui les empilent comme une collection. Je ne voie pas de valeur ajoutée à l'achat d'article en ligne. Peut-être s'il n'y avait pas ou moins de frais pour s'abonner au service d'accès internet pourrais-je contempler l'idée de débourser pour recevoir du contenu spécialisé. Un peu comme la téléphonie , je me souvient d'une époque ou 100$ d'interrurbains mensuel constituait une dépense normale alors qu'aujourd'hui 7$ suffisent pour parler à l'infini! Je crois que la concurrence et une meilleur organisation permettra à l'offre de se consituer en forfait avec des méthodes de paiement faciles sans nécéssiter la constante carte de crédit, les données personnells, les mots de passe. Le système Press+ semble une idée intéressante, par contre leur site n'a rien d'invitant, on ne peut même pas voir d'un coup d'oeil les publications en question. Je n'ai vue que du gris! Mon humeur s'accorde sans doute avec la température...
En tout cas l'abonnement semble l'une des voies du futur, Google n'a-t-il pas annoncé son intention d'utiliser cette méthode pour vendre de la musique à l'instar d'Apple?
http://www.hypebot.com/hypebot/2010...
Marie-Andrée
Bonjour Guillaume,
Aujourd'hui, tout peut être commander en ligne; même la plus petite parcelle de musique et juste avec quelques centimes comme tu l'as fait remarqué dans ton billet. Paypal, n'étant pas le seul système de micropaiement a dû sans doute consentir de petits sacrifices pour garder la clientèle. Les journaux pourraient bien profiter de ce filon pour changer la problématique de la presse qui a basculé depuis déjà quelques dizaines d'années avec l'avènement des TIC.
J'ajouterai aux commentaires de Marie-Claude et de Jacinthe que “Le temps d’Albert Londres est révolu! Ce qui veut dire que pour pouvoir vendre son papier, faudra-t-il que ce dernier ait de la substance. Car, il semble que personne n'est prête à débourser pour accéder à un article en ligne, si ce n'est spécial et particulier. Ceci à cause des dizaines d'autres (journaux, magazines et revues) déjà disponbiles gratuitement. Aujourd’hui étant donné que tout se sait et à l'instant avec Internet qui semble être toujours sur place où l'action se passe; il faut être concis, rapide et ceci dans une présentation presqu'impeccable. Tu l'as tout aussi bien mentionné.
Reste maintenant à explorer le côté du micropaiement qui se révèle intéressant et sans grands dangers. Le fait que le journal serait à moindre coût, ¢5 ou 10 par exemple et ceci sans que l'intéressé n'aurait pas à sortir nécessairement une carte de crédit, ferait toute la différence.
Je pense que ce modèle d'économie pour la presse, n'est pas mauvaise. Reste à l'explorer.
Mais il devrait s'insérer dans un bon plan de marketing stratégique.
Bonjour à tous et merci de vos commentaires sur mon billet! Pardonnez-moi cette réponse tardive, je viens de revenir du travail.
Vos commentaires reflètent la polarisation qui existe au sujet des micros paiements. Je pense que bien des internautes et des clients voient cette stratégie de rentabilité d'un mauvais œil pour de bonnes raisons. D'abord il y a les coûts qui s'additionnent et la perspective de voir ces micros paiements se répandre à travers le web très rapidement comme autant de petits parasites économiques. L'idée de devoir dépenser sans cesse des petites sommes d'argents pour de petits morceaux de contenu peut-être assez rebutante. Par ailleurs, les articles de journaux étant des biens d'expérience, il faut les lire pour en connaître la valeur exacte. Dans ces conditions, seules les publications avec une image de marque forte et une qualité constante pourraient profiter de la vague des micros paiements et obtenir en quelque sorte la confiance du micro payeur.
Selon un article de economicnewspaper.com ( http://economicsnewspaper.com/world... ) il semblerait que la diversification des sources de revenus serait la voie.
À cet égard, je tiens à partager cette citation du même article :
« According to Patrick Eveno, a professor at the Sorbonne University and co-editor of Time magazine media, income diversification activities and has always been the key to sustainability of the press in general. In an interview with Echos he said: “The information has never been profitable. Before the war, many newspapers, like Le Petit Parisien or Paris Evening , and did marketing, entertainment, lotteries or raffles, and that is that they had information about who made them live. This is even truer today in the Internet age. »
Je partage cet avis et je pense que les micros paiements pourront peut-être s’inscrire comme une des sources multiples de revenus. Quand à l’idée de Marie-Andrée voulant que l’abonnement soit la voie du futur, je me permets de dire que l’abonnement ne s’oppose pas a priori aux micros paiements puisque ces derniers peuvent s’adresse à une clientèle occasionnelle par opposition à la clientèle stable des abonnements.
Synthèse
Tout d’abord merci à tous pour vos commentaires pertinents. Voici une brève synthèse de ce qui ressort de nos discussions.
La plupart d’entres vous voient d’un œil favorable les micropaiements. Cependant il semble y avoir un consensus sur la nécessité de réunir certaines conditions pour que le système puisse fonctionner. La première condition est la nécessité d’avoir un contenu de grande qualité, bref, un contenu qui se démarque. J’ajouterai que ce contenu doit sortir des balises du journalisme général et trouver sa niche. À cet égard, il semble y avoir une place pour le journalisme d’enquête, l’éditorial et le journalisme de profondeur. Certains d’entre vous y voient une occasion de renouveler la profession. La seconde condition sur laquelle il semble y avoir consensus est la nécessité de trouver un système fiable et peu coûteux pour faire les microtransactions. On a souligné que les systèmes existants offrent peu d’options de ce côté. Finalement, on a exprimé la nécessité d’avoir un bon plan de marketing stratégique pour qu’une percée significative du micropaiement s’opère.
Une d’entre vous s’est rangée du côté des détracteurs du micropaiement pour diverses raisons. À savoir, le désagrément des barrières constantes sur l’inforoute, le coût trop élevé des transactions elles-mêmes et le manque d’entreprises sérieuses dans ce domaine. Selon cette même personne, l’abonnement constitue encore la meilleure solution pour le paiement des journaux en ligne.
De mon côté j’ai exprimé un point de vue sur la chose qui s’articule autour du fait que le micropaiement n’est une solution monolithique au problème de la rentabilité des journaux en ligne, mais davantage une options de diversification des sources de revenus. En d’autres mots, les micropaiements pourraient être appelés à cohabiter avec d’autres sources de revenus comme la publicité, l’abonnement et divers services complémentaires payants.
Voilà en quelques mots la teneur de notre brève discussion.
Encore une fois, merci à tous pour votre collaboration.
Guillaume Cloutier