Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mardi 13 février 2007

Qu'est-ce qu'un livre (3) ?

Dans un entretien au journal Le Monde je crois vers fin 1998, un promoteur de l'encre électronique avait eu cette phrase lumineuse (je cite de mémoire) : Si on avait inventé le livre après l'ordinateur, on aurait dit : quelle invention géniale !

En voici trois illustrations :

(la première image a été repérée par Bibliothécaire, la seconde a déjà été citée dans un précédent billet)

Et, troisième illustration, avec le son, les sous-titres et le mouvement, cette délicieuse vidéo en costumes d'époque, repérée par Marlene's corner.

dimanche 11 février 2007

Ambiguïtés du droit d'auteur à la française

Voici deux extraits significatifs de l'exposé de Agnès Tricoire, avocat au barreau de Paris, sur l'histoire du droit d'auteur présenté au cours de la table-ronde sur la "Situation des auteurs de l'écrit : état des lieux et perspectives" du 21 décembre 2006, tenue dans le cadre de l'action du CNL Livre 2010.

Cet exposé vient compléter utilement l'article du BBF présenté et critiqué dans un précédent billet.

Concernant la logique du copyright à l'américaine :

"Enfin, pour les économistes Léon Walras, John Stuart Mill ou Jules Dupuit, les DPI ne sont qu’une convention sociale à apprécier au regard de sa capacité à satisfaire l’intérêt général… ; et à garantir les intérêts conjoints des auteurs et de la société.

Cette conception utilitariste du droit d’auteur fonde le système américain du copyright. Cela transparaît déjà dans la constitution américaine de 1787 : « Le Congrès est autorisé à promouvoir le progrès de la science et des arts utiles en garantissant, pour un temps limité, aux auteurs et aux inventeurs un droit exclusif sur leurs oeuvres écrites et inventions respectives »7. Ce qui est mis en avant, ce n’est pas les intérêts de l’auteur mais bien ceux de la société (le progrès de la science). Cette proposition est de nouveau affirmée et précisée à l’occasion du Copyright Act de 1909 : « Le copyright est accordé au premier chef non pas au bénéfice de l'auteur, mais au bénéfice du public (...). En promulguant la loi sur le copyright, le Congrès doit envisager deux questions : premièrement dans quelle mesure la loi stimulera-t-elle le producteur (producer) et quel en sera le bénéfice pour le public ; et, deuxièmement, en quoi le monopole conféré à l'auteur pénalisera-t-il le public? »8.

Le système du copyright protège donc l’oeuvre contre la copie au nom de l’intérêt général. Il ne protège pas l’auteur en tant que tel. Le statut d’auteur n’a donc pas une importance centrale et les droits afférents à ce statut non plus. Il n’est donc pas étonnant que le droit moral ne soit pas présent dans le système américain."

Sur la loi de 1957, qui fonde le droit d'auteur à la française :

"L’auteur est le premier mot du CPI, immédiatement défini par un complément d’objet, l’oeuvre de l’esprit, et par le statut que lui confère ce complément d’objet, le devenir sujet de droit, et quel droit ! Un droit incorporel, exclusif et opposable à tous, dont l’auteur jouit sur l’oeuvre.

L’auteur est donc celui qui jouit du droit « sur » car il est l’auteur « de ». L’auteur est une sorte de père incestueux, de figure juridique incomplète, défini par le produit de lui-même. La définition de ce produit de lui-même que la loi appelle « oeuvre de l’esprit » est renvoyée, dans un double bind conceptuel qui a beaucoup fait grincer des dents les structuralistes, dans le camp de la personne de l’auteur, dont on ne sait toujours rien d’autre sinon qu’il est, par une figure tautologique, celui qui a marqué l’oeuvre, celui dont la personnalité est inscrite dans l’oeuvre. L’originalité comme critère de l’oeuvre renvoie à l’auteur.

Rien ici ne permet de distinguer l’auteur d’une oeuvre de l’auteur d’une idée, de l’auteur d’une théorie, de l’auteur d’un choix, et le miracle juridique de la transsubstantiation a permis la transformation du droit d’auteur en poubelle de l’industrie. Le mot de création ouvre la perspective d’un acte spécifique, autonome, que chacun prend bien soin de ne pas définir.

Dans un temps aussi troublé que le nôtre, où l’auteur risque de disparaître dans la poubelle qu’est devenue son droit, est-ce bien raisonnable de craindre autant de s’expliquer et de s’entendre sur l’objet spécifique de cette protection hors du commun ?"

samedi 10 février 2007

Micro/macro, don, libre accès et Web 2.0

À première vue, il y aurait un paradoxe entre l'explosion du Web 2.0 qui repose notamment sur la grande "générosité" des internautes, partageant leurs données, informations, impressions sans beaucoup de réticences et les limites actuelles du libre accès dans la science, pourtant antérieur au Web 2.0, qui peine à convaincre les auteurs d'articles à les déposer dans des "archives ouvertes".

