Je ne prétends pas présenter ici une analyse très étayée, mais je suis frappé par le lieu et la teneur des réactions après l'annonce de la fermeture de Biblio-fr :

  • On ne compte plus les blogues qui lui ont consacré un billet avec souvent nombre de commentaires. Tous ceux que j'ai lu saluent le travail des modérateurs, et, à l'exception de celui-ci, approuvent leur décision et proposent des alternatives puisées dans les outils du Web 2.0. L'argumentaire est l'obsolescence de l'outil face aux développements du Web et aussi l'arrivée d'une nouvelle génération de professionnels.
  • Les messages forts nombreux aussi sur Biblio-fr (ici), dans leur majorité, proviennent d'une autre catégorie de professionnels, moins branchés, qui se plaignent de la perte de service, soit pour des questions pratiques en particulier les offres d'emploi, soit pour des raisons plus culturelles, garder un lien avec l'air du temps de la profession.

Au même moment, mon billet sur Twitter (), largement relayé par ce même canal, a rencontré un net succès d'audience. Il a été commenté, notamment par F Bon qui a fait remarquer que les internautes venaient maintenant sur son site par les réseaux sociaux. Il n'est pas le seul à faire cette constatation. Thomas Baekdal, parmi d'autres, montre qu'en 2005 la provenance des visiteurs de son site était à 60% de Google, alors qu'aujourd'hui ils viendraient pour 65% des réseaux sociaux (ici). J'ai d'ailleurs, moi-même, repéré ce billet via Facebook + Twitter..

Pour le dire autrement, la navigation serait de plus en plus sociale et de moins en moins documentaire. Je ne suis pas sûr de la réalité de cette constatation et encore moins qu'il faille s'en réjouir.

On peut en effet faire une toute autre hypothèse, que me parait corroborer l'épisode de Biblio-fr : l'effet de bocal. Au sein des réseaux sociaux, la navigation se fragmente par réseaux d'intérêt et se concentre sur l'actualité, sur l'écume et la vitesse. Sans doute, il y a beaucoup de clics, mais les communautés se forment, s'informent et s'enferment. Pour suivre les débats sur la fin de Biblio-fr dans les blogues, il faut passer de l'un à l'autre.. pour retrouver les mêmes débatteurs et tourner en rond dans le bocal. Il est bien possible que cette communauté là, lecteurs passifs compris ne dépasse pas quelques centaines, peut-être quelques milliers, impossible de savoir. C'est pourtant ceux-là qui considèrent détenir la solution et réussir à construire de nouveaux outils représentatifs de l'ensemble de la profession.

Inversement, les interrogations sur Google sont toujours aussi nombreuses, mais ne conduisent pas que sur les plateformes sociales. Aussi, il y a un important biais si l'on ne regarde que la fréquentation de ces derniers qui s'auto-alimentent très largement. Je crois que la bonne façon de voir les choses est de faire la différence entre les résidents et les visiteurs (voir ici), en gardant à l'esprit que les premiers sont beaucoup moins nombreux que les seconds, qu'ils ont tendance à accaparer les outils et à parler au nom de tous. Il leur faudrait pourtant se méfier, car ils discutent paradoxalement en cercles fermés. La posture des seconds est tout aussi respectable, peut-être même plus saine, et on verra dans l'enquête citée que cette partition ne correspond pas à un effet de génération, que je crois pour ma part et en fonction de mon expérience d'enseignant très surestimé.

Quant à la liste de discussion, elle joue un rôle très différent. Tout d'abord elle symbolise aujourd'hui une profession avec ses qualités et ses défauts, ensuite c'est un outil de service qu'il serait bien stupide de jeter (combien de temps faudra-t-il pour reconstruire un outil capable de toucher tant de monde intéressé par les bibliothèques ?), enfin c'est un lieu de paroles paradoxalement beaucoup plus ouvert que les blogues.

Le blogue dispose d'un grand avantage pour la qualité et la profondeur du débat : c'est une pensée personnelle qui s'affine petit à petit dans une conversation avec quelques uns. Mais la liste permet un débat et une diffusion des idées beaucoup plus large, même si cela est parfois plus laborieux.