La ville de Lyon a-t-elle eu raison de contractualiser avec Google ? OUI, MAIS !
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 18 janvier 2013, 11:34 - Cours - Lien permanent
Billet rédigé par Marine Vandermeiren, Cécile Etesse, Mathilde Dumaine et Julie Arros dans le cadre du cours Ecosystème du document de l'Enssib.
Il est des sujets d’actualité qui font couler de l’encre… même derrière un écran. Parmi eux, on peut citer le cas de la toute nouvelle bibliothèque numérique Numelyo, lancée par la Bibliothèque municipale de Lyon mi-décembre 2012. Celle-ci est le résultat d’un contrat passé entre la ville de Lyon et Google en juillet 2008, confiant au « géant tentaculaire » l’opération technique de numérisation du fonds ancien de la bibliothèque.
La ville de Lyon a-t-elle eu raison de contractualiser avec Google ? Telle est la question à l’origine de débats sur la blogosphère et des deux côtés, les arguments sont nombreux et souvent pertinents.
Un partenariat novateur et audacieux ...
Tout part du projet originel : y avait-t-il vraiment une alternative possible ? Un article de Télérama rappelle qu’un appel d’offre avait été lancé pour cette entreprise de numérisation auquel seul Google a répondu... Par ailleurs, l'ancien directeur de la BmL, Patrick Bazin, souligne la nécessité de ce partenariat sans lequel la bibliothèque n’aurait pas pris le virage numérique. Rappelons également, avec S.I.Lex que les clauses du contrat prévoiyaient que Google n’ait pas d'exclusivité d'indexation, ce qui constitue des conditions de négociations très favorables à la BM de Lyon, inédites jusqu’alors.
Et, en acceptant d’être résolument optimiste, ne pourrait-on pas dire que - en reprenant les termes de Robert Darnton dans un article de 2009 - ce contrat constitue un pas de plus vers la « démocratisation du savoir » ? Selon lui, la numérisation à grande échelle entreprise par Google participe pleinement de ce processus. A ce propos, il parle même de "pas tangible vers l’instauration d’une république des lettres et d’une citoyenneté universelle au sein de cette république". La valorisation des collections entreprise par la BmL relève de la même logique.
Mais R. Darnton nuance son propos, en insistant sur les regards croisés : se contenter d'un point de vue américain serait restrictif. Comme il l'exprime dans cet article, les Européens auraient tout intérêt à numériser leurs propres collections. Il précise à ce sujet que Google aurait une dévotion à l'intérêt public dont il se méfie.
Cela illustre bien l'ambiguïté de la phase de numérisation : loin de se réduire à une simple opération technique, celle-ci mêle toujours, de manière étroite, enthousiasme et incertitudes.
... encore loin de faire l'unanimité.
En effet, il ne faudrait pas oublier trop rapidement que « nouveau contrat » rime aussi avec problèmes techniques et enjeux juridiques. Au-delà de la menace d'un monopole du géant américain, différents points justifient que l’initiative de la BmL ne fasse pas l’unanimité.
Quid de l’opération de numérisation en elle-même ? En réalité, celle-ci pose deux questions toujours en suspend : celle de la pérennité et celle de la qualité. Il n’y a aucune garantie que les fichiers produits par Google puissent être lus dans quelques années, et l’entreprise numérise « uniformément », sans faire de différences entre les documents ni entre leurs éditions. En outre, les documents sont numérisés par des machines, donc pas à l’abri d’erreurs potentielles… R. Darnton émet lui aussi ses réserves quant à la pérennité des documents en parlant de la qualité de la numérisation, qui pourrait ne pas être complétement irréprochable, ainsi que des garanties de conservation.
D’un point de vue juridique, certains ont dénoncé les restrictions consenties par la BmL, en particulier la clause qui garantit l’exclusivité commerciale de 25 ans : jusqu’en 2033, la BmL ne pourra pas commercialiser les fichiers numérisés. Ce point n'est pas un obstacle majeur pour la BML qui n'a pas vocation à commercialiser ces données, mais cela pourrait devenir une possible menace en cas de changement de stratégie de la part de Google.
