Lu chez Michel Roland (ici) :

Flickr est une application phare du Web 2.0, en particulier parce qu’elle pousse l’utilisateur de base à enrichir ses contenus de métadonnées et à les rendre ainsi accessible à la communauté. Dans un premier temps nous (utilisateurs de base) l’avons fait sans arrière-pensée: on commence avec quelques photos, on met des étiquettes pour les retrouver facilement, aussi pour jouer avec l’outil et puis on est tellement content de l’interface qu’on met de plus en plus de photos, qu’on met à peu près toutes ses photos dans Flickr et on les tague, les organise d’autant plus facilement qu’on dispose d’outils épatants pour ce faire (l’organizer et puis la World Map), on continue sur la lancée jusqu’à ce qu’on se trouve avec des milliers de photographies et des dizaines d’heures de travail dans l’équipement documentaire dedites sans moyen de rapatrier ce travail chez soi au moment où le partenaire à qui on l’avait confié change de mains et menace de changer de politique. Et on se retrouve ainsi avec le désagréable soupçon d’avoir été piégé.

Pour mes jeunes lecteurs d'une autre génération, le titre du billet fait référence à ce texte fondateur  :

Ainsi donc ce qui gît au fond de l'accumulation primitive du capital, au fond de sa genèse historique, c'est l'expropriation du producteur immédiat, c'est la dissolution de la propriété fondée sur le travail personnel de son possesseur.

La propriété privée, comme antithèse de la propriété collective, n’existe que là où les instruments et les autres conditions extérieures du travail appartiennent à des particuliers. Mais selon que ceux-ci sont les travailleurs ou les non-travailleurs, la propriété privée change de face. Les formes infiniment nuancées qu'elle affecte à première vue ne font que réfléchir les états intermédiaires entre ces deux extrêmes.

Marx K., Le Capital Livre I : XXII.

Actu du 21 février 2008

Pour atténuer le caractère trop elliptique du billet, voici un petit développement. Le terme accumulation primitive du capital documentaire a, dans mon esprit, une double dimension : celle du capital et celle de ses caractéristiques documentaires.

L'une est dans la suite de l'analyse de Marx avec l'appropriation du résultat du travail, l'exploitation. Certains diraient le «pronétariat».. Cela mériterait une réflexion plus forte que ce que j'ai déjà lu, car, d'une part, la pensée originelle l'était et, d'autre part, nous sommes dans une époque très éloignées de celle du bon Karl.

Mais l'autre dimension est bibliothéconomique. Les origines d'un très grand nombre de bibliothèques et de centres de documentation se trouvent dans une accumulation primitive réalisée, pacifiquement ou non, par des individus qui mutualisent les documents qu'ils ont réunis pour leur intérêt personnel pour passer à la dimension d'un modèle médiatique. La plupart des BU des universités d'Amérique du nord ont été fondées grâce aux dons de bibliophiles (ce qui a permis l'essor de ces universités). En France, les confiscations révolutionnaires des collections religieuses ont joué un rôle très important pour le démarrage des bibliothèques publiques. Plus ponctuellement dans les organisations, les centres de documentation ont été très souvent fondés tout simplement parce que les individus n'arrivaient plus à gérer leur documentation individuelle accumulée.

Le Web 2.0, à mon avis puise dans ces deux logiques. Dans son versant commercial, il y a, à l'évidence, une appropriation du travail d'autrui. Dans son versant médiatique, il y a constitution de collections (y compris de métadonnées) en vue d'une accumulation primitive. Il est bien possible que, passé ce stade, les pratiques et relations se modifient, ce qui justifie le terme «primitive». La citation de M. Roland, parmi bien d'autres, est peut-être le signal d'une prise de conscience et d'un changement dans les relations. Mais le capital accumulé restera comme point de départ.

Un exemple différent et spectaculaire de cette accumulation primitive est évidemment la numérisation des livres des bibliothèques par Google.