L'évangile selon Saint Marc (Zuckerberg)
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 03 février 2012, 13:14 - Web 2.0 - Lien permanent
Facebook a donc initié le processus de son introduction en bourse. Le point de départ est le dépôt d'un formulaire officiel, dit S1 qui fournit toutes les informations utiles aux futurs actionnaires, et donc enfin des chiffres indiscutables (mis sous Pdf par J. Battelle). Celui-ci a évidemment fait l'objet de très nombreux commentaires. On en trouvera un bon résumé sur le Journal du Net.
Pour l'aspect financier, je ne retiendrai que deux points dont il faudra surveiller l'évolution. Le chiffre d'affaires de Facebook, relativement modeste comparé à son implantation mondiale, montre deux sources de revenus : la première, attendue, est la publicité ; la seconde est le "paiement", c'est à dire les revenus issus de sa monnaie virtuelle, les Facebook Credits. Cette seconde source est récente mais prend de l'ampleur. Il semble que le principal de ces revenus proviennent des jeux et tout spécialement de Zinga. Difficile d'en tirer de grandes conclusions pour l'instant.
Mais le plus étonnant, pour moi, est le ton de la traditionnelle lettre du fondateur, Marc Zuckerberg, qui accompagne le dossier. On en trouvera ci-dessous de larges extraits (trad. JMS). N'oublions pas qu'il s'agit dans ce document de trouver de futurs actionnaires pour Facebook.
A l'origine, Facebook n'a pas été créé pour être une entreprise commerciale. Il a été construit pour accomplir une mission sociale : rendre le monde plus ouvert et connecté. (..)
Aujourd'hui, notre société a atteint un nouveau point de bascule. Nous vivons un moment où la majorité des gens sur la terre ont accès à l'internet ou à la téléphonie mobile, les outils de base pour commencer à partager ce que ils pensent, ressentent et font avec qui ils veulent. Facebook aspire à construire les services qui donnent aux gens le pouvoir de partager et les aider, une nouvelle fois, à transformer un grand nombre de nos principales institutions et industries.
Il y a à la fois un énorme besoin et une énorme occasion pour connecter tout le monde, pour donner à chacun une voix et pour aider à changer la société pour le futur. L'ampleur de la technologie et de l'infrastructure à construire est sans précédent et nous croyons que c'est le plus important des problèmes auquel nous devons nous atteler. (..)
A Facebook, nous construisons des outils qui aident les gens à se connecter avec les personnes qu'ils souhaitent et partager ce qu'ils souhaitent, et ainsi faisant nous élargissons les capacités à construire et entretenir leurs relations.
Le fait de partager plus, même simplement avec ses amis proches ou sa famille, crée une culture plus ouverte et conduit à une meilleure compréhension de la vie et des perspectives des autres. Nous croyons que cela crée un plus grand nombre et de plus solides relations entre les gens, et que cela aide les gens à être exposés à un plus grand nombre de points de vue différents.
En aidant les gens à réaliser ces connexions, nous espérons reorienter la façon dont les gens diffusent et consomment l'information. Nous pensons que l'infrastructure informationnelle du monde devrait ressembler à un graphe social, un réseau construit à partir de la base ou pair à pair plutôt que la structure monolithique descendante qui existe aujourd'hui. Nous croyons aussi que donner aux gens le contrôle sur ce qu'ils échangent est un principe fondamental de cette réorientation.
Nous avons déjà aidé plus de 800 millions de personnes à établir plus de 100 milliards de connexions, et notre objectif est d'accélérer cette réorientation. (..)
Comme les personnes partagent plus, ils ont accès à plus d'opinions de personnes en qui ils ont confiance sur les produits et services qu'ils utilisent. Cela rend plus facile la découverte des meilleurs produits et l'amélioration de leur qualité de vie.
Faciliter la découverte de meilleur produit permet de récompenser les entreprises qui les réalisent, les produits qui sont personnalisés et conçus autour des gens. Nous nous sommes aperçus que les produits qui sont "sociaux par conception" (social by design) ont tendance à être plus impliquants que leurs homologues traditionnels, et nous sommes impatients de voir plus de produits s'engager dans cette direction dans le monde. (..)