L’avenir dira si ces craintes sont fondées. Notons que la BnF - à l'époque de la signature du contrat - ne regardait pas ce partenariat d'un bon œil. Cependant, à l'heure actuelle, les tensions se sont apaisées et la BnF soutient le choix lyonnais, comme le note Rue89.
Mais un autre point mérite ici d’être noté : il semble bien que, contre toute attente, le débat qui avait pour origine la signature d’un contrat entre un service public et une entreprise privée se soit décalé. En lisant ici ou là, on a le sentiment que les critiques portent moins sur le bien fondé de cet accord que sur la manière dont il a été mis en œuvre par la BM de Lyon. Citons notamment l’utilisation d’une licence Creative Commons sur les documents pourtant tous issus… du domaine public, ce qui mène certains à parler de copyfraud. A cela s'ajoute des conditions d'utilisation... étonnantes : "En cas de publication sur quelque support que ce soit (livres, revues, journaux, affiches cartes postales imprimés ou électroniques, objets divers, internet…), l’utilisateur est tenu d’indiquer clairement la provenance du document telle qu’elle figure sur le site de Numelyo, sous la forme Bibliothèque municipale de Lyon, cote du document et de prévenir la Bibliothèque municipale de Lyon de la publication". La question pertinente ici serait peut-être davantage : est-ce toujours légitime de raisonner à partir du binarisme public/privé, service public/entreprise, à l’heure où nombre de ces logiques convergent et où les fractures semblent ne plus être là où on les attend ?
Commentaires
Finalement, quel est votre point de vue ? Auriez-vous signé ce contrat ?
La réponse est contenue dans le sous-titre de notre article : "Oui, mais". En un sens, il y a actuellement un relatif consensus sur cette question -comme nous l'avons pointé à la fin-, auquel nous adhérons. Mais l'approbation globale du partenariat ne doit pas empêcher d'être vigilant sur l'application qui en sera faite, son orientation, ses éventuelles dérives, etc. Il s'agit moins d'apprécier la valeur d'un contrat signé à un instant T., que de garder un point de vue critique sur la manière dont il peut être potentiellement utilisé.
Je parle ici en mon nom mais je crois que mes camarades partagent ce point de vue.
Je suis entièrement d'accord avec le commentaire de Julie.
A partir de l'opposition public/privé, on peut cependant, il me semble, se poser des questions importantes telles que : peut-on confier son patrimoine culturel (public) à un seul opérateur (privé) ?
Je ne pense pas que cette segmentation soit à mettre de coté, mais que c'est au contraire à partir d'elle que la critique d'une telle situation devient possible. Au secteur public et privé correspondent deux logiques contradictoires. Les bibliothèques ne s'inscrivent pas (encore?) dans une logique de marché, alors que Google serait peut-être la firme qui aujourd'hui symbolise dans toute sa quintessence cette logique. Pourquoi Google voudrait-il entrer en partenariat avec des bibliothèques ? On a du mal à s'imaginer que ce soit par pur altruisme...
Les fichiers de la BML sont disponibles via le moteur de recherche. Google bénéficie donc de tous les avantages de la numérisation du patrimoine, via la valorisation publicitaire qui accompagne ces données. A rebours d'une valeur confisquée cependant - comme c'est le cas dans la confrontation entre Google et les éditeurs de presse - il n'y a pas ici de rivalité sur le plan publicitaire : les bibliothèques n'ont pas affaire avec ce marché. Celles-ci n'ont jamais vendu de l'intention comme l'ont toujours fait les journaux (cf. 7 piliers du doc). De son coté, en numérisant les collections des bibliothèques, Google parvient à créer de la valeur marchande là où il n'y en avait pas : en plaçant par exemple de la publicité à coté des incunables.
Et si les bibliothèques françaises, qui subissent aujourd'hui les restrictions budgétaires que l'on connaît, laissaient portes ouvertes aux annonceurs ? Il y aurait sans doute là de quoi devenir rentable, de proposer même, par suite, des services plus efficaces, plus impressionnants, plus adaptés aux besoins des consommateurs -pardon- usagers. Imagine-t-on des publicités sur les étagères des bibliothèques ?
