Le web est pour l’utilisateur une vaste étendue qu’il peut explorer pour glaner une information çà et là sans le moindre coût additionnel. Il offre des opportunités d’affaires et de partage infini pour l’utilisateur avisé. Toutefois, cette économie du gratuit ou freeecomics comme le nomme Chris Anderson profite grandement aux entreprises, qui, à coups de milliards de profits, dictent leurs règles d’utilisation du web.

Gratuité : source de partage et d’échange pour les utilisateurs

Qui n’a pas rédigé un blogue ? Qui n’a pas collaboré à un forum d’entraide ? Dans cet univers gratuit du web, deux logiques s’opposent, respectant un principe simple d’économie basé sur l’offre et la demande. L’utilisateur produit du contenu et consomme du contenu gratuit. En fait, le web est né de cet esprit de collaboration et d’échange. Les activités liées au commerce ne sont qu’une partie de ce qui est produit et offert sur le web. La gratuité du web n’est pas que basée sur une logique marchande. Elle est également basée sur celle du don, de la coopération et du partage où les utilisateurs jouent un rôle central (Dang Nguyen, 2012). Le web offre un espace de liberté où les utilisateurs donnent de leur temps pour animer des blogues; entretiennent des forums de discussions, d’entraide et d’échange; créent des sites et mettent au point des logiciels de façon collaborative libre de droit. Ce contenu est par la suite consommé, partagé par les utilisateurs qui eux même peuvent collaborer à améliorer le contenu. Afin d'illustrer l’ampleur de ce phénomène de partage, en 2012, 60 heures de vidéos ont été téléversées toutes les minutes  sur YouTube et plus de 4 milliards de vidéos y sont visionnés chaque jour (Landivar, 2012). À l’extrême, cette gratuité permet à certains utilisateurs de faire fi du respect des droits d’auteur et de la propriété intellectuelle qui régissent l’activité commerciale. Ces utilisateurs profitent du web pour pirater le contenu de sites; pour partager des logiciels, des films et de la musique populaire exprimant ainsi un certain esprit anticapitaliste.

Gratuité : source de profit pour les entreprises

À moins d'être des organismes à but non lucratif à l'instar de Wikipédia, les entreprises sur le web aspirent à créer de la valeur et à générer des profits pour leurs actionnaires tirant profit de cette gratuité du web. Elles ont de ce fait un modèle d'affaires dans lequel elles offrent un service leur permettant des rentrées d'argent suffisamment importantes pour couvrir leurs charges et dégager des bénéfices.

La désillusion créée par la première bulle financière d'internet au début des années 2000 où nous avons assisté à la disparition d'entités proposant des services plus ou moins farfelus sur le web a eu au moins le mérite d'assainir le marché et de nous rappeler l'implacable logique économique qui ne rémunère que la création de la valeur. Et c'est désormais les entreprises qui s'appuient sur un modèle économique solide qui survivent, même si elles offrent leurs services sans contrepartie apparente aux utilisateurs.

Aujourd'hui, la sphère productive virtuelle est traversée par deux courants diamétralement opposés, d'un côté un courant progressiste qui veut faire profiter les avantages de la révolution numérique à tous les usagers sans rétribution et qui milite en faveur de la gratuité. De l’autre, les conservateurs qui essayent d'appliquer la logique et les équilibres de l'ère industrielle à la société de l'information en perpétuant la marchandisation notamment à travers l'imposition et le renforcement du brevet et du copyright. D’ailleurs, la majorité des États ont plutôt joué le rôle du porte-drapeau du deuxième courant avec notamment le Digital Millenium Copyright Act aux États-Unis et la très controversée loi Hadopi en France.

Notre attention, c’est payant !

Une décennie plus tard, et en dépit du peu de recul que nous avons, nous pouvons affirmer que c'est bien le modèle basé sur la publicité et la captation de notre attention qui régule de larges pans de la sphère productive virtuelle. C'est aussi ce modèle qui a permis de constituer de colossales fortunes; en témoignent les capitalisations démesurées qu'arrivent à aligner certains géants du net au NASDAQ, et dont le fonctionnement ne pourrait être expliqué autrement. Les majors d'internet à l'instar de Google et de Facebook ayant investi ce créneau savent que notre attention est fugace et que la quantité d'information que nous pouvons absorber est limitée, alors ils ont décidé de s'étendre en investissant tous les écrans et tous les espaces numériques où nous sommes susceptibles d'exister. C'est finalement notre consentement à nous abandonner à ces colosses, dont l'éthique est plus que discutable, en leur faisant confiance pour nos recherches, nos loisirs et nos outils de travail qui fait marcher le système, avec tout ce que cela induit comme risque d'enfermement dans un environnement logiciel  (locked-in) ou dans ce que Eli Pariser appelle une bulle informationnelle.

Pour pérenniser ce modèle économique basé sur notre attention, les entreprises du numérique nous imposent de payer un lourd tribut dont nous commençons à estimer les conséquences. En plus de notre attention, notre vie privée est utilisée comme matière première pour faire tourner cette énorme roue. Facebook, Google et les autres s'ingénient à glaner frénétiquement nos traces numériques, nos informations personnelles et traquer nos moindre gestes ou déplacement pour les vendre à prix d'or à des firmes qui vont à leur tour nous cibler pour nous proposer des produits et des services faits à notre mesure. L'actualité nous révèle régulièrement des affaires qui illustrent avec fracas cette tendance inquiétante dont nous sommes les victimes consentantes, et dont les protagonistes sont presque toujours les mêmes.

La gratuité certes, mais à quel prix ?

Malgré la fragilité de ce modèle d'affaires, il émerge aujourd'hui comme le seul cadre viable qui permet la création de la valeur et offre aux utilisateurs des services innovants gratuitement. L’utilisateur est la clé de voûte de ce système. L’avenir des entreprises web est intimement lié à l’attitude et aux comportements des utilisateurs ainsi qu’à la capacité qu’elles ont de capter leur attention. Sans quoi leur produit web risque de tomber dans les oubliettes de ce vaste réseau. Ceci explique pour quelle raison Google par exemple, déploie autant d’efforts pour décortiquer les comportements des utilisateurs. Il s’agit d’une question de survie et de profits. Ces entreprises profitent de cette gratuité basée sur cette dynamique du don, de collaboration et de partage afin de générer des revenus en servant d’intermédiaire entre un utilisateur et un autre. Ce système sera viable aussi longtemps que l’utilisateur acceptera de payer par ses informations sur sa vie privée. En fait, le web est-il vraiment gratuit ?

----

Pour en savoir plus :

Anderson, C. : Free! http://www.wired.com/techbiz/it/magazine/16-03/ff_free ?currentPage=all

Dang-Nguyen,  G. et al. (2012) « Gratuité sur Internet entre logiques individuelles et logique communautaire » in Cahier de recherche, no 11. http://www.marsouin.org/IMG/pdf/cahier_novembre_2012.pdf

Guillebaud, H.: http://www.internetactu.net/2008/03/10/la-gratuite-est-elle-lavenir-de-leconomie/ (Critique de Chris Anderson)

Landivar, V. (2012). 40 statistiques sur l’utilisation d’internet en 2012. http://journalmetro.com/opinions/reseaux-sociaux/119005/40-statistiques-sur-lutilisation-dinternet-en-2012/

Umen Innovation. Le blogue. (2012). http://blogue.umen.ca/marketing-web/les-partages-sur-les-reseaux-sociaux-stimulent-les-achats/