Les start-up et les bibliothèques
Par Jean-Michel Salaun le samedi 09 mars 2013, 04:37 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Jean-François Caron dans le cadre du cours Économie du document.
Avant mon entrée à l’EBSI, j’avais pris l’habitude d’effectuer une veille de l’actualité reliée au domaine de la technologie. Plus précisément, je m’intéressais à la scène des start-up de la Silicon Valley. C’était ma façon de me familiariser avec celle-ci. Je voulais comprendre l’effervescence entourant l’état actuel du développement des technologies Web.
Aux alentours du début des années 2010, le débat quant à l’existence d’une deuxième bulle internet battait son plein : le Web 2.0 était maintenant une expression courante; la technologie mobile nous permettait d’accéder du contenu et des contacts via une panoplie de services; Facebook, Twitter ainsi qu’une multitude de start-up étaient apparus dans l’espace de quelques années. Il se passait de quoi et toutes ces perturbations qui changeaient le tissu du Web m’interpellaient.
En tentant de comprendre la culture des start-up, je réalisais qu’une mutation se produisait sur plusieurs plans à la fois. En épousant des modèles d’affaires alternatifs, voire innovateurs, ces jeunes entreprises réussissent à révolutionner les façons de faire. Par exemple, l’application AirBnB permet à ses usagers qui cherchent un endroit à louer pour une période définie d’entrer en contact avec d’autres usagers qui sont désireux de louer leur espace. L’usage de cette application sociale a de véritables répercussions sur le marché de l’hôtellerie, particulièrement aux États-Unis.
Avec l’idée qu’il est possible de perturber des secteurs complets d’activités, je me suis demandé si les bibliothèques subissaient déjà de telles perturbations. Est-il possible qu’une perturbation plus profonde aille lieu ?
D’abord, le numérique bouleverse depuis déjà un bout de temps les bibliothèques ne serait-ce que concernant le prêt numérique. Le modèle d’affaires des bibliothèques est assurément déranger par les différents services qu’offrent Google (Books, Scholar, News) et Amazon (Kindle), notamment par l’accès de plus en plus facile à des livres et des articles tant en format papier que numérique.
Les articles de périodiques généralement disponibles à travers les services d’accès aux bases de données propriétaires qu’offrent les bibliothèques font également face à la popularité grandissante des dépôts numériques en accès libre.
Dans les start-up, les espaces de travail ont une importance assez marqué dans la culture d’entreprise. Récemment, l’aménagement de l’espace dans les bibliothèques est aussi l’objet d’une forme de réorganisation. D’ailleurs, on assiste actuellement, au Québec, à la construction d’espaces de collaboration ou de co-travail. Espaces temps, une entreprise sociale, qu’on pourrait qualifier de start-up, commence à se faire un nom au niveau de la conceptualisation de ce genre d’espace. Espaces temps a notamment collaboré à la mise en place de l’Espace 3C à la bibliothèque de l’École de technologie supérieure à Montréal.
Enfin, un article a été publié dernièrement avec l’idée que les bibliothèques ont toutes les ressources nécessaires afin de jouer le rôle d’incubateur de start-up. De fait, plusieurs bibliothèques américaines ont fondé l’Alexandria Network qui se veut un réseau de bibliothèques pouvant favoriser le développement de start-up. On invoque même la démocratisation de l’entreprenariat.
Enfin, l’idée que j’aimerais vous laisser est celle de la perturbation non pas au sens péjoratif, mais au sens d’effervescence. Bien que les bibliothèques soient en quelque sorte victime de ces changements, il est souhaitable, selon moi, que celles-ci prennent une plus grande place sur ce plan, qu’elles deviennent de véritables vecteurs de changement.