La perte de la distinction public/privé, ou de la distinction missions du service publique et logique de rentabilité privée me semble préjudiciable : ce serait là tomber dans ce que Herbert Marcuse nomme l'unidimensionalité. Une société sans opposition où « l'appareil de production [ici Google] tend à devenir totalitaire dans le sens qu'il détermine, en même temps que les activités, les attitudes et les aptitudes qu'implique la vie sociale ». Pourquoi pas ? L'unidimensionalité dont parle Marcuse semble rejoindre la thèse des stratégies d'enfermement que nous avons évoqués concernant Google, Amazon, Apple...
L'apparence d'un partenariat équilibré avec Google me semble relever du plus pur simulacre. Cependant, et comme le souligne Julie, les bibliothécaires ont des objectifs et des modes d'organisations cohérents (travail d'indexation et de classement, etc.) qui devraient leur permettre de réinscrire la démarche de Google dans une logique plus respectueuse des finalités de la conservation du patrimoine. Il s'agirait de défier Google plutôt que de le critiquer. Je suis d'accord avec vous : relevons nos manches...
(Mais tout de même, offrir un nouvel espace publicitaire à Google : un dommage collatéral pour l'édification d'une "bibliothèque universelle accessible à tous" ?)
pour répondre à Lison :
On peut se poser la question du poids de Google. Mais comme les auteurs de l'article, je pense que la bibliothèque de Lyon à eu raison au moins sur le fond.
Comme le rappelle Patrick Bazin " On nous a répondu : "Le numérique, c'est du vent, la vraie pensée, c'est la lenteur." Etonnez-vous qu'on ait perdu la main, aujourd'hui... » (http://www.telerama.fr/livre/lyon-s... ), sans ce partenariat, la bibliothèque de Lyon n'aurait pas pu numériser.
Alors oui on peut s'interroger sur les modalités de cet accord, sur les arrières pensées de Google ( c'est une entreprise, il faut forcément qu'elle y gagne quelque chose, ce doit être rentable), mais dans le fond, il fallait numériser et Google à été le seul à répondre à l'appel d'offres.
La numérisation permet un accès à un public beaucoup plus large (je pense notamment aux personnes éloignées géographiquement, à celles qui ne peuvent pas se déplacer pour X raison, et même aux personnes non habituées à aller en bibliothèque), en cela, la numérisation répond au manifeste de l'UNESCO (http://www.unesco.org/webworld/libr... )
" Toute personne, quel que soit son âge, doit avoir accès à une documentation adaptée à ses besoins. Les collections et les services doivent faire appel à tous les types de supports et à toutes les technologies modernes, de même qu'à la documentation traditionnelle".
et qui à part Google aurait pu numériser un tel fonds ?
On peut penser aux bibliothèques numériques existantes comme Gallica et Europeana. Reste que de tous les acteurs, Google est le plus visible particulièrement pour les non initiés.
Pour ma part, je prendrai le contre-pied de la position de Lison (désolée…). Je crois que l’opposition public/privé n’est pas pertinente voire qu'elle est dépassée dans ce cas et dans d’autres. Il s’agit davantage du déséquilibre entre les deux contractants que de leur appartenance au secteur public ou privé (chose qui est bien décrite dans l'article). Après tout, les mêmes déséquilibres problématiques peuvent se produire entre deux personnes privées, deux personnes publiques, ou entre une personne publique et une personne privée à l’avantage de la personne publique. Exceptés les domaines régaliens sensibles (justice, défense, sécurité intérieure, monnaie, diplomatie), le service public peut être délégué à une personne privée sans heurts. La gestion de l’eau potable elle-même est confiée à des entreprises privées ! Pourquoi pas le patrimoine ?
J’irai plus loin, je pense que les partenariats publics/privés constituent des contrats d’avenir. Il s’agit pour les personnes publiques de se donner les moyens d’offrir un service public de qualité dans un contexte où les fonds publics ne sont pas illimités. Faire appel au privé fait partie de la modernisation des moyens d’action pour gagner en efficacité. Le service public doit s’adapter à l’économie de marché.
