Économie de la contribution, économie de l'information en réseau ou économie de la pollinisation : des effets du Web
Par Jean-Michel Salaun le samedi 09 mars 2013, 04:13 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Julie Hermann et Christian Lachance dans le cadre du cours Économie du document.
La prolifération des contenus créés et disponibles sur le Web fait en sorte que les créateurs sont devenus des compétiteurs sur le « marché de l’attention ». On pourrait pourtant argumenter qu’au contraire, les mécanismes du Web, ainsi que la plus grande accessibilité des contenus et des outils, offrent aux créateurs une possibilité jamais égalée de travailler non pas en compétition, mais en collaboration.AMATEURS DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS...
Le modèle de l’économie de la contribution suppose une transformation du profil des « travailleurs » parce que les contributeurs sont le plus souvent des amateurs non rémunérés qui agissent librement, suivant leurs motivations personnelles, leurs habiletés et leurs préférences. Ce modèle tranche avec l’économie de marché puisqu’il est fondé sur la participation active de plusieurs individus à des réalisations non par contrainte (salaire, licenciement), mais par intérêt. De plus, il se caractérise par une atomisation des efforts consentis, situation bien représentée par le concept similaire et très imagé d’« économie de la pollinisation » proposé par Yann Moulier-Boutang. La contribution est donc à la fois formatrice et bénéfique pour ceux qui la fournissent, stimulant chez eux l’acquisition de compétences, phénomène que Stiegler qualifie de « déprolétarisation des acteurs ».
Sur le Web, l’organisation de la production de l’information change : c'est le passage au Web dit 2.0 et l'abandon progressif de la structure verticale, où l'information descendait d'un nombre restreint de producteurs vers une masse de consommateurs passifs, pour un modèle horizontal, où la circulation se fait de plus en plus en réseau, avec l'émergence d'une production plus décentralisée, hors marché et non propriétaire. Yoachai Benkler parle justement à cet effet d’une économie de l’information en réseau, concept très similaire à celui de l’économie de la contribution, et qu’il définit en ces termes dans le livre The Wealth of Networks : How Social Production Transforms Markets and Freedom :
L’économie de l’information en réseau est caractérisée par le fait que l’action individuelle décentralisée (en particulier l’action collective et coordonnée, innovante et importante, mise en œuvre par le biais de mécanismes non marchands, distribués sans restriction, ne reposant pas sur des approches stratégiques propriétaires) joue un rôle beaucoup plus important qu’elle ne l’a fait, ou n’aurait pu le faire, par le passé, dans le cadre de l’économie de l’information industrielle. (Extrait de la traduction française, La richesse des réseaux, paru aux Presses universitaires de Lyon).
Alors que seuls les industriels disposaient des moyens matériels et financiers nécessaires à la production et à la diffusion de l’information, le numérique change la donne. Il y a beaucoup moins de contraintes matérielles majeures; la barrière à l'entrée a été considérablement abaissée. Tous peuvent produire et diffuser de l’information. On assiste donc à l’avènement d’une production hors marché, à l’essor de projets collectifs innovants, efficaces et à grande échelle qui ne répondent plus à la stratégie essentiellement marchande des industriels-propriétaires. En conséquence, la production de l’information se démocratise. L’espace public n’est plus la chasse gardée des grands groupes médiatiques, mais existe de plus en plus en réseau de cocréateurs. L’autonomie des individus est aussi renforcée : ils font plus « par et pour eux-mêmes », participent à des communautés libres et ouvertes, et les liens entre les contributeurs échappent à la structure formelle et hiérarchisée du monde du travail.
L'exemple de Wikipédia n'est plus à citer, mais ce sont aussi des projets comme SETI@home, où l'internaute offre le processeur de son ordinateur pour l'analyse de données radiotéléscopiques, ou encore, à une échelle plus réduite, le logiciel libre, que ce soit pour le codage ou le débogage.
… POUR TIRER LES MARRONS DU FEU ?
Bref, lorsqu’on lit au sujet de l’économie de la contribution, il y a de quoi se réjouir. Toutefois, il serait pertinent de se demander si la réalité est vraiment si rose.
