Après avoir lu le compte-rendu de quelques propos de Nicolas Seydoux à la commission Lescure, cela m'a rappelé un délicieux éditorial paru il y a plusieurs mois dans un journal anglais. Le titre et le ton font, bien entendu, référence à une célèbre modeste proposition précédente : For Preventing The Children of Poor People in Ireland From Being Aburden to Their Parents or Country, and For Making Them Beneficial to The Public de Jonathan Swift (trad wikisource).

Hon, Adrian. « Eternal Copyright: a modest proposal ». Technology - Telegraph Blogs, février 20, 2012.

Quelques extraits pour donner envie de lire le reste (trad JMS)

Supposons que vous soyez un jeune parent de 30 ans et que vous veniez de publier un roman à succès. Sous le système actuel, si vous vivez jusqu'à 70 ans et que vos descendants ont eu leurs enfants à 30 ans, les droits d'auteurs de votre livre, et donc leurs produits, profiteront à vos enfants, vos petits-enfants, vos arrières-petits-enfants et vos arrières-arrières-petits-enfants.

Mais qu'arrivera-t-il, je vous le demande, à vos arrières-arrières-arrières-petits-enfants ? Qu'auront-ils ? Comment nos lois peuvent-être à ce point sans cœur pour leur retirer le bénéfice de votre dur labeur au nom d'un concept bien pensant comme le "bien public", simplement parce qu'ils sont nés un petit siècle et demi après que le livre ait été écrit ? Après tout, quand vous avez écrit votre livre, il est sorti directement tout formé de votre esprit, sans avoir eu besoin de vous inspirer d'autres œuvres, vous ne devez rien au public. Et qu'est-ce que le public pourrait bien faire avec votre livre s'il l'avait ? Très vraisemblablement, il n'en ferait que quelque chose de moins bien.

Non, il est clair que la loi est inappropriée et injuste. Nous devons nous tourner vers un droit d'auteur éternel. (...)

Cependant pour être tout à fait juste, le droit d'auteur éternel devrait être appliqué rétroactivement afin que les générations actuelles puissent bénéficier du travail de leurs ancêtres plutôt que de permettre à des étrangers de s'emparer de leur héritage. En effet, de quel droit Disney et la BBC ont-ils adapté Alice au pays des merveilles, La belle au bois dormant et Sherlock sans rien payer aux descendants de Lewis Carroll, des frères Grimm et d'Arthur Conan Doyle ?

Bien entendu, il y aura quelques conséquences bizarres. Par exemple, l'ensemble des juifs profiteront plutôt bien de leur droit d'auteur éternel sur la plus grande part de la Bible et les plus proches descendants de Shakespeare recevront tous les retours des milliers de représentations et d'adaptations de ses pièces. De l'argent bien gagné, nous en conviendrons tous. (...)

Évidemment, nous ne voulons pas entendre les suggestions qui voudraient élargir le périmètre du "fair use" et, horreur !, réduire la durée du droit d'auteur à simplement la durée d'une vie ou même moins. Non seulement cela priverait nos arrières-arrières-arrières-petits-enfants de leur droit de naissance, mais cela étoufferait la créativité nous plongeant dans l'âge des ténèbres du 18e et 19e siècle, une période désespérément maigre pour les arts dans laquelle nous devions nous contenter de simples plumitifs comme Wordsworth, Swift, Richardson, Defoe, Austen, Bronte, Hardy, Dickens, et Keats.

Voulons nous vraiment revenir à ce monde ? Je ne le pense pas.