Evidemment, je suis d'accord, l’enjeu est de ne pas négliger la qualité du service en partant à la chasse à la performance. L’intérêt général doit primer sur le reste, certes. Le service public doit respecter ses trois grands principes : égalité, adaptabilité, continuité. De fait, le contrat avec Google vise à offrir un accès égal pour tous aux documents ; l’adaptabilité est nette avec le recours aux nouvelles technologies ; enfin, l’appel au privé illustre le respect de la continuité du service public quand les moyens publics ne suffisent plus. La numérisation semble bien pensée et contrôlée par les acteurs des bibliothèques pour sauvegarder la qualité. Quant à l’espace publicitaire de Google, c’est en effet un point qui peut déranger : je parlerais plutôt de compromis que de sacrifice. Ainsi ce contrat me paraît être une chance pour les deux co-contractants. Google met en avant la pertinence de ses contenus outre les bénéfices économiques qu'il tirera du contrat ; tandis que la ville de Lyon se donne les moyens de la numérisation et se donne une visibilité à grande échelle et une image de précurseur.
La limite que je retiens de cette contractualisation : la faible marge de manœuvre de la ville notamment en cas de changement de stratégie de Google. D’autant plus que si l’exclusivité n’est pas formelle en droit, elle l’est concrètement. Il y a donc une certaine hypocrisie de Google qui joue de sa position de leader et fait mine de laisser une liberté à la ville en sachant qu'elle ne pourra pas réellement s’émanciper de lui. Mais, à l’évidence, la ville accepte cette position !
S’il est dur de se prononcer dès maintenant sur la réussite du contrat à long terme et de voir si son application sera ou non bénéfique, je pense, comme les auteurs de l’article, que la ville a eu raison de contractualiser avec Google. Si le passage de la théorie à la pratique n’est pas aussi concluant que la ville l’espère, cela permettra néanmoins de tirer des leçons de l’expérience pour la BML et les autres bibliothèques de France. Cela permet d’éprouver la gestion par une entreprise privée du patrimoine (ainsi Lison et moi-même pourrons tomber d’accord sur des faits !).
Je conclurais ce long commentaire en disant que l’enjeu principal, aujourd'hui que le contrat est signé, est de gagner la confiance des différents acteurs dont – et surtout - les usagers pour que ce contrat puisse avoir une chance de réussir et n’être pas condamné avant d’avoir vraiment vu le jour !
Quelque précisions concernant mon commentaire :
Je ne suis pas pour diaboliser Google ou le privé, ou même pour dire que la BML n'aurait pas dû signer ce contrat. Ma remarque est toute théorique : je pense qu'il faut garder en tête la distinction public/privé pour pouvoir appréhender correctement les accords divers et variés qui peuvent être fait ici ou là. Je ne parle pas d'une distinction qualitative, mais d'une distinction conceptuelle.
C'est une position toute théorique, non un déni de faits pratiques. Évidemment, concrètement, les enjeux financiers sont là; parfois sans doute, le recours au privé est nécessaire, comme tu le dis très bien Aurore. Simplement, il me semble dangereux d'occulter cette distinction qui donne son rôle à chacun. Le danger, il me semble, serait d'oublier les visées et perspectives des deux secteurs. Ces dernières me semblent conditionner tous les types d'accord qui peuvent être pris entre le public et le privé, je dis simplement : ne l'oublions pas. Ce qui peut d'ailleurs relever de l'évidence.
Comme déjà dit, le public à des missions à remplir (dont l'opacité est elle-même parfois problématique et ces missions sont souvent à redéfinir sans cesse), alors que le privé à tendance à suivre ses propres intérêts économiques. Je pense que nous sommes d'accord sur la nécessité de penser la relation public/privé comme la jonction de deux entités différentes.
Il me semblait nécessaire, au vu de la conclusion de l'article, d'insister sur le rôle différent que joue chacun pour éviter d'amalgamer les deux partis lorsque ce genre de problématiques se pose. Je ne dis pas que des accords entre le public et le privé sont à proscrire.