En donnant aux gens la possibilité de partager, nous commençons à voir qu'ils font entendre leur voix à une échelle différente de ce qui était historiquement possible. Ces voix vont augmenter en nombre et volume. Elles ne peuvent être ignorées. Avec le temps nous pensons que les gouvernements répondront mieux aux questions et préoccupations issues directement de leur peuple plutôt qu'au travers d'intermédiaires contrôlés par une élite.
Grâce à ce processus, nous croyons que les leaders émergeront dans tous les pays qui seront pro-internet et se battront pour les droits de leur peuple, y compris le droit de partager ce qu'ils veulent et le droit d'accéder à toute information que d'autres voudraient partager avec eux. (..)
Dis simplement : nous ne construisons pas des services pour faire de l'argent ; nous faisons de l'argent pour construire de meilleurs services.
Et nous pensons que c'est une bonne façon de construire quelque chose. Je crois qu'à notre époque de plus en plus de gens veulent utiliser les services de sociétés qui croient en quelque chose, au-delà de la recherche du profit maximum. (..)
A lire son fondateur et principal actionnaire, Facebook ressemble plus à une église qu'à une entreprise. Décidément, le Web est porteur d'une puissante idéologie, y compris là où on l'attendrait le moins. A méditer.
6 fev 2012
Et derrière les jeunes prophètes piaffent :
Réseaux sociaux: Tumblr détrônera-t-il Facebook ?
Au début du millénaire, on parlait de nouvelle économie. Aujourd'hui l'économie n'a plus la cote, la politique l'a remplacée :
"La génération qui a grandi avec internet montre que son monde est différent, et qu'elle contrôle les gouvernements", veut croire ce New Yorkais à la ligne de modèle -il a été choisi par la griffe japonaise de prêt-à-porter Uniqlo pour la campagne de lancement de son grand magasin de New York- dont la frange tombe juste au dessus de ses yeux clairs. (il s'agit de David Karp).
On est plus que jamais dans l'idéologie libertarienne. Mais j'ai peur que la désillusion soit la même.
27-02-2012
Sur les difficultés de la vente sur Facebook :
« Gamestop to J.C. Penney Shut Facebook Stores », Bloomberg, s. d., ici.
et :
Quand vous ne voyez pas le service, c’est que vous êtes le produit !, InternetActu
28-02-2012
Sur le don't be evil de Google (cf commentaires) :
« On Google & Being “Evil” ». Marketing Land.
Commentaires
Salut Jean-Michel,
faut que je remette la main dessus, mais, de mémoire, la lettre d'introduction en bourse de Google avait exactement la même tonalité "religieuse".
En même temps, c'est conforme et cohérent à l'étymologie première du mot : "lier, re-lier, créer du (des) lien(s)" ;-)
Salut Olivier,
Oui et non. La S1 de Google est là :
http://www.buec.udel.edu/pollacks/A...
La lettre rédigée par L. Page, et cosignée avec S. Brin et E Schmidt, commence de la même manière que celle de M Z et développe nombre d'arguments similaires :
"Google n'est pas une entreprise commerciale conventionnelle. Nous ne cherchons pas à le devenir. Au cours de l'évolution de Google avant sa mise en bourse, nous l'avons gérée différemment. Nous avons aussi mis l'accent sur une atmosphère de défis et de créativité, qui nous a aidé à proposer des informations non-biaisés, pertinentes et libres à ceux qui comptaient sur nous dans le monde."
La référence quasi-religieuse est bien là. Mais la lettre comprend aussi nombre de clins d'oeil envers les actionnaires, sans doute l'influence de ES, qu'on ne trouve pas du tout chez MZ.
Incidemment, cette partie du Pdf est non copiable et non imprimable...
Encore un sujet de thèse pour étudiants futés ?
Question subsidiaire : Dieu est-il un graphe ou un Pagerank ?
Amusante la question. subsidaire...
J'y vais de ma réponse: Dieu est un graphe de graphe (certains disent Internet) et les religions sont des Pagerank.
Ce qui m'amène à une autre question, à développer vu la tentance à la fermeture de Google, y-a-t-il des pagerank alternatifs (conceptuellement certainement, mais pratiquement qui peut casser le monopole de Google ?)
Je pense à des solutions folles du type: déclarer l'algorithme trésors de l'humanité par l'UNESCO....mais est-ce si déraisonnable ?