Commentaires
Bonjour Jean-François,
Tout d'abord, je dois dire que la lecture de ton billet de blogue soulève bien des questions. Je connaissais le concept de start-up avant la lecture de ton billet, mais j'avoue ne jamais avoir réfléchi à l'influence que pourrait avoir les bibliothèques sur le développement de start-up et vice-versa, les start-up sur l'évolution des bibliothèques. Pour moi, les changements que l'on a pu observer récemment dans l'aménagement des bibliothèques et particulièrement de leurs espaces de travail étaient plutôt le résultat d'une évolution des besoins des usagers, de leurs habitudes de travail et du rôle que l'on attend des bibliothèques. Les espaces de collaboration créés en bibliothèque ainsi que par les start-up ne répondraient-ils pas tout simplement aux mêmes besoins?
Ensuite, lorsque tu parles des bibliothèques en tant que vecteurs de changement, fais-tu référence au fait que les bibliothèques pourraient jouer un rôle important dans le développement de start-up? Si oui, je crois que tu as tout à fait raison. Cependant, j'ai quelques réserves en ce qui concerne les bibliothèques publiques québécoises. Les bibliothèques universitaires québécoises pourraient adhérer à l'idée et oeuvrer en ce sens dans les prochaines années, mais les bibliothèques publiques québécoises, j'ai des doutes. Retards importants dans l'intégration des nouvelles technologies, budgets limités et plusieurs autres raisons font que je crois que cette idée serait difficile à populariser et à réaliser en bibliothèque publique au Québec. Peut-être que je fais fausse route...
Tout comme Catherine, j'apprécie ce billet parce qu'il me permet de réfléchir aux liens entre bibliothèques et start-up. Très intéressée par tout ce qui touche aux bibliothèques, je n'avais pourtant pas envisagé de réflexion articulant start-up et bibliothèques.
Pour être sûre de bien saisir l'économie générale du propos, j'aurais peut-être aimé trouver une rapide définition de la start-up dans ce billet. Pour moi, la start-up a quelque chose d'éphémère : une société commence par être une start-up puis devient une entreprise de petite, moyenne ou grande taille -ou cesse d'exister. Il y aurait aussi l'aspect innovation. En fait, j'aurais aimé être sûre de partir avec les mêmes éléments de définition que toi.
Sur un autre aspect, j'apprécie également les remarques de Catherine, très pertinentes, qui viennent étayer la réflexion sur le lien entre start-up et bibliothèques. Je rejoins d'ailleurs son propos concernant l'évolution des besoins des usagers des bibliothèques ; il me semble que les bibliothèques ont depuis longtemps dans leurs missions (en tout cas en France) d'aider à l'emploi, au moins de manière indirecte. Cela peut passer par la mise à disposition de documents liés au monde du travail, comme tu le mentionnes, ou par des formations, notamment dans le domaine de l'informatique. Il me semble donc que la création d'espaces de travail collaboratif en bibliothèque entre dans cette logique : ce serait une nouvelle manière d'aider à l'emploi que de favoriser la création de start-up.
Cependant, je m'interroge sur la réalité de la création de start-up grâce aux bibliothèques ; certes, les bibliothèques possèdent de nombreux atouts pour devenir des incubateurs de start-up, mais certains freins apparaissent aussi : ce sont majoritairement des lieux publics, des lieux de passage, qui ne peuvent garantir la confidentialité des idées innovantes qui se déploieraient en leur sein. Je pense également aux horaires parfois contraignants des bibliothèques (surtout en France...), qui pourraient rebuter le créateur de start-up.
Dans tous les cas, la réflexion est intéressante, dans le sens où elle permet de réfléchir, avec de nouvelles données, au(x) rôle(s) des bibliothèques.