Je suis pour une dialectique en quelque sorte : d'un coté le public, de l'autre le privé, puis enfin la synthèse...Ensuite, pour penser ces phénomènes, décomplexifier la chose en partant du composé : ici, le contrat Google/BML pour arriver au simple sous la forme 1. qu'est ce que la BML? 2 Qu'est ce que Google? 3. Qu'est ce que ce contrat ?
Encore une fois, mon commentaire ne se rapportait pas aux faits, mais à la manière de les théoriser. Je ne crois pas, en avançant cela, me rattacher à ce que l'on peut nommer les vieilles habitudes gauchistes françaises (même si ça en à tout l'air, je vous l'accorde), ce sont plutôt mes anciens réflexes philo qui resurgissent...
J'interviens dans votre débat Lison et Aurore:
En fait, vous me semblez avoir toutes les deux le même avis. Les partenariats publics-privés sont utiles, parfois nécessaires. Mais comme le dit Lison, et je suis d'accord, il ne faut pas confondre le public et le privé.
Ils ont des objectifs différents.
En France particulièrement, la distinction est assez claire (il me semble). A l'étranger, particulièrement aux Etats Unis c'est moins net.
Je pense aux bibliothèques américaines qui comme dit dans l'article ont pris "le virage numérique" (expression que je trouve révélatrice de la continuité livre et livre numérique), mais sans aide de l'Etat. Ce sont elles qui doivent négocier avec les éditeurs
( http://www.actualitte.com/bibliothe... ).
Pour moi, la solution des Etats Unis mêle vraiment public et privé. Il semblerait que cela fonctionne.
Mais en France, cette distinction public privé me semble rendre plus difficile des accords entre les deux parties.
Je suis d'accord avec Lison sur la nécessité d'une distinction conceptuelle entre public et privé. Je pense que vous avez bien fait le tour du débat, notamment par rapport aux difficultés financières du service public qui conduisent à faire appel au privé pour se moderniser. La distinction me paraît cependant nécessaire pour éviter les abus, pour que le service public garde son éthique tout en pouvant cependant s'appuyer sur les ressources techniques du privé.
Je pense que le point qui fait débat également est l’ambiguïté de Google, qui tout en étant une entreprise privée, défend une certaine idée du partage de l'information et des biens communs. Les dix repères éthiques le montrent ( http://www.google.fr/intl/fr/about/... ), mais il faut noter que le besoin d'information arrive en huitième place, soit après l'aspect financier et publicitaire, dont la dénomination est paradoxale en quelque sorte: "Il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable."
Pour répondre à Clémence, et en prenant mes habitudes d'ancienne angliciste, il est certain que la distinction entre public et privé est moins nette aux Etats-Unis, et même dans les pays anglo-saxons. Les partenariats entre les deux sont plus facilités et acceptés: le mot libéralisme est bien moins lourd à porter dans ces pays. A mon sens, c'est une question culturelle. Après, cela ne va pas sans difficultés ou protestations de la part des usagers: http://owni.fr/2012/01/03/le-pret-n... .
Il semble certain que la numérisation de la BML par google est un pas vers la démocratisation du savoir et surtout vers le numérique pour la BML. Mais à quel prix? Comme vous le dites, c'est quelque chose qui se saura sur le long terme notamment au niveau de la pérennité et de la qualité des documents, cette dernière étant plutôt inégale malheureusement. Est-ce que cela prouve que ce type de contrat est à exclure ou qu'il y a eu un manque de moyens techniques ou financiers? Ou encore que cela fait partie d'un choix lié à ces problématiques ou à des priorités dans l'usage des documents, vu que certains manuscrits sont d'une moins bonne qualité que les estampes?
Merci pour tes précisions Lison, je comprends mieux ta position. Je te rejoins sur le fait qu'il ne faut pas confondre la mission publique et les objectifs du privé. Selon moi, il s'agit simplement de ne pas les opposer. Ils sont compatibles (sous conditions bien sûr). Je pense que les interrogations sur la pertinence du contrat avec Google ne sont pas uniquement liées au fait que le partenariat soit constitué entre une personne publique et une personne privée ; mais surtout à l'éventuel déséquilibre entre les cocontractants.