Est-il juste, par exemple, de se réjouir inconditionnellement du fait que les contributeurs soient des amateurs non rémunérés sous prétexte que leurs motivations seraient plus « pures » ? Et si les créateurs, dans une économie de marché, bénéficient normalement de la protection de la loi sur le droit d’auteur, entre autres, ce n'est pas le cas pour des contributeurs volontaires anonymes. La ligne est d'ailleurs parfois bien mince entre le professionnel et l’amateur. Existe-t-il des modèles qui pourraient permettre de récompenser monétairement la contribution des amateurs ? Devrait-on le vouloir ? Ne serait-ce qu'une tentative de récupération de la part de l'économie de marché ?
À ce sujet, les curieux pourront consulter l'article intitulé « Rémunérer un amateur pour valoriser les externalités positives », écrit par le juriste-bibliothécaire L. Maurel. L'article souligne entre autres un des problèmes emblématiques de cette économie : la monétisation par autrui, notamment par des entreprises comme Facebook, Twitter ou Google, le partage des informations, les recommandations, re-tweets ou autres donnant de la visibilité, de l'attention, à une plateforme ou une autre... et l'attention se marchande.
Commentaires
Merci Julie et Christian pour ce billet passionnant et surtout pour la richesse des liens.
Si l’économie de la contribution repose essentiellement sur le travail collaboratif des amateurs, ceci dit que monsieur tout le monde peut participer à produire du contenu et le mettre sur le web. Or ceci met en jeu la qualité du contenu et pire peut provoquer du bruit dans la masse informationnelle disponible sur la toile. Ici je me demande s’il ne serait pas judicieux d’avoir derrière ces contributions un système d’évaluation de contenus ? Je sais que certaines entreprises ont opté pour le travail collaboratif, mais ont par contre placé une plateforme d’enregistrement des contributions et un système de notation. Ainsi, les contributions des amateurs sont évaluées par des professionnels dans un second lieu et donc il y a filtrage pour avoir finalement un contenu professionnel. Mais est ce que ceci pourrait être applicable aux contenus d’amateurs sur le web ? Si c’est le cas qui en serait responsable ?
Le point qui m’a beaucoup surpris est la notion de rémunération des contributeurs? Je me pose certains questionnements à ce propos : quels seront les critères d’attribution de rémunération? Ne faut-il pas penser carrément à un droit de travail collaboratif dans ce cas là?
Il y a quelque chose de beau... et de vrai dans cette "économie de la contribution". En effet, l'Internet permet aux gens de collaborer à distance à des projets qui les intéressent et les moyens techniques mis à leur disposition sont très efficaces. Tout cela à des coûts plutôt abordables pour l'internaute moyen (un ordinateur et une connexion internet à moyenne ou haute vitesse).
J'ai toutefois un problème avec la trop grande valorisation du travail "bénévole" de l'internaute. Qui dit bénévole dit non rémunéré... Est-ce vraiment une avancée? Parfois je regarde cela et je me dis que les loups (le monde des affaires) doivent observer cela en se lêchant les babines: une main d'oeuvre... même pas à bon marché... mais bien gratuite!
"Avoir le sens des affaires" cela veut dire être capable de faire de l'argent. L'Internet est devenu trop énorme, trop incontournable pour penser qu'il n'est pas convoité avec envie par les acteurs économiques. Ça se sent, ils en veulent le contrôle. Que les internautes "bénévoles" ne soient pas en plus les dindons de la farce en se faisant exploiter économiquement!
Merci pour les commentaires : )
@Loubna : la question de la qualité, le travail amateur n'étant pas soumis aux évaluations professionnelles, est certainement un aspect majeur de ce modèle.
Non seulement c'est à peu près impossible d'imposer un contrôle qualité à la grandeur du Web, mais c'est dangereux, selon moi, pour la liberté d'expression, de donner ce pouvoir à quiconque. L'idée générale - qui est encore flottante, rien d'arrêté - est que les efforts collaboratifs comprennent une partie de ce contrôle qualité, par la rétroaction entre participants. Wikipédia demeure l'exemple archétype, les internautes faisant le gros du travail, les quelques administrateurs de la Fondation Wikimédia soutenant les infrastructures et s'occupant des cas litigieux. Sinon, à professionnaliser les amateurs, ne finit-on pas par en faire des pigistes? Il reste probablement des cadres conceptuels à défoncer avant d'arriver à un bon modèle, fonctionnel.
