Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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vendredi 19 août 2011

Héros et hérauts

Pour se réveiller et préparer la rentrée, un petit débat sur le web. Martin Lessard a présenté une stimulante critique d'un article du NYT The elusive big idea, stigmatisant un web trop superficiel et nostalgique des « grandes idées » d'antan. Je n'avais pas pourtant été très convaincu par son propos. Piqué, il a récidivé. Voici donc à mon tour un écho, un peu décalé, sur le sujet.

Du fait des facilités de publication sur le web, l’auteur, ce héros romantique, perd de son aura. Le personnage principal est moins celui qui crée que celui qui partage, le passeur. On pourrait dire avec un clin d’œil que de l’édition au web, le héros, l’auteur inséparable de son œuvre, devient le héraut, celui qui repère, relaie, commente pour une communauté de lecteurs les documents d’une bibliothèque numérique trop vaste et changeante pour être accessible à tous. Pour autant, ce héraut-là n’est pas moins chargé de romantisme, valorisé, applaudi ou contesté, parfois même aussi ténébreux, solitaire et désargenté, que le précédent. Son influence est mesurée à la notoriété de son nom ou pseudonyme et au nombre de personnes qui le suivent sur son blogue, sur Twitter, sur les réseaux sociaux et éventuellement le relaient à leur tour. Son autorité n’est plus transcendante comme dans l’ordre ancien, mais réside dans la fiabilité de son travail, dans l’intérêt des documents qu’il relaie et commente pour sa communauté conformément aux valeurs de l’ordre nouveau. La rémunération de son travail est sinon plus incertaine, du moins pas (encore) réglementée comme celle de l’auteur. Le héraut qui voudrait vivre de son travail n’a que deux solutions non exclusives l’une de l’autre : soit il réussit à monnayer sa notoriété auprès d’annonceurs ou d’autres clients ; soit il est rémunéré directement ou indirectement par sa communauté.

Sans remonter au héraut du Moyen Âge, l’importance des relais dans la circulation de l’information n’est pas vraiment nouvelle. Ils ont été étudiés par la sociologie américaine des médias au lendemain de la seconde guerre mondiale , qui a mis en évidence le processus de two steps flow of communication, une circulation de l’information à deux étages pour analyser l’influence des médias sur le vote. Les médias touchent d’abord une série de personnes plus concernées, des leaders d’opinion qui ensuite influent les choix de leur communauté. Mais sur le web, le relai passe directement sur le média et laisse des traces. Dès lors, le leader d’opinion sur le web est pour sa communauté autant un héraut, un haut-parleur dont chaque nouvelle alerte efface la précédente, qu’un bibliothécaire ou un documentaliste qui accumule un patrimoine documentaire. À son échelle individuelle, il reflète le positionnement du web, entre flot et bibliothèque.

Actu du 28 décembre 2011

Voir la proposition de L. Maurel, pour résoudre la difficulté de la rémunération :

Rémunération des blogueurs : une piste du côté de la licence globale ?

Et aussi le point de vue québécois de M. Lessard :

Les blogueurs, ressources à exploiter?

vendredi 03 décembre 2010

Pierre-Michel Menger : « Comment sécuriser le revenu du travail du créateur ? »

Médiapart a fait une série de 7 courtes vidéos passionnantes du sociologue Pierre-Michel Menger à l'occasion de la sortie de son livre :

Pierre-Michel Menger, Le travail créateur. S'accomplir dans l'incertain, 2009, Gallimard-Seuil, Paris, coll. « Hautes Études », 667 p.

La dernière a pour thème : Quels seront les effets de l'actuelle révolution technologique sur le travail artistique ?. Dans sa réponse, le sociologue souligne l'ampleur des changements et il insiste en concluant à son tour sur une interrogation : Comment sécuriser ce que c'est que le revenu et la rémunération du travail du créateur ? Pour moi c'est l'enjeu central.. qui n'a pas de réponse monolithique et simple. Pour le coup, on s'évade des cadres anciens.

Plus d'un an et demi plus tard, beaucoup de choses ont bougé sur le net. Mais il semble bien que l'enjeu central ait fait du sur place..

On peut visualiser l'ensemble de la série ici.

mardi 08 septembre 2009

Accès libre : la fausse évidence du macro

Concernant l'accès libre à la science, (archives ouvertes, dépôts institutionnels, revues en accès libre) il y a une différence radicale selon que l'on raisonne globalement, à grande échelle, ou plus finement en prenant en compte les intérêts des différentes parties. Et cette différence conduit à des difficultés souvent mal comprises qui suscitent l'impatience des promoteurs de l'accès libre devant la lenteur de sa mise en place concrète de ce qui leur apparait comme une évidence. Deux rapports récents, aux conclusions radicalement différentes sinon opposées, illustrent une nouvelle fois le paradoxe.