Clémence, même si je comprends les arguments de Lison et que, je pense, elle est prête aussi à considérer mon avis, je crois que nous n'avons pas le même avis sur le fond. Certes, aucune de nous n'a de position extrême, mais nos avis ne sont pas identiques dans l'esprit.
Pour ce qui est de Numelyo et Google précisément, il me semble que nous sommes toutes d'accord pour dire que Lyon a eu raison de contractualiser avec la firme bien que des réserves et des doutes subsistent quant à l'équilibre du contrat et à la qualité du service rendu aux usagers.
Le contrat entre la bibliothèque municipale de Lyon et Google qui apparaissait comme vendre son âme au diable est aujourd’hui salué et certains souhaitent suivre son exemple. Ainsi, la BnF s’apprête à signer avec des partenaires privés pour la numérisation de livres anciens et de disques (http://www.actualitte.com/usages/bn...).
Les avantages de cette numérisation de masse sont notables, comme les économies réalisées par la ville, la rapidité d’exécution. Tout ceci permet à la bibliothèque de remplir sa mission de service public au plus vite, autrement dit, l’accès pour tous au patrimoine. Il faut tout de même rester vigilant à la qualité du travail produit.
Numelyo peut être qualifiée de succès dans le sens où cette bibliothèque numérique est développée par la BML et se trouve indépendante de Google. Rappelons que les livres numérisés par Google ne sont qu’une partie des collections accessibles en ligne, comprenant, entre autres, des manuscrits, des estampes, des photographies, de la presse, numérisés par les soins de la BML. Celle-ci garde donc la maîtrise de ses contenus et s’affranchit du contrôle de Google.
Google n'est plus conçu comme le géant monopolisateur, mais devient un outil servant à alimenter Numelyo. Cette bibliothèque numérique permet à la BML, outre d’être à la pointe en matière de numérisation, un rayonnement international. Je rejoins ici l'idée de Robert Darnton de créer une bibliothèque numérique internationale : mettre en commun leurs forces (données, collections) est le meilleur exemple de démocratisation que peuvent effectuer les bibliothèques.
Pour rebondir sur la dualité public/privé dont il est largement question les commentaires précédents, j'ajouterais que ce n'est pas tant une question d'action que d'image. Tout le monde aujourd'hui ou presque revendique la nécessaire association du public et du privé, et comme l'a souligné Aurore, cela peut se passer à merveille (heureusement!). La France est cependant héritière d'une longue tradition d'opposition entre public et privé, et plus généralement entre commerce et partage. Il n'y a qu'à voir la guerre incessante que se livrent bibliothécaires et libraires... pourtant fortement dépendants de l'activité de chacun. Je suis récemment tombée sur cet article : http://lalibrairiedeclermont.wordpr... qui, bien que s'éloignant largement du sujet qui nous intéresse ici, n'en est pas moins très intéressant (en particulier les commentaires...).
Cette longue parenthèse refermée, les préoccupations de l'article ci-dessus me semblent assez proches de celles dont nous avons eu à traiter en rédigeant le billet « Google confisque-t-il la valeur créée par les journaux ». Il y est une fois de plus question de l'image du géant et des réelles motivations qui sous-tendent son entreprise avec la BML (commerciales ? Publicitaires ? …). Je suis globalement de l'avis de mes collègues qui ont rédigé ce billet, à savoir que la BML a eu raison de saisir cette opportunité et qu'il faut laisser le temps au service de convaincre les plus réticents avant de le dénigrer en bloc. Nous avons eu la chance de rencontrer à l'Enssib la semaine dernière le chef de projet web de Numelyo et sa présentation s'est révélée fort instructive, les questions de collaboration Google/BML passant largement au second plan après les questions techniques (design, bases de données, format de la numérisation) et celles du contenu (contribution du public, collaborateurs extérieurs...). Car il ne faudrait pas oublier que le service est avant tout destiné au public, et que l'important est finalement que lui y trouve son compte, non ? :)
Ceci étant dit, il me semble intéressant de jeter un coup d'œil à l'international et de se pencher sur les autres partenariats de Google avec des bibliothèques.