La rémunération est un autre cas problématique, en effet. Comme il s'agit pour l'instant de réflexions et d'ébauches, il n'y a rien de tangible, mais vous avez absolument raison en disant que si cela se concrétise, il faudra enchâsser dans le droit. Tout un casse-tête en vue pour le droit international, cela dit!
@Monique : l'économie de la contribution, c'est un exemple du meilleur que peut offrir Internet, en effet. En abolissant l'espace, d'une certaine manière, on parvient à unir les efforts de bien des gens qui seraient autrement demeurés dans l'ignorance les uns des autres, ou dans l'incapacité de coopérer.
Mais vous soulevez très exactement l'aspect économique pratico-pratique du problème. Surtout que rien n'est encadré par le droit présentement, que l'intervention de l'État (quel qu'il soit) dans les affaires du Web pose plusieurs problèmes qui sont loin d'être résolus. Si des entreprises monnayent ces efforts collaboratifs… ce n'est pas réellement un nouveau modèle économique qui apparaît, c'est du bénévolat exploité par les acteurs traditionnels du système de l'économie de marché.
« The cradle of the best and the worst », a dit Leonard Cohen. Il parlait des É.-U., mais je crois que ça s'applique encore mieux au Net. Semper vigilantia!
Christian Lachance
Petite précision. Le terme "économie de contribution" évoque plusieurs images, mais il s'agit tout de même d'un concept assez précis et défini principalement par Stiegler, philosophe dont les écrits ne sont pas particulièrement accessibles. Ainsi, le concept "d'économie de contribution" ne signifie pas seulement que grâce au web, tous peuvent publier du contenu facilement. L'accent est mis sur le travail collaboratif, sur le fait que chacun pose un morceau de casse-tête qui contribuera à un projet plus grand. Il s'agit parfois d'un très grand nombre de micro-contributions. Le produit final n'est donc pas aussi général que le web en soi. Il s'agit de projets plus précis, tels que wikipedia, les open source ou le logiciel libre. Le concept "d'économie de la pollinisation" est très imagé et montre clairement la particularité du concept : c'est parce que toutes les petites abeilles mettent la main à la pâte qu'elles récoltent du miel, construisent une ruche, etc. Le travail d'une seule ne serait pas suffisant.
Mon premier questionnement en est un autour de la définition du terme « économie de la contribution » Est-ce qu’en publiant du contenu généré par les utilisateurs (les amateurs que nous sommes ), sur les plateformes commerciales offrant une infrastructure, (FB, Google, You Tube, Flikr, ScoopIt , Twitter, Digg, iTunes…..) cela s’appelle aussi une économie de la contribution ?
“The concept of the « participative web » is based on an Internet increasingly influenced by intelligent web services that empower the user to contribute to developing, rating, collaborating on and distributing Internet content and customising Internet applications. As the Internet is more embedded in people’s lives users draw on new Internet applications to express themselves through user-created content (UCC)” http://www.oecd.org/dataoecd/57/14/... Sur ce lien on trouve un excellent résumé, même si l’analyse date de 2006 et que l’essor des plateformes commerciales a explosé depuis.
Ou, selon la définition donné par Bernard Stiegler, cela englobe seulement l’économie publique (les savoirs publics, et l’économie du don ? Dans ce billet j’englobe la totalité du web de participation dans la définition de « l’économie de la contribution »
Dès alors, sommes-nous tous les dindons de la farce, parce que les l’industrie de l’attention et de la trace, font de l’argent avec nous? Puisque le bénéfice dérivé du contenu publié par les utilisateurs/amateurs est évident pour l’hôte qui reçoit le contenu, le bénéfice pour celui qui contribue est moins évident. Il y a plusieurs théories concernant la motivation du contributeur allant des théories sur l’altruisme de l’homme, ou sur la valeur sociale / communautaire ou les potentiels pécuniaires/économiques. Et puisque la contribution a une valeur économique réelle, les plateformes hôte encouragent des éléments « incitatifs» soit implicites (un statut social), soit explicites (de l’argent ou des cadeaux diverses).
Les critiques concernant ces systèmes de contribution, tels que suggérés ci-haut sont multiples et couvrent les sujets aussi vastes que la, marchandisation de l’attention par autrui, la vie privée, le copyright, la qualité des contributions, la juste valorisation du travail des amateurs et la préservation des données publiés par les contributeurs, tout cela dans un contexte de modèle de concentration industriel des plateformes et leurs connexions financières.
