Lu dans le dernier rapport du Conseil d'Analyse Économique français qui réunit les meilleurs économistes de l'Hexagone :

Proposition 1. On pourrait considérer qu’après dix ans, un livre puisse être numérisé et téléchargeable (sous réserve des accords des ayants droit). Le manque à gagner, a priori faible, serait reversé par le ministère de la Culture aux éditeurs et aux auteurs au prorata des téléchargements ou des ventes effectives des dix premières années.

Daniel Cohen et Thierry Verdier, La mondialisation immatérielle (Paris: Conseil d'Analyse Économique, Août 2008), ici.

Pour comprendre la proposition, il faut lire l'intéressante contribution de Françoise Benhamou sur l'économie du livre, en particulier les pages 92-96. Extraits :

Le tableau 8 fait état des ventes des livres (tous circuits de distribution confondus) parus lors de la rentrée littéraire d’automne 2005. Les livres ont été classés dans trois groupes distincts en fonction du nombre total des ventes sur le dernier trimestre 2005 :

  • groupe 1 : faibles ventes : de 1 à 799 exemplaires vendus ;
  • groupe 2 : ventes moyennes : de 800 à 4 999 exemplaires vendus ;
  • groupe 3 : fortes ventes : plus de 5 000 exemplaires vendus.

On voit que 16 % des titres (les titres du groupe 3) représentent 83 % des ventes. Pour 43 % des titres, les ventes moyennes s’établissent à 293 exemplaires, tandis qu’elles se montent en moyenne pour l’ensemble des titres à 5 903 exemplaires, avec un maximum de 253 068 ventes et un minimum d’une seule vente… (..)

La fonction du droit d’auteur est d’empêcher ces comportements de « passagers clandestins » par la création d’un monopole de l’auteur (ou des ayants-droit) sur sa création. Telle est la fonction d’incitation à la création, à l’innovation, à la prise de risque du droit d’auteur. Mais ce monopole a un revers : il implique une moindre diffusion, puisqu’il établit un prix – éventuellement élevé – là où pouvait régner la gratuité ou la quasi-gratuité. Le mode de résolution de cette tension entre incitation et diffusion réside dans le caractère temporaire du droit conféré. Or l’histoire du droit d’auteur montre que l’on assiste à un allongement progressif de sa durée (tableau 9) ; on peut en déduire que, dans le conflit entre efficacité statique (rémunération de la création) et efficacité dynamique (diffusion), c’est la première qui s’est montrée gagnante tout au long de l’histoire. (..)

Dans leur note sur le passage de cinquante à soixante-dix années pour le droit d’auteur aux États-Unis, les 17 économistes cités plus haut mentionnaient la perte de bien-être social qui pourrait en résulter. Les coûts additionnels n’étaient pas en mesure de compenser les avantages, très peu importants, en termes d’incitation à l’innovation : les auteurs montraient que, compte tenu de la faiblesse des retombées économiques des oeuvres de l’esprit après cinquante années, tabler sur un effet incitatif du passage de cinquante à soixante-dix ans n’était pas fondé. En revanche, les coûts de transaction générés pouvaient être élevés (recherche des ayants droit, négociation des autorisations et des paiements), et la perte pour le consommateur pouvait être grande. On ajoutera que la disponibilité des oeuvres sur Internet, alors qu’elles ne sont plus disponibles dans le monde physique, peut constituer une chance, certes minime, de « résurrection » des oeuvres.

Salutaire en ces périodes de crispations. Néanmoins, il reste une question importante : si on autorise la mise en ligne des livres au bout de dix ans, qui les mettra en ligne à partir de quel fichier ?

Le rapport analyse aussi la mondialisation (vue de France) de la musique, du cinéma et de la TV, pour ce qui nous intéresse plus directement ici.

Actu du lendemain

Voir aussi nuance et complément au billet suivant .