Macro

Le premier a été commandé par le JISC. Il s'agit d'une modélisation macro des coûts et bénéfices d'un passage général au libre accès dans trois pays : le Royaume-Uni, le Danemark et les Pays-Bas.

John Houghton, Open Access – What are the economic benefits? A comparison of the United Kingdom, Netherlands and Denmark, 23 juin 2009 (Pdf). Présentation et analyse de JP Devroey sur Blogus operandi ici

Le rapport conclut à un intérêt économique global très important pour le modèle d'accès libre. Extrait des conclusions (trad JMS) :

  • L'accès libre ou le paiement de la publication par les auteurs (i.e. Gold OA) pourrait amener une économie d'environ 70 millions d'euros par an sur une base nationale pour le Danemark, 133 pour les Pays-Bas et 480 pour le Royaume Uni (au niveau des prix et de l'activité de 2007).
  • L'accès libre par auto-archivage sans annulation des abonnements (i.e. Green OA) pourrait économiser environ 30 millions au Danemark, 50 aux Pays-Bas et 125 au Royaume Uni.
  • L'accès libre par auto-archivage avec un service d'accès est plus spéculatif, mais un modèle de dépôts et de services pourrait produire des économies comparables à la publication en accès libre.

On peut discuter ces calculs, car ils supposent des approximations parfois larges. Néanmoins, il est vraisemblable que si d'un coup de baguette magique on pouvait changer l'ensemble du système, les économies globales pour la société seraient substantielles. Et ce genre d'études est toujours intéressant pour motiver des décideurs, au moins ceux qui ont le pouvoir de modifier les politiques, les bailleurs de fonds de la recherche qui souhaitent évidemment rentabiliser leurs investissements de façon optimale.

Mais son défaut est de faire fi de l'analyse des acteurs. Or, à moins de vouloir une science entièrement administrée, ce sont les chercheurs et leurs structures, complexes, entrelacées, souvent autogérées ou féodales qui auront le dernier mot. Et là, cela se complique..

Micro

Le second rapport est une étude plus modeste qui tente de repérer les coûts et bénéfices de huit revues américaines de sociétés savantes en SHS sur une période de trois ans (2005-07) :

Mary Wattman, The Future of Scholarly Journals Publishing Among Social Science and Humanities Associations, février 2009 Pdf

Sans doute l'étude ne prétend pas à une représentativité sur un si petit échantillon. Néanmoins, elle fournit d'intéressantes indications. Extraits du résumé (trad JMS) :

Le coût par page va de 184$ à 825$ (moy 526$). Lorsque les coûts variables d'impression sont retirés, ces coûts tombent entre 90 et 652$ (moy 350$).

Les coûts totaux ont augmenté d'environ 6% (370.000$) sur les 3 années de l'enquête. Les coûts de fabrication et de production des revues papier ont baissé légèrement malgré une petite augmentation du nombre de pages (+5,4%) et un accroissement de 1% de la distribution papier.

Les revenus ont augmenté de 800.000$. L'essentiel de cette augmentation provient des institutions.

Les revenus des abonnements institutionnels, incluant les licences de sites et de consortiums, procurent 58% des revenus totaux et 72% des revenus d'abonnements en 2007.

Les revenus provenant des abonnés institutionnels ont augmenté d'environ 12% pendant la période étudiée, la majorité de l'augmentation provenant des abonnements couplés, papier et numérique. La chute des abonnements papier uniquement est notable.

Globalement, (..) le solde positif a augmenté constamment durant la période étudiée, car les coûts étaient constamment tenus tandis que les revenus augmentaient.

Toute tentative de modèle alternatif d'affaires pour les revues en SHS, qui autoriserait un plus large accès au contenu scientifique, doit être, ou devenir, financièrement solide pour soutenir le développement de l'association et de la revue.

Le passage à un modèle de financement radicalement nouveau sous la forme d'un accès libre (auteur/producteur payant) dans lequel les coûts de publication des recherches seraient payés par les auteurs ou les agences de financement, et où les lecteurs auraient un accès en ligne gratuit, n'est aujourd'hui une solution raisonnable pour aucune des revues de ce groupe, compte tenu des coûts prévus. La provenance des ressources externes nécessaires pour un tel modèle n'est pas non plus claire et celles-ci pourraient bien être beaucoup moins accessibles que dans les disciplines STM.