Le directeur intérimaire des bibliothèques de l'Université du Wisconsin (qui travaille avec Google sur la numérisation de ses documents depuis plus de 6 ans!) souligne le succès et la nécessité de l'entreprise : « So I really cast the partnership as being highly successful at a time when digitization was highly needed. » et les interrogations plutôt bénéfiques que cette collaboration suscite : « […] has allowed us to think differently about out-of-copyright material and the preservation of resources in our collections. » M. Heat, directeur des bibliothèques de l'Université du Texas, insiste quant à lui sur la faiblesse des moyens des bibliothèques universitaires pour assumer seules la tâche dans un monde où la rapidité est la clé de la survie. En parlant de la numérisation de collections spécifiques (près d'un demi-million de volumes), il déclare : "We figured we could do it in a hundred years," he said. Google did it in two. " (article complet ici : http://chronicle.com/article/Google...)
Et comment ne pas évoquer ici les récents accords passés entre Google et la BnF, qui déchaînent les commentaires partout sur le web ? Mais nous rentrons ici dans un débat différent puisque c'est avant tout le domaine public et la commercialisation d'œuvres qui cristallise les discussions (http://www.actualitte.com/acteurs-n...)
Personnellement donc, je pense que celui qui n'essaie pas ne se trompe jamais, et qu'il ne dépend que de nous (français, européens...) de proposer des partenariats plus compétitifs ou « respectueux » que Google. Et pour conclure sur une touche plus humoristique : l'ironie du sort veut que Google numérise des ouvrages... qui dénoncent la numérisation Google ! http://bit.ly/XJRQaQ
Pour ma part, je suis complètement pour le choix de la BmL de contractualiser avec Google, et ce pour plusieurs raisons:
- Il est indéniable que le service public est "sacralisé" en France, ce qui explique les débats agités qui suivent sans manquer les annonces de telles collaborations (on pense notamment au lancement de Google Books en 2004). Dans notre conception du service public, rien ne doit toucher au commerce : et c'est d'ailleurs pour cela que bon nombre d'entre nous veulent travailler en bibliothèque. Mais n'est-ce pas là trop "sacraliser" le service public ainsi que la bibliothèque? En effet, dans notre société actuelle, ce genre d'arrangement semble inévitable pour proposer un service de qualité aux citoyens. Et comme le rappelle Sarah plus haut, c'est notre but premier en tant que professionnels de l'information.
- Ainsi, pour moi les "mauvais côtés" du contrat (indexation pas fiable à 100%, publicités...) ne font pas le poids face à l'argument de l'accès aux documents pour tous. Comme le rappelait Arnaud Beaufort lors de la conférence sur le numérique du 17 janvier (en parlant des partenariats mis en place par la BNF avec des entreprises privées évoqués ci-dessus), les documents traités par Google seraient des documents sans vie, presque non utilisés et inaccessibles pour la majorité de la population (française et mondiale) sans ce partenariat. C'est donc une évidence de mettre de côté sa plus ou moins grande "aversion" des grandes compagnies comme Google pour faire encore mieux notre métier.
Certes, on ne peut ignorer l'ajout de valeur marchande : mais je trouve qu'elle se justifie amplement dans une logique de diffusion des collections.
- Cette diffusion me semble aussi un point crucial dans la problématique de la visibilité des bibliothèques françaises, sur le web et dans le monde. En effet, maintenant des chercheurs basés en Chine pourront mener leurs recherches sur les éditeurs lyonnais du 19ème à bien. N'est-ce pas une avancée incroyable pour nous autres, professionnels de l'information?
En définitive, mon commentaire est peu nuancé, mais il me semble important de défendre ce contrat d'avant-garde : il fait avancer le monde des bibliothèques, comme beaucoup de grands projets controversés. Comme nous l'avons dit dans la conclusion de notre billet sur le prêt de textes numériques en bibliothèques, il est primordial pour les bibliothèques françaises de tester de nouvelles choses. C'est à partir de ces expériences pas toujours exemplaires que les bibliothèques pourront proposer de nouveaux services et que nous pourront améliorer notre service public.