Petit retour sur la cuisine du cours en ligne. Il ne s'agit ici que d'une réflexion subjective personnelle, non d'une étude plus approfondie avec recul et recueil de données. À prendre avec ces limites donc.

Après trois années d'un cours en ligne, le montage et le suivi plus ou moins directs de cours et conférences transatlantiques sous différentes formes entre l'Ebsi, l'Ina et l'Ens-Lyon, la participation à un petit film et l'observation d'autres expériences. Il me semble que l'essentiel de la réussite tient d'abord dans le dispositif d'énonciation. Dans ce domaine, la tendance est parfois à la sur-qualité qui nuit à l'efficacité, celle de la production, comme de la réception.

Image animée, image fixe, son, écrit

L'image animée suppose un gros travail de réalisation pour être efficace. Ce film a été enregistré phrase par phrase. Chaque phrase a fait l'objet de plusieurs prises, avec deux caméras, cela a pris 4 heures, juste pour l'enregistrement non compris l'installation du matériel. Le texte avait été rédigé et discuté avec le réalisateur (Julien Sultan Fournier) à l'avance et celui-ci a ensuite construit ses animations pendant plusieurs jours dans un studio spécialisé. Le tout pour un film de 9 minutes. Cela est hors de portée à grande échelle pour de l'enseignement en ligne.

Sauf exception souvent très préparée en amont (ex TED), une conférence enregistrée est peu efficace et délicate à suivre en ligne car monotone et difficile à «feuilleter». La conférence est un dispositif interactionnel avec un auditoire, l'orateur peut hésiter, revenir en arrière, éventuellement se déplacer, réagir, interpeller le public etc. Ce qui compte c'est l'ici et le maintenant. Les cours enregistrés en direct sont souvent irregardables. Cette technique doit être privilégiée pour le synchrone.

Réservons donc l'image animée enregistrée à la promotion qui a une tout autre économie.

L'écrit est apparemment moins couteux et plus efficace, mais il s'agit d'une illusion. Rédiger entièrement un cours, non pour soi-même mais pour les étudiants, est un énorme travail. Tous les professeurs le savent bien et les manuels sont souvent la résultante de plusieurs années de cours qui ont permis d'affiner et de roder un discours dont l'écriture se modèle petit à petit.

D'autre part un cours écrit est soit un scénario déclinable sur différent support, soit un livre. Dans le premier cas, on se retrouve mutatis mutandis dans la même situation que le film avec ses lourdeurs. Dans le second, on peut se demander quelle est la valeur ajoutée par rapport à un livre. L'édition sait très bien faire cela, et la gestion du temps est très différente de celle d'un cours.

La solution retenue pour le cours Économie de l'information, même si elle a aussi ses limites me parait plus efficace et raisonnable. Elle marie plusieurs techniques, mais le corps du cours est constitué de diapositives sonorisées.

Je n'ai pas grand chose à ajouter sur les diapositives, sinon qu'elles doivent répondre aux mêmes critères que celles qui illustrent un cours traditionnel avec un accent plus fort mis sur la coïncidence entre le son et le pointage sur l'image par des animations sobres et simples (par ex Module 4 Diapo 3 et 36).

L'enregistrement du son est moins familier aux professeurs et trois années successives m'ont donné une petite expérience dont voici quelques leçons.

J'enregistre et mixe le son, diapositive par diapositive, tout seul au calme devant mon ordinateur. Pour cela j'utilise Audacity. Un enregistrement de son est représenté ainsi :

Son-cours-SCI6355.jpg

Cette représentation visuelle autorise très facilement le montage, c'est à dire le copier-coller à l'instar d'un traitement de texte dans l'écrit. Aussi je n'écris rien de mon commentaire. J'enregistre directement, je bafouille, je répète jusqu'à trouver la bonne énonciation et je coupe et monte au fur et à mesure. Le montage peut être très fin grâce au zoom sur la représentation du signal. D'une année sur l'autre, je peaufine, changeant tout une diapositive ou simplement un bout de phrase ou même un mot, c'est selon.

Il s'agit d'une sorte d'écriture de la parole. Elle a l'avantage de sa très grande souplesse. Elle ne ressemble pas vraiment à une parole naturelle. Les silences sont raccourcis, les respirations coupées, le ton moins accentué. Cela peut surprendre au début à l'écoute, mais j'ai le sentiment qu'on s'y habitue très vite car sa supériorité est la densité du propos. Chaque mot est juste et à sa place. On peut, de plus, facilement y revenir par la navigation diapositive par diapositive.

Bien sûr, la première année l'enregistrement de la totalité du son est un lourd travail, moins lourd néanmoins que la rédaction totale du cours. Et le document final est un capital que l'on améliore, actualise, enrichit ensuite d'une année sur l'autre. Dès lors sur trois années, l'investissement primitif devient vraiment intéressant et les étudiants en sont les premiers bénéficiaires car le cours s'améliore.

Ce document visuel et sonore, monté pour ce cours sur Adobe Presenter, à l'avantage de pousser l'attention de l'étudiant par le flot du son tout en gardant la flexibilité du feuilletage et la précision du contenu.

Attention, assiduité et participation

Le second défi du cours à distance est l'attention et l'assiduité de l'étudiant. Dans un cours traditionnel, l'étudiant est tenu d'être dans la salle, d'écouter le professeur. voire de participer aux discussions. Même si cette obligation est relative, la pression est là. Le dispositif est conçu pour cela (horaires réguliers, organisations des salles, face à face..). À distance cette pression saute.

Il serait démagogique et peu efficace de s'en remettre à la simple responsabilité de l'étudiant. Il faut alors construire un autre dispositif pour le mettre en condition d'apprentissage. Pour cela, le réseau est un outil très différent.

Voici comment je m'y suis pris pour «forcer» la participation des étudiants. À la fin de la première semaine, les étudiants avaient un examen sous forme d'un quiz dont les réponses demandaient réflexion. Chaque étudiant avait 5 questions tirées au sort parmi une vingtaine. L'ensemble des questions a été mis en ligne au début du cours et un forum a été ouvert pour qu'ils puissent en discuter. Ils avaient évidemment intérêt à proposer leur réponse à toutes les questions, puisqu'ils ignoraient lesquelles leur seraient posées. Ils n'ont pas manqué d'en débattre et ainsi d'amorcer un dialogue confiant et constructif entre eux autour de la thématique du cours.

La deuxième semaine le débat s'est déplacé sur le blogue, c'est à dire sur un espace public où le statut de la prise de parole est différent, plus risqué. Chaque étudiant avait un billet à rédiger sur une thématique de son dossier et, en même temps, devait commenter 3 billets de ses collègues nommément désignés. Là encore les échanges ont été fournis.

La troisième semaine, ils ont analysé une étude de cas en équipe puis ont donné leur avis sur le diagnostic final, sachant qu'une question de l'examen porterait dessus.

Voici donc quelques éléments mis en place pour remplacer la pression du dispositif présentiel. D'autres pourraient être sûrement imaginés. Ceux-là ont montré une certaine efficacité.