Ces conclusions recoupent des remarques de couloir de collègues responsables de revues, étonnés et heureux des revenus inespérés provenant des portails de revues SHS en Amérique du nord. L'économie des revues SHS se modifie rapidement. Il n'est pas sûr que, contrairement à leurs espoirs, celle-ci aille dans le sens des promoteurs de l'open access.

La situation des revues en STM et la concentration des éditeurs dans ces disciplines sont très différentes, induisant des profits qu'il est juste de dénoncer avec force. Mais je suis persuadé que si l'on entrait plus finement dans l'analyse du jeu des pouvoirs internes à ces disciplines, on comprendrait mieux les résistances et les complicités entre éditeurs commerciaux et éditeurs scientifiques.

jeudi 19 avril 2007

Beaumarchais has been ?

Une des difficultés actuelles sur le modèle d'affaires du Web-média est la rémunération des contenus, et, en amont, celle des auteurs et des artistes. La référence à Beaumarchais fait sens si on se rappelle qu'il fut en France à la pointe du combat des auteurs contre les propriétaires de théâtre et qu'il a fondé en 1777 la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD, toujours en place et très active dans les polémiques actuelles), en réaction contre les rémunérations que lui versait la Comédie française pour Le Barbier de Séville.

Ainsi, lors d'un entretien avec l'avocat Maxence Abdelli, l'Atelier pose la question :

Et si Beaumarchais avait connu Internet, comment pensez-vous qu'il aurait réagi?

M.A : Aurait-il été inquiet de la question de la rémunération des auteurs sur Internet? Aurait-il salué l’arrivée en force du « public » des internautes? Difficile à dire...

D'une manière plus générale, toute une partie de la profession prône encore l'application du droit d'auteur de façon assez stricte sur les réseaux de communication électronique. Beaumarchais en aurait peut-être fait partie ! Or, je crois qu'aujourd'hui il est nécessaire de trouver un équilibre. Tout en protégeant les auteurs, c'est une évidence, il faut trouver un nouveau modèle alternatif de développement qui permette aux œuvres de circuler assez librement tout en rémunérant les auteurs.

Ce qui est fondamental dans le débat aujourd'hui, c'est que l'on ne peut pas se contenter de rémunérer les artistes avec de la publicité. Ce modèle porterait en effet trop préjudice aux artistes. En effet, il y a un certain manque de visibilité sur les recettes perçues par la publicité. Si un artiste met son œuvre sur un site qui ne génère pas beaucoup de publicité ou qui est peu fréquenté, il risque de dévaloriser son œuvre et il l'aura communiquée au public sans avoir de rémunération conséquente. La rémunération des artistes doit être proportionnelle aux recettes engendrées. Ces recettes peuvent être générées soit par la vente de supports physiques, soit par celle de titres numériques. Il y a donc une petite marge de manœuvre à exploiter à ce niveau-là. Ce qu'il faut donc retenir du droit applicable aujourd'hui, c'est le principe d'une rémunération, et d'une rémunération équitable. Mais si, sur Internet, ces principes sont pleinement applicables pour les plates-formes de vente en ligne, pour les artistes qui ont déjà intégré un catalogue, on a encore un gros problème de visibilité sur les rémunérations que l'on peut verser aux artistes ne participant à aucun catalogue.

La réponse témoigne de l'attachement des auteurs au modèle éditorial, qui leur fournit une rémunération proportionnelle aux ventes des artefacts sur lesquels est fixé une copie de leur oeuvre. Mais, cette posture n'est pas conforme au combat de Beaumarchais qui visait le théâtre et non l'édition. Les industries culturelles se sont évidemment depuis transformées. En particulier, la radio-télévision, issue du modèle théâtral, a explosé et trouvé les moyens de rémunérer les artistes. Il reste à trouver l'équivalent pour le Web-média. Je ne doute pas qu'on y arrive après sûrement bien des batailles. Si je suis sûr que Beaumarchais y aurait participé, je pense qu'il ne se serait pas trouvé du même côté que bien des auteurs aujourd'hui qui confondent leurs intérêts avec ceux du lobby éditorial, dont il n'est pas évident que l'organisation soit la plus efficace pour défendre la création.

samedi 01 avril 2006

Livre, mots-clés

Les mots-clés renvoient aux billets du blogue correspondant aux différents chapitres, parties et sous-parties du livre.