Facebook, suite à son entrée en bourse, présente pour la première fois ses résultats trimestriels. Ainsi nous pouvons maintenant suivre plus lucidement l'évolution de la firme. Pour autant le décryptage n'est pas évident car il se confirme qu'il ne s'agit pas d'une firme comme une autre. Les résultats officiels sont accessibles ici. Ci-dessous quelques leçons que j'en ai tirées.

Priorité à la publicité

Après un trimestre inquiétant, le chiffre d'affaires est reparti à la hausse tout en restant modeste par rapport à la croissance en volume de la firme (1.184 M de $). La croissance ne provient que de la publicité qui reste la part principale des revenus. La tentative de monétisation des services, principalement les jeux, semble stagner d'autant que le plus gros "joueur", Zynga, a présenté des résultats décevants ce trimestre (ici).

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Facebook a toujours eu du mal à attirer les annonceurs. Il y a une raison structurelle que l'on pourrait appeler l'effet "Séraphin Lampion" : comme le capitaine Haddock, nous préférons les amis désintéressés. A celle-ci vient s'ajouter le fort développement de l'usage de FB par le téléphone mobile qui augmente encore la difficulté.

Priorité au management

L'effort semble toujours mis sur la R&D et sur le management, au détriment des résultats financiers. La firme affiche ainsi des pertes ce trimestre de 150 M de $... justifiées par la distribution d'actions aux salariés.

Les boursiers l'ont maintenant compris et la firme se trouve à la valorisation boursière attendue par les plus lucides, autour des 22 $ (ici)

La firme dispose de 10,2 milliards de cash dont 6,8 proviendraient du résultat net de l'entrée en bourse. C'est un chiffre intéressant à la fois parce qu'il montre que la firme dispose de liquidités pour financer sa croissance, mais aussi inversement parce qu'il démontre bien que la firme s'appauvrit et vit toujours sur la spéculation. En effet si l'on retire l'apport boursier, nous arrivons à une somme de 3,4 milliards, soit 0,5 de moins que le cash annoncé dans le document d'entrée en bourse. Dans l'intervalle, seul l'achat d'Instagram qui représente en cash 0,3 milliard de dépense est notable (ici).

L'Occident finance la croissance de Facebook dans le reste du monde

Aujourd'hui la crise touche l'Occident tandis que les pays dits émergents tirent l'économie mondiale vers le haut par une croissance à deux chiffres. Mais pour le développement de Facebook, la situation est plutôt inversée : c'est l'Occident qui finance la croissance du réseau dans le reste du monde. Deux figures le montrent clairement.

Facebook-ARPU-Q2-2012.png Le revenu moyen par usager aux Etats-Unis (3,2 $) est aujourd'hui plus du double de celui de l'Europe (1,43), six fois supérieur à celui de l'Asie (0,44) et plus encore comparé au reste du monde. Sur deux années, ce revenu a légèrement augmenté pour ces derniers pays, tandis qu'il passait de 1,87 à 3,2 aux US.

Facebook-usagers-Q2-2012.png Inversement, il y a aujourd'hui plus d'usagers FB non-occidentaux qu'occidentaux. Le croisement des courbes a eu lieu au milieu de l'année 2011. On voit sur la figure qu'en nombre d'usagers la croissance de FB stagne maintenant aux Etats-Unis, Canada et Europe tandis qu'elle reste fortement orientée à la hausse dans le reste du monde.

Si l'on croise ces différentes informations, on constate que la firme n'a pas de souci à court terme pour sa croissance et son innovation du fait de l'argent frais récupéré en bourse. Cela correspond bien à la culture d'origine de l'entreprise. Inversement sauf changement stratégique majeur en direction du commercial et donc rupture par rapport à sa culture originelle, on voit mal comment elle pourra valoriser sa croissance à l'extérieur de l'Occident qui risque de peser de plus en plus lourd dans ses charges (ici).

Mais on peut faire une tout autre lecture de cette évolution et considérer que l'implantation internationale de Facebook devient maintenant un enjeu géopolitique pour les Etats-Unis, un peu à l'image de la stratégie d'implantation internationale du cinéma hollywoodien au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les exemples des conséquences politiques de l'usage de FB dans les pays non-occidentaux ne manquent pas. En effet, la firme est à la fois un outil important de promotion du modèle occidental à l'échelle mondiale et un précieux outil de connaissance et de surveillance du comportement des populations. Si l'on suit cette interprétation, il est probable qu'on saura trouver sur le marché américain de quoi maintenir la bonne santé de la firme.

18 août 2012

Un peu naïf, mais significatif de l'avenir de l'économie politique de la firme :

Howard, Philip N. « Let’s Nationalize Facebook ». Slate, août 16, 2012.

30 Août 2012

Voir INA-Global Facebook : le boom des pays émergents