Le paradoxe est d'autant plus grand qu'à l'échelle globale "macro", la science a tout à gagner à une ouverture de ses publications déjà par nature structurées et hiérarchisées, tandis que pour le Web 2.0, le bruit généré conduit à un chaos pas toujours vraiment productif.

Plusieurs explications sont avancées pour l'inertie des chercheurs : le manque d'information, les pressions des éditeurs, la résistance au changement, le conservatisme.. On pourrait aussi arguer que 15% de déposants c'est déjà un chiffre sans doute supérieur à la proportion d'internautes actifs dans le Web 2.0. Sans doute chacune a sa part, mais elles ne me convainquent pas. Les chercheurs forment une petite communauté, facile à toucher, autonome, très réactive et, parmi eux certains ont massivement investi le libre accès, mieux ils ont tout simplement inventé de Web à cette fin !

La véritable explication me parait ailleurs. Elle réside dans la différence du raisonnement économique, selon que l'on raisonne à l'échelle macro ou micro. En effet, à l'échelle micro, le raisonnement change de nature.

Pour le Web 2.0, un intéressant billet de Technologie Review est éclairant :

Samaritans with keyboards: On the Internet, helping strangers is a form of fun, Associated Press 10 janv 2007 (repéré par InternetActu)

Il reprend quelques réflexions et analyses de chercheurs s'étant interrogé sur les motivations individuelles du don sur le Web. La conclusion la plus édifiante est micro-économique. Extraits :

"It's not that human nature has changed, it's that the cost of participation has been dramatically lowered," Rheingold said. "If you're an expert on the prairie dogs of Nebraska, it's now very inexpensive for you to contribute your little piece of expertise." (..)

Patricia Wallace, author of The Psychology of the Internet, believes the anonymity of the online environment makes people more likely to take the risk of helping. She contrasts this to this to the act of helping out a real-life motorist who's asking for directions: "If you gave that person the wrong directions, he knows what you look like, who you are. He might drive back and say what kind of jerk you are."

On pourrait y ajouter le "don fortuit", celui que l'on fait en effaçant la frontière entre l'espace privé et l'espace public.

Maintenant comparons ces motivations avec la situation des chercheurs. Pour la première, en aucun cas le coût de participation du chercheur à la publication a changé : celui-ci repose sur la révision par les pairs dont l'obligation n'est pas différente dans le numérique que dans la publication traditionnelle. Par ailleurs, l'anonymat est exclu, sauf cas très particuliers, car il interdit la confrontation et la vérification des points de vue. De plus la publication étant liée à la carrière du chercheur, il ne tirerait plus de bénéfice de ses publications. Quant au don fortuit, il a peu de chances de fonctionner, les chercheurs voulant garder l'exclusivité de leurs travaux avant qu'ils ne soient arrêtés et bons pour la publication. Ainsi les raisons évoquées pour le Web 2.0 ne fonctionnent pas dans le libre accès.

Mais il y a pire, comme je l'ai montré dans un récent chapitre de livre.

Salaün, Jean-Michel. 2006. Économie du document - Pour des archithécaires. In Pérenniser le document numérique, 32-50. ADBS-Édition.

Extraits :

''Pour bien comprendre ce phénomène, il faut faire la différence entre l’édition (la sélection et la mise en forme d’un texte pour une revue) et la publication (la diffusion de ce texte édité). Dans l’économie ordinaire de la science, les chercheurs ont plus intérêt à être édités, c’est-à-dire à ce que leurs articles figurent dans des revues, qu’à être publiés, c’est-à-dire potentiellement lus au-delà d’un tout petit cercle d’initiés. L’objectif de l’édition est d’allonger leur bibliographie (liste de leurs travaux reconnus par leurs pairs) qui, ellemême, est l’élément central du dossier qui les suivra le long de leur carrière.

Ce point est d’autant plus crucial que les jeunes chercheurs sont le plus soumis à la loi, bien mal nommée, du publish or perish, tandis que ceux dont la carrière est faite pourront préférer une audience large, c’est-à-dire le libre accès, indépendamment d’une édition dans une revue. Sans doute peut-on objecter que le chercheur voudra être édité dans la revue la plus prestigieuse, celle qui a le plus haut « facteur d’impact » et qui est donc la plus lue. Mais cela ne change en rien son attitude initiale, guidée uniquement par le souci d’une révision de son texte par ses pairs en vue d’une acceptation qu’il pourra consigner dans sa bibliographie et absolument pas par la mise en libre accès de ce texte.

Toute la science est régulée par ce dispositif de révision par les pairs, mais on mesure souvent mal, en Europe, à quel point il fonde l’organisation de ses structures en Amérique du Nord. L’étalon du facteur d’impact, inventé par Eugene Garfield, permet de hiérarchiser les revues et, par voie de conséquence, les chercheurs dont les itinéraires sont, de ce côté-là de l’Atlantique, très individualisés et les universités en forte concurrence. Les financements des personnes, des travaux et des institutions dépendent largement de ce classement.''

