Le lecteur d'un précédent billet m'a fait remarquer à juste titre que mon emploi du terme cyberinfrastructure relevait plus d'un anglicisme que d'une heureuse traduction.

On trouvera une définition américaine du terme dans l'item correspondant de Wikipédia. J'ai déjà rendu compte ici, et , de l'agitation autour de cette notion. Il serait donc prudent, en effet, d'être pertinent sur la traduction.

J'ai alors fait appel à la liste Ebsi-l pour avoir un peu d'aide de mes amis ;-). Et l'appel a été entendu, merci à eux. Voici une compilation des propositions recueillies et de quelques autres (les justifications et commentaires sont repris de leur auteur ou de mon cru) :

  • automatique de l'information, qui nous viendrait de T. Breton, mais ne me parait pas très explicite et source de malentendus.
  • infrastructure technologique, qui renvoie au document technologique de la loi québécoise concernant le cadre juridique des technologies de l’information (21 juin 2001), mais c'est la seule utilisation à ma connaissance de cet adjectif comme synonyme de numérique ou électronique.
  • e-infrastructure, intéressant mais malheureusement imprononçable et reste un anglicisme.
  • e-science est le terme employé par les britanniques, voir ici. Il a l'avantage de faire directement référence au domaine, mais l'inconvénient de renvoyer au contenu et non au dispositif. Et cela reste un anglicisme transposé tel quel en Français.
  • infrastructure épistémique, selon la traduction de la proposition de John L. King, voir ici, mais le terme renvoie à l'ensemble des infrastructures de connaissance et non seulement à leur dernière instance électronique.
  • infrastructure cybernétique, mais la proposition déplace, sans la réduire la difficulté signalée.
  • infostructure, ou même infostructure scientifique selon l'expression utilisée par l'ICIST pour son plan stratégique 2005-2010. Le terme a l'avantage d'être le même en Français et en Anglais.
  • en rester, malgré tout à cyberinfrastructure selon le point de vue de H. LeCrosnier présenté dans le dernier colloque CIDE. Mais le terme, même en Anglais, ne paraît pas très heureux. Il fait sans doute référence à l'informatique, mais ni à la science, ni même à l'information.

Ainsi, le terme le plus approprié pour la traduction, plus approprié que l'original même, paraît être infostructure. Il a été largement documenté par un chercheur qui a compilé toute la littérature anglophone lui faisant référence, et développe un argumentaire afin de montrer toute l'importance des bibliothèques dans le développement des pays :

Taher Mohamed, Infostructure in National Development Perspectives, mai 2006 Html

Remarque additionnelle sur les relations Anglais/Français dans la science



Infostructure a déjà été utilisé par des chercheurs en Français dans un sens différent (BRESSAND, Albert & DISTLER, Catherine. - La planète relationnelle, Paris, Flammarion,1995) et un de mes anciens étudiants, Jalel Rouissi, s'est servi de cette notion dans sa thèse pour l'appliquer à un réseau de bibliothèques. On en trouvera un résumé dans cet article :

Rouissi, Jalel, Le réseau sous l’éclairage de la démarche qualité : Proposition d’une grille d’indicateurs pour l’évaluation des effets qualitatifs de la coopération inter-bibliothèques, 2001 ArchiveSic.

En voici un extrait :

Nous nous appuierons sur le modèle établi par Albert Bressand et Catherine Distler (1995) qui abordent le réseau en tant que « machine relationnelle » qui se définit comme : « un ensemble de moyens (infrastructure) et de règles (infostructures) permettant aux acteurs qui y ont accès d'entreprendre et de mener à bien des projets communs dès lors que ceux-ci sont conformes aux attentes et usages communs (infoculture) »

  • L'Infrastructure englobe l'ensemble des équipements matériels ; d'où sa nature physique. Mais de nos jours, elle a de plus en plus tendance à intégrer des éléments immatériels comme les standards, les logiciels et les normes. Les acteurs de l'infrastructure sont les constructeurs des technologies comme les fabricants de matériels, les fournisseurs des logiciels et des programmes, les ingénieurs systèmes qui installent les équipements et les programmes et en assurent le suivi et la maintenance.
  • L'Infostructure désigne l'ensemble des règles qui régissent le fonctionnement du réseau. C'est l'expression formelle du réseau traduite par un système d'obligations qui définit la nature des rapports entre les partenaires (contrats, conventions, etc.)
  • L'Infoculture renvoie à la culture réseau que partagent les partenaires. Le réseau est aussi, d'autres diraient avant tout, un état d'esprit, une attitude et une philosophie qui imprègnent les comportements et les réflexes des professionnels au quotidien et conditionnent considérablement la performance du réseau, voire même sa pérennité. Albert Bressand et Catherine Distler parlent de connivence.

L'acception de ces termes a été peu reprise et donc cela n'invalide pas la proposition de traduction précédente. Néanmoins, la trilogie mérite qu'on s'y arrête. Distinguer ces trois dimensions d'un réseau me parait pertinent. Et J. Rouissi en montre une application pratique intéressante. De plus cette trilogie n'est pas sans rappeler celle sur le document de Roger (voir la fin de ce billet), ou encore celle de la langue (syntaxe, sémantique, pragmatique). Il y a là, me semble-t-il, matière à réflexions.

Cette trilogie va nettement au-delà des considérations plutôt vagues et générales sur le côté multidimensionnel des infostructures proposées par un groupe de chercheurs nord-américains financé par la NSF, et même aurait fourni un cadre stimulant aux réflexions des chercheurs du dernier numéro de CT Watch Quaterly.

Et l'oubli de cette référence m'amène à une remarque plus générale sur les relations entre Français et Anglais dans la science. Depuis maintenant presque deux ans que j'ai traversé l'Atlantique, j'ai pu constater, au moins dans les domaines qui sont les miens, une méconnaissance réciproque, quoi qu'on en dise, entre l'Amérique du nord (Québec compris) qui ne semble lire que la littérature scientifique anglophone et la France qui néglige une bonne part de la littérature scientifique anglophone, même si le phénomène des blogues fait bouger les choses sur ce second volet. Clairement, c'est un problème car, au moins pour les sciences humaines et sociales, la langue dans laquelle on pense et on écrit n'est pas sans effet sur les résultats produits, leur écriture et leur lecture, tout simplement parce que la rhétorique est un des instruments de ces sciences. D'un autre côté, ici comme ailleurs, l'Anglais domine.

Dès lors, lorsque les scientifiques francophones de ces disciplines se privent de l'usage et de la connaissance de la littérature scientifique dans leur langue maternelle ou, inversement, de la lecture de la littérature anglophone, ils négligent un avantage concurrentiel fort (qu'a contrario l'extrême-orient a utilisé et continue d'utiliser abondamment).