Quelques critiques ont déjà été traitées à juste titre dans des billets précédents, mais il me vient de vouloir rajouter que je ne pense pas que les bénéfices d’un web collaboratif, tel qu’il a été conçu depuis le début, va disparaitre pour autant. Les outils de production, d’auto promotion, de collaboration sont à la portée de tous, et définitivement dans les mains des usagers. Ils leur permettent de coopérer, de produire en partenariat et de « polliniser ». Tout n’est pas récupération des contenus par des plateformes, tout n’est pas récupération de marques et de brevets, tout n’est pas verrouillage des logiciels et des contenus. De multiples initiatives locales tels que les P2P, les crowdfunding, les financements mutualisés, les Wiki’s collaboratifs, des laboratoires d’innovation…ne stimulent –elles pas la création, l’innovation et l’économie sous-jacente, contribuant à des initiatives de changements sociaux ? Mais il est portant vrai que pour garder ces bénéfices du web collaboratif, il faut faire des choix de société, des choix politiques et se battre pour la pluralité des idées et des solutions. Dominique Bouiller dans internetactu.net- L’âge de la prédation http://www.internetactu.net/2012/09... le dit mieux que moi dans sa critique du livre de Nicolas Colin et Henri Verdier, L’âge de la multitude- Entreprendre et gouverner après la révolution numérique, paru au printemps 2012 chez Armand Colin. « Or, le conflit est là, ouvert, violent, entre les tenants de la captation de la créativité collective (de Apple à Amazon et à “toutes les plates-formes”) et les réseaux de la culture libre qui bataillent chaque jour pour préserver la neutralité du net, l’ouverture des données, le refus de la fermeture du code et les contrôles étatiques et financiers sur la circulation des idées »
Concept fascinant que celui d’économie de la pollinisation… mais tout un défi d’en rémunérer les collaborateurs selon leur degré de participation réel. Certains principes mentionnés par Maurel (http://scinfolex.wordpress.com/2013...) présentent des obstacles majeurs à leur mise en place : le "crowdfunding" repose sur le bien vouloir collectif alors que la contribution créative et le revenu de base requièrent une trop grosse collaboration de l’État respectivement en termes de législation ou de budgets alloués. L’exemple de Sensorica, toujours cité par Maurel, incarne probablement le modèle économique le plus intéressant et le plus facile à mettre en place à condition, bien sûr, qu’il soit le plus équitable possible, ce qui constitue un autre défi de taille!
En ce qui concerne la notion de contrôle du Web, ces propos de madame De Vries (commentaire 5) me semblent tout à fait justes :
« Tout n’est pas récupération des contenus par des plateformes, tout n’est pas récupération de marques et de brevets, tout n’est pas verrouillage des logiciels et des contenus. »
De manière générale, la tentation semble forte de « démoniser » l’utilisation du Web à des fins commerciales. Bien sûr, il est impossible de nier l’existence de l’économie de l’attention ou de la reprise d’initiatives particulières par des entreprises en vue de générer des profits. Or, la liberté est une caractéristique intrinsèque du Web et une partie de celui-ci échappera toujours au contrôle de celui qui voudra lui imposer ses règles, le piratage informatique en constituant à la fois l’exemple le plus extrême et le plus probant.
Bonjour Julie et Christian,
Merci pour votre billet qui nous instruit sur l'économie de la contribution.
Pour ce que j'en conclus, l'économie de la contribution suppose une économie fondée sur un modèle collaboratif, dans lequel les acteurs coopèrent et contribuent à valeur quasi égale. C'est donc une économie d'enrichissement réciproque, il n'y a plus d'un côté des producteurs et de l'autre des consommateurs. Comme vous l'avez si bien schématisé, on passe de l'axe vertical, des producteurs vers des consommateurs passifs, à l'axe horizontal, pour une production en réseau.
Ce modèle économique fonctionne tout à fait dans le domaine de l'information dans lequel nous nous situons. Je ne peux m'empêcher de poser la question de savoir si l'économie de la contribution peut s'appliquer à d'autres secteurs. Vous faites un parallèle avec l'économie de la pollinisation de Yann Moulier-Boutang et ce dernier fait référence à des activités agricoles. Comment peut-on transposer ce modèle dans les sociétés capitalistes toujours savamment hiérarchisées, afin de "déprolétariser" ses acteurs, selon l'expression de Bernard Stiegler?
