Le dernier numéro du BBF est consacré à un dossier intitulé Économie et droit de l'information, à vrai dire, il n'est question que de droit. L'économie n'est qu'un élément contextuel, une toile de fond sans que ses logiques soient analysées.

Le premier article du dossier fera date. C'est une remarquable synthèse de l'histoire française du droit d'auteur de ses origines à nos jours. Avec une clarté et une pédagogie exceptionnelles, l'auteur, Laurent Pfister, déroule le balancement entre la "liberté de copier" et la "propriété de l'auteur" ou l'antagonisme de deux modèles (la "propriété privée" et le "contrat social") au cours de l'histoire. Il éclaire ainsi les débats actuels et restera comme référence.

Pourtant, il me semble poser problème. Je ne suis ni historien, ni juriste et j'avance donc avec prudence. Mais l'article m'a néanmoins laissé dubitatif.

Je reproduis ici sa conclusion : Pfister, Laurent, « Mort et transfiguration du droit d’auteur ? : Éclairages historiques sur les mutations du droit d’auteur à l’heure du numérique », BBF, 2006, n° 5, p. 5-13

Droit de protection des investissements… et des investisseurs ou droit à une récompense honorifique et pécuniaire compensant la libre utilisation des œuvres par le public ? Quelle qu’en soit l’issue, l’affrontement exacerbé entre privatisation et socialisation, avatars de modèles historiques concurrents, détourne le droit d’auteur de ce qu’il était. Il incline à ne plus être cette propriété souveraine du créateur, comprise comme une protection de sa personnalité et, partant, comme un pouvoir, attaché à lui seul, d’interdire aux exploitants et au public tel ou tel usage de son œuvre, dans le respect de certaines limites.

Qu’il soit tenu pour un « fournisseur de contenus » ou pour un travailleur rémunéré par le public, il est à craindre que l’auteur ne soit la victime du duel que se livrent aujourd’hui entreprises et consommateurs.

Mon problème est le suivant : l'histoire présentée ici est uniquement française, alors que l'histoire du droit d'auteur est internationale, en particulier l'antagonisme noté s'est traduit différemment dans le droit nord-américain qui privilégie la notion de copyright (droit de copie). Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'un raisonnement moral, même s'il est récupéré par des stratégies commerciales, comme nous l'avions montré A. Marter et moi dans un article ancien de la même revue. Aussi l'antagonisme ne met pas en confrontation auteurs et consommateurs, mais auteurs et citoyens (concept absent de l'article..).

La nuance est d'importance, car c'est bien ce principe qui en Amérique du nord a justifié, par exemple, l'ouverture de la Bibliothèque du Congrès selon la formule de Jefferson récemment rappelée par Joseph Stiglitz dans une interview à Libération du 13 sept : Pourtant, comme le disait Jefferson, ex-président américain, le savoir est comme une bougie : «Quand elle en allume une autre, sa lumière ne faiblit pas.» «Le libre accès au savoir tient du bien public mondial», Libération 13 septembre 2006.

Sans doute l'auteur mettrait ce mouvement dans ce qu'il appelle le modèle du contrat social, mais ne pas lier ce dernier avec la construction des démocraties modernes ou inversement faire de l'apparition de l'auteur une naissance déconnectée de l'histoire culturelle (l'auteur romantique) risque de fausser le débat actuel.

L'auteur est menacé, mais le citoyen l'est aussi dans le processus de redocumentarisation en cours. Toute la question est de savoir comment reconstruire ou faire évoluer un droit du document qui s'appuie sur une éthique renouvelée.