Ce billet a été rédigé par FRANC Sarah, MALERBA Lison & NOTTET Aurore dans le cadre du cours Ecosystème du document de l'Enssib.

La valeur créée, ou valeur ajoutée, est l'apport donné à une matière première pour en faciliter l'utilisation, et incidemment en augmenter le prix de vente. Dans le cas de la presse écrite, la valeur créée réside dans le traitement de l'information brute par des journalistes professionnels, afin d'en faciliter la lecture par le public, par le biais d'une contextualisation, d'éclaircissements ou d'interprétation des événements.

Google, grand méchant loup ?

La « taxe Google », que certains éditeurs de presse française veulent imposer au géant de l'internet est symptomatique de l'état de crise dans lequel tente de survivre l'industrie journalistique. En réclamant cette taxe, les éditeurs soutiennent en effet que Google confisque la valeur de leurs journaux, notamment lorsque des articles (titres et chapôs uniquement) sont cités sur Google News. La taxe Google, selon leur point de vue, sauvegarderait la valeur des contenus dont ils sont les propriétaires. Google serait-il devenu responsable de la crise économique que connaît actuellement le secteur de la presse ? Il est d'abord légitime de s'interroger sur cette notion de « valeur » : quelle est-elle ?

Google VS éditeurs : un combat de géants

Ne nous leurrons pas : c'est avant tout une affaire de gros sous. Il est clairement question de valeur économique et commerciale : c'est sur le marché publicitaire que le combat fait rage. Et pourtant, les arguments des éditeurs semblent tomber à l'eau étant donné que Google News ne propose aucune publicité. Le problème se situe plutôt dans la stratégie d'enfermement de Google. On le sait, l'internaute, une fois ferré, a tendance à naviguer exclusivement sur les services Google qui eux, proposent de la publicité. Lorsque l'on sait que cette dernière est devenue l'une des principales sources de revenus – voire de survie – de la presse, il n'est pas étonnant de voir les éditeurs monter au créneau.
Certes, Google pose une série de problèmes éthiques : le fonctionnement de Google News est opaque et la firme n'est ni propriétaire des sources qu'elle cite, ni de celles vers lesquelles elle renvoie. Comme à son habitude, Google se repose sur son hégémonie pour lancer des services sans consulter les autres parties concernées : en 2003, lors du lancement de Google News, les éditeurs de presse n'ont pas eu leur mot à dire.

« Don't be evil »

Et pourtant, on peut se demander si Google ne devient pas trop vite la cible privilégiée d'éditeurs de presse désemparés. Désemparés, Dassaut, Lagardère... Désemparée, la presse qui peine à s'adapter aux nouvelles stratégies numériques. Google, grand méchant loup ? Facile pour les patrons des grandes multinationales de se poser en victime plutôt que de s'interroger sur leur propre marge de manœuvre...
Il est indéniable que Google News permet aux éditeurs d'acquérir une visibilité plus grande sur le Net. Les chiffres le prouvent : 20 à 30 % des lecteurs du Monde.fr sont passés en amont par Google News. En tant que détenteur de la 7e place de site d'information d'actualité, Google News est un levier puissant de visibilité pour les éditeurs, du moins pour les contenus qu'ils proposent. L'information référencée par Google empêche-t-elle donc vraiment les internautes de se rendre sur les sites des éditeurs, ou développe-t-elle au contraire l'audience de ces sites ? Autrement dit : Google confisque-t-il la valeur créée par les journaux ou la redistribue-t-il ?
Soulignons en outre l'apparente injustice d'un tel projet : si l'on taxe Google parce qu'il renvoie vers du contenu d'éditeurs de presse, pourquoi ne pas taxer alors chaque personne qui serait amenée à faire de même ? Les particuliers, via les blogs, Facebook ou Twitter, devraient-ils payer une taxe lorsqu'ils proposent des liens hypertexte vers du contenu qui ne leur appartient pas ? Quid des questions de droit d'auteur ? En Irlande, ce genre de mesure est déjà une réalité... 
Si la loi est votée en France, Google menace de déréférencer les sites des éditeurs de presse de son moteur de recherche. Les journaux retrouveraient-ils alors leur valeur d’antan ? Les éditeurs de presse oseront-ils réellement tenter l'expérience ? Google, ce maître chanteur, reste un indéniable tremplin, une passerelle entre les lecteurs et les éditeurs de presse.

Je t'aime, moi non plus

Finalement le problème n'est pas tant que Google confisque la valeur des journaux (donc du contenu produit par les éditeurs de presse), qu'il impose un renouvellement complet du travail des éditeurs. Ces derniers sont en effet obligés de s'adapter au fonctionnement de Google, et plus généralement de la nouvelle économie numérique.
Johan Hufnagel, l'un des créateurs du site Slate.fr, fermement opposé à une taxe Google, exhorte ainsi la presse à « utiliser ses talents de lobbying pour réclamer une véritable réforme de la fiscalité sur les multinationales » et à « investir réellement et massivement dans une vraie modernisation et la naissance de nouveaux modèles ». Plutôt que demander une taxe qui ne résoudrait rien, la presse doit miser davantage sur une stratégie d'adaptation grâce à une production d'information plus régulière, la création de comités de rédaction numérique dédiés ou encore des formations spécifiques portant sur l'information en ligne. Mais tout cela a un coût...
Le travail des éditeurs est certainement bouleversé par le numérique en général et la nouvelle économie qui le sous-tend, plutôt que par les services que proposent Google en particulier. Avant de combattre, autant s'assurer que l'on se trouve sur le même terrain : celui du partage de l'information...
Le débat reste ouvert !
NB : en Irlande, cet article nous aurait déjà coûté la modique somme de 500 €...