Je crois qu'il pourrait être stimulant pour les bibliothèques de jouer le rôle d'incubateurs de start-up. Cependant, lorsque tu dis qu'elles possèdent toutes les ressources nécessaires, je me demande plus précisément à quoi tu fais référence. Est-ce plus particulièrement l'information, les ressources humaines, informatiques ou l'espace? En terme d'information, les bibliothèques peuvent assurément jouer un rôle important dans la création de start-up, surtout si le développement de collections en tient compte. Les autres ressources semblent cependant plus limitées... surtout l'espace. Si les investissements suivent, et que le personnel est formé pour répondre à ces besoins, probablement que les bibliothèques pourraient être un moteur de développement des start-up. Il ne faudrait cependant pas détourner toutes les ressources destinées à l'ensemble du public pour l'entreprise privée.
Ce type de projet a en outre un côté rassembleur puisqu'il inclut des acteurs diversifiés dans le développement économique et peuvent offrir des exemples d'entreprenariat aux gens qui fréquentent la bibliothèque. Tel que tu l'écris, cela participe à la démocratisation de l'entreprenariat.
Les bibliothèques, comme l’affirme Jean-Françius, doivent effectivement s’adapter à l’arrivée du numérique et des différents services disponibles sur le web. Toutefois, lorsqu’on parle de Google Scholar ou des dépôts numériques en accès libre, ne serait-ce pas des services qu’on pourrait considérer comme complémentaires à ceux offerts par les bibliothèques? Je ne sais pas si on peut vraiment affirmer qu’ils posent une menace pour celles-ci, dont une des missions est de donner accès à des services semblables, du moins pour Google Scholar et des dépôts numériques en accès libre. D’ailleurs, le modèle de vente de livres numériques ou imprimés, comme Amazon, serait plutôt en concurrence avec les librairies.
Tout comme mes consoeurs l’ont souligné, les start-ups dans les bibliothèques feraient face à plusieurs obstacles. Toutefois, des projets à caractère social, comme l’exemple d’Espaces temps qu’on retrouve dans le billet, peuvent enrichir toute une communauté et l’idée d’effervescence est très juste. Par contre, bien qu’il soit toujours intéressant de fournir des services, il faut d’abord s’assurer de l’intérêt de la population desservie. Idéalement, l’implantation d’espace et de ressources pour les start-ups dans les bibliothèques viendrait d’un besoin qui a été constaté. Je me demande, tout comme Catherine, où un tel projet pourrait être réalisé.
Plusieurs éléments ont été abordés en réaction à mon billet. Comme certaines d’entre vous l’avez souligné, l’idée en était surtout une de réflexion menant à conceptualiser les relations entre la bibliothèque et les start-up. Est-il possible pour les bibliothèques de s’inspirer de la culture des start-up et pour celles-ci de s’inspirer de la culture de la bibliothèque?
Mais qu’est-ce qu’une start-up, plus précisément? L’Office québécois de la langue française défini start-up comme une « entreprise innovante et dynamique lancée depuis peu et qui est promise à une croissance rapide ».
Ce sont des organisations qui se positionnent et se développent habituellement en périphérie d’institutions plus imposantes et qui ont une position forte dans leur secteur d’activité. L’idée étant de profiter de la contribution des start-up afin de réduire les risques encourus par l’innovation. C’est en ce sens que je fais référence à Espaces temps en tant que start-up.
Ainsi, un projet d’innovation, dans la perspective d’une start-up, serait un projet qui mise non pas sur ce qu’il se fait par d’autres en mieux ou en moins cher, mais plutôt sur ce qu’il ne se fait pas.
Concernant les espaces de collaboration et l’aménagement des bibliothèques, je ne peux qu’abonder dans le même sens que Catherine et Amandine qui remarquent que ces changements sont liés aux besoins et aux comportements des usagers, tant dans les bibliothèques qu’ailleurs. J’ajouterais que cette évolution est en grande partie liée à la relation que nous entretenons avec les nouvelles technologies de l’information (généralement développées par des start-up).