L’économie de contribution est une extraordinaire alternative au capitalisme. La contribution devient un vecteur d’innovation sociétale qui s’oppose au réductionnisme économique. Bien entendu, il y a toujours le risque que ce type d’économie soit récupéré à l’intérieur même des stratégies d’entreprise qui sollicitent, entre autres, la collaboration active du client. Mais pour moi, elle représente l’une des modalités de l’économie du don. (Voir à ce propos : http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jm...
@ Pascale : Vous soulevez un point intéressant en liant l'économie de la contribution et celle du don. Elles ont en commun de se passer à la fois du marché et de l'État. Dans le billet que vous citez, JM Salaun fait remarquer que Wikipedia, pour ne prendre que cet exemple, est financé par des fondations. Ce service est donc rendu possible grâce aux dons, mais sa façon de fonctionner est collaborative. L'apport des acteurs de l'économie de la contribution n'est pas financier, ils offrent du temps de travail non rémunéré. La distinction est assez subtile en effet, "le temps c'est de l'argent!". On pourrait aussi dire que donner un service, de l'argent, une création, un bien, un cadeau, c'est toujours donner ...
À ma connaissance, c'est l'anthropologue Marcel Mauss qui s'est d'abord intéressé au don. La critique a surtout retenu de cet "Essai sur le don" le caractère pratiquement toujours intéressé du don : lorsqu'on offre quelque chose, on attend aussi quelque chose en retour. Ce qui est particulier avec l'économie de la contribution, c'est que lorsqu'il contribue à un projet, l'amateur contribue au bien collectif, mais il en retire aussi des bénéfices. Il ne s'agit pas d'un don, dont il espère un retour. C'est un mode d'organisation, un mode de travail collaboratif. Dès le départ, il sait qu'il ne sera pas le seul à y participer et qu'il ne sera pas non plus le seul à en bénéficier.
Je suis loin de faire le tour de la question dans ce commentaire ;) Cet article de Béraud et Cormerais, en plus d'être une excellente introduction à l'économie de la contribution, permet de mieux cerner de quelle façon elle se différencie de l'économie du don, du marché et de l'État.
Beraud, Philippe et Franck Cormerais. Économie de la contribution et innovation sociétale. Innovations, 2011, , 1, no34, p. 163 http://www.cairn.info/revue-innovat...
Mauss, Marcel. Essai sur le don.Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques, 1902. http://classiques.uqac.ca/classique...
Merci à Julie (billet 4) d'avoir rappelé que l'économie de la contribution n'est pas simplement « faire ça sur le Web ». C'est un modèle économique basé, si je reprends le terme de Stiegler, sur la déprolétarisation des acteurs, sur « l'intérêt au désintérêt ».
@ Annick (billet 5) : J'aurais tendance à prendre « économie de la contribution » au sens large, bien que publier du contenu généré par les utilisateurs ne soit pas nécessairement contributif. Les commentaires Youtube sont célèbres pour leur toxicité, par exemple, et s'ils peuvent servir aux sociologues, fantastique, mais pour l'évaluation des contenus sur Youtube, on repassera. Cela dit, si c'est bien fait, ça peut relever au même modèle.
Et le risque est très réel de se faire avoir. Cela dit, non, on ne doit pas tout voir en noir non plus. Le monde dystopique de Blade Runner n'est pas encore chose faite! En partie, c'est que le Web est tout jeune, et que les modèles économiques y afférant sont encore en développement. « Growing pains », dirait-on en anglais. Les inquiétudes viennent en partie de cette terra incognita.
Bouiller, je crois, d'ailleurs, soulignait dans l'article cité (L'âge de la prédation) que si Google faisait dans le bien commun, dans le bien public, ne devrait-elle pas être soumise à des contrôles? En tant qu'individu, si j'était richissime et que je me lançais dans l'évergétisme, ça ne serait pas une raison pour ne pas encadrer l'hôpital, l'école que je ferais construire, non? Il faudrait voir comment faire pour ne pas étouffer l'innovation, censurer le Web, mais en même temps, il ne faudrait pas abdiquer le pouvoir de regard de l'État.