Ainsi, vérité ou erreur d'un côté ou de l'autre de la frontière qui sépare grand public et science.. et vérité ou erreur selon l'échelle (macro ou micro) du raisonnement.

jeudi 08 février 2007

La Presse tient bon

Dans notre pentagone, les différentes facettes sont plus solides que ne le pensent bien des analystes du numérique. Dès lors la question est moins de savoir si le Web va balayer les médias traditionnels, mais quelle place il va prendre parmi eux.

Extraits d'un communiqué de la World Association of Newspapers :

  • Diffusion globale des journaux en hausse de 9,95 depuis cinq ans et de 2,36 pour cent au cours des douze derniers mois
  • Nombre de titres quotidiens supérieur à 10 000 pour la première fois dans l’histoire
  • Plus de 450 millions d’exemplaires vendus quotidiennement
  • Plus de 1,4 milliard de lecteurs de journaux payants
  • Diffusion totale des quotidiens gratuits qui a plus que doublé en cinq ans

Contrairement aux idées reçues, la diffusion des journaux est en hausse et de nouveaux titres sont lancés à un rythme remarquable, selon les nouvelles données mises à jour de l’Association Mondiale des Journaux.

"Ces tendances indiquent par ailleurs l’innovation très répandue, mais souvent négligée, qui se produit dans l’industrie de la presse. Alors qu’une grande partie de l’attention s’est portée sur le développement numérique, le produit imprimé a changé également. Même dans les marchés les plus développés, on a constaté une prolifération de nouveaux types de journaux, ciblant de nouveaux segments d’audience et imaginant de nouveaux scénarios marketing et de distribution. Et le déferlement de nouveaux titres gratuits, lancés sur le marché des journaux payants, résulte du fait que de nombreux éditeurs repensent le modèle de revenus des ventes au détail en place depuis plus de 400 ans."

M. Balding a noté que les journaux représentaient une industrie qui pèse près de 180 milliards dans le monde, avec davantage de recettes publicitaires que la radio, l’affichage extérieur, le cinéma, les magazines et internet combinés. Plus de 6 milliards d’euros ont été investis dans les technologies de presse ces cinq dernières années, et l’industrie emploie pas loin de deux millions de personnes à travers le monde.

Repéré grâce à un article du journal Le Monde

Le déclin annoncé des journaux démenti par les faits, Aline Leclerc, Le Monde 08-02-07

Actu du 11-02-2007 : en relation avec le commentaire de Pierre, on pourra lire ce billet de l'Observatoire des médias :

La PQN se casse la figure en France, mais le débat continue, 09-02-2007

mercredi 07 février 2007

Synergies canadiennes

Décidément, au Canada les institutions documentaires jouent la carte de la coopération. Après la Stratégie pour l'information numérique initiée par Bibliothèque et Archives Canada, après la concertation sur la numérisation Alouette, lancée par l'Association Canadienne des bibliothèques de recherche, voici le bien nommé Synergies pour les Sciences humaines et sociales, piloté par l'Université de Montréal (Michael Eberle-Sinatra, chercheur principal) et annoncé aujourd'hui 7 février 2007. Extraits du communiqué :

Le projet Synergies lie intimement deux volets importants de la diffusion de la recherche : un accès en ligne des publications de recherche publiées au Canada et un service d’édition numérique pour les chercheurs. Synergies est un réseau de cinq universités pôles (Université de Montréal, University of New Brunswick, University of Toronto, University of Calgary et Simon Fraser University) formant autant de centres d’édition scientifique auxquels les chercheurs pourront s’adresser pour publier et diffuser les résultats de leur recherche. Synergies répond au besoin de plus grande diffusion des publications en sciences humaines et sociales et de l’accès trop limité à ces sources d’information à l’heure actuelle. (..)

Synergies sera un système d’information comportant plusieurs genres de documents scientifiques (revue, ouvrage, thèse, prépublication, rapport de recherche, etc.), des images et des données brutes. Les interfaces de Synergies seront construites de façon à donner accès aux documents et données, en fonction des besoins des chercheurs, selon leurs protocoles de recherche. Les données et documents déjà présents dans Érudit et les systèmes des partenaires feront également partie de Synergies.

Par l’accès gratuit à la majorité des documents, Synergies sera un moyen concret de valorisation des résultats de la recherche en sciences humaines et sociales auprès du public en général. De plus, dépassant la mise à disposition d’une interface multilingue, Synergies innovera en permettant que des mots clés en anglais ou en français donneront accès à des documents dans l’une ou l’autre des deux langues.

Le projet Synergies a été annoncé aujourd’hui, conjointement avec un projet de réseau canadien de documentation pour la recherche mené par l’Université d’Ottawa. Ensemble, les deux projets totalisent 61,5 millions dollars, dont 25 millions dollars de la FCI.

- page 115 de 144 -