D’ailleurs, ces technologies ont donné lieu, dans plusieurs cas, à de nouveaux modes d’organisation et nous ont permis d’ entrevoir de nouvelles façon de concevoir l’information, la culture et la connaissance. Même que certaines entreprises accordent une grande importance à la création d’idées nouvelles dans le contexte de travail. Dans les bibliothèques, cette réalité s’est souvent traduit par une adaptation des services, comme l’a mentionné Josée au sujet des services complémentaires que sont Google Scholar et les dépôts numériques.
Quant à l’aide à l’emploi, je n’avais pas envisagé cet élément lorsque j’ai réfléchi à l’idée de la bibliothèque en tant qu’incubateur. Les start-up, dans mon esprit, ne sont pas la solution magique à la recherche d’emploi, comme l’entreprenariat n’est pas la seule façon s’adonner à un travail. Ceci étant dit, cela n’empêcherait pas une bibliothèque (ou un réseau de bibliothèques) et ses partenaires de développer un modèle de service qui favorise l’aide à l’emploi et la réinsertion sociale, sous la forme d’un projet start-up.
On a également mentionné que le positionnement des bibliothèques universitaires était probablement plus propice à l’élaboration d’un projet d’incubateur de start-up. Il existe en effet certains projets similaires actuellement à l’œuvre au Québec, pensons notamment au projet du Quartier de l’innovation initié par l’ETS et l’Université McGill. En Ontario, le MaRS Discovery District pourrait aussi être qualifié comme étant un projet d’incubateur de start-up, dans lequel l’Université de Toronto et son réseau de bibliothèques sont des partenaires importants.
Je dois aussi admettre que je connais très mal l’état du réseau des bibliothèques publiques québécois et encore moins celui des bibliothèques en France. Bien que les exemples que je vous ai donnés soient des exemples de partenariats publique-privé, si un incubateur de start-up devait voir le jour grâce à un réseau public de bibliothèques, j’espère que certains enjeux auront été débattus. Je pense notamment aux questions soulevées par Marie-Claire et Amandine concernant le droit d’auteur et la propriété intellectuelle et le détournement des ressources publiques vers le secteur privé. En faisant appel à des licences Créative Commons, au développement d’outils en formats ouverts et à des modes d’organisation nouveaux, un incubateur public pourrait véritablement participer à la démocratisation de l'entreprenariat. L’idée fondamentale étant de développer une expertise qui répond à des besoins et à des comportements d’usagers. En ce sens, un incubateur public pourrait très bien remplir le mandat de porte d’accès à la connaissance.
J’aimerais enfin attirer votre attention sur une organisation communautaire qui porte actuellement certains projets qui pourrait nourrir votre réflexion sur les différentes formes que pourraient prendre un projet d’incubateur de start-up public. Communautique, qui s’est doté d’une mission très semblable à celle des bibliothèques publiques, chapeaute plusieurs projets dont un atelier de fabrication numérique, un living vivant ainsi qu’un espace de collaboration.
Comme vous, je crois que la mise sur pied d’un projet public d’incubateur de start-up fera face à de nombreux obstacles, c’est la réalité la plus part des projets publics. Je pense notamment à la dimension politique ainsi qu’à la question du budget. Dans tous les cas, une certaine mise en commun sera nécessaire en plus d’un engagement de la part du citoyen. Il s’agit d’un projet qui doit se faire à l’aide de partenaires et qui demande également une certaine réappropriation nos moyens de production culturels et informationnels.
Liens et références:
Définition de start-up:
http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOql...
Article du NYT traitant de la création d'idée en milieu de travail:
http://www.nytimes.com/2013/03/16/b...
Quartier de l'innovation:
http://www.quartierinnovationmontre...
MaRS Discovory District:
http://www.marsdd.com/aboutmars/
Communautique:
Mission:
http://www.communautique.qc.ca/a-pr...
Atelier de fabrication numérique:
http://www.echofab.org/a-propos-dec...
Laboratoire vivant (et non pas living* vivant):
http://www.mandalab.cc/about-us/
Espace de collaboration:
http://imaginonsstmarc.org/acteurs/