@ Ariane (billet 6) : Le crowdfunding est une source intéressante, mais, comme l'économie du Web en général, elle demeure encore flottante. Plusieurs projets kickstarter, par exemple, ont eu des difficultés malgré un financement réussi, en raison du manque d'expérience ou de connaissances des entrepreneurs.
C'est un point intéressant que la démonisation de l'aspect commercial du Web. Il me semble venir de plusieurs éléments. Les modèles du Web ne sont pas encore « arrêtés », comme on le disait. L'économie du cyberespace se cherche encore, ce qui en fait une espèce de Wild West où on essaie un peu tout et où l'État s'aventure peu, et souvent mal. Il y a aussi le décalage entre l'idéalisme initial du Web, la liberté absolue qu'il était censé être, et cet écart est assez criant. La marchandisation se fait à l'avantage des propriétaires et des actionnaires d'entreprises, qui changent généralement de ton une fois leur monopole ou quasi-monopole établi. Ça n'a pas de quoi attirer la sympathie. Enfin, on est sur le Web, alors chiâler, ça va se soi! >:(
@ Arlette (billet 7) : L'enrichissement réciproque est - surtout pour Stiegler, avec la déprolétarisation, exactement - un élément fondamental de l'économie de la contribution. Dans le livre « Pour une nouvelle critique de l'économie politique », d'ailleurs, Stiegler parle d'une relibidinisation du travail, de la différence entre emploi (simple activité rémunérée) et travail (qui est valorisant et formateur).
Je ne suis pas assez ferré en économie (ni prophète) pour proposer une façon de renverser l'économie de marché et la remplacer par une économie de la contribution, mais je crois que si le Web réussit à rester libre, ce sera certainement un bon pas. Son terreau idéal est un modèle d'entreprise bâtie sur un modèle participatif, flexible et ouvert à la participation des travailleurs. Mais plus une entreprise grossit, plus la rigidité hiérarchique croît, généralement. La rançon du succès?
@ Pascale (billet 8) : Julie a déjà bien répondu quant à l'économie du don, mais j'ajouterai que la différence entre l'économie du don et celle de la contribution vient en partie, selon moi, de « l'horizontalité » de cette dernière. Pas que tout y soit don non plus, bien entendu, mais le don « traditionnel », c'est quelque chose qui vient d'en haut. En donnant, on se situe au-dessus de celui qui reçoit. Celui-ci peut donner à son tour et rétablir une égalité, mais c'est un processus en deux temps. Et on ne donne pas toujours avec morgue, s'entend, mais il y a une certaine hiérarchie. En contribution, j'ai l'impression qu'on donne plutôt au projet qu'aux participants; c'est peut-être la distinction que je ferais.
Merci pour vos commentaires :)
christian
En jetant un bref regard sur les commentaires, on s'aperçoit qu'ils se sont principalement intéressés à la question de la captation du travail des contributeurs par les gros joueurs de l’économie de marché. On s’interroge sur une rémunération possible, voire nécessaire, des amateurs-contributeurs, ce qui suppose des critères d’évaluation et des responsables en état de juger de la qualité du travail produit. La question du rôle d’encadrement de l’État, avec un droit du travail collaboratif, a aussi été évoquée. Cette question doit faire l’objet de choix politiques, de choix de société, et appelle à la vigilance.
La crainte d’une récupération pure et simple des réalisations des amateurs par les entreprises commerciales, d’une spoliation de facto en raison de cet état de fait sine legibus du domaine, est une crainte qui a été répétée : on ne veut pas voir un effort contribué gratuitement faire de nous le dindon de la farce. Reste que l’on témoigne d’un certain optimisme, prudent mais réel, quant à au modèle de l’économie de la contribution, ainsi qu’au Web collaboratif, en tant que vecteurs d’innovation s’opposant au réductionnisme de la simple logique marchande. On y voit un modèle économique d’enrichissement réciproque.
Il existe aussi encore un flou entourant exactement ce qui participe d’une économie de la contribution : à quel point, par exemple, la mise en ligne de contenu par le truchement des plateformes fermées des oligopoles du Web fait-elle ou ne fait-elle pas partie de ce modèle? Et le modèle collaboratif, bien que grandement facilité et mis en évidence par le Web, n’est pas limité à celui-ci; la question de son application à des entreprises évoluant dans un environnement plus traditionnel a été brièvement évoquée.
Christian Lachance et Julie Hermann