Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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jeudi 29 juin 2006

Bulle et Business plans

Juste pour mémoire, cette mine inexploitée repérée par F. Pisani :

University of Maryland researchers received a $235,000 award from the Library of Congress for their project developing a digital repository to preserve records from the dot-com era of the late 1990s. The records include business plans, marketing plans, venture presentations and other business documents from more than 2,000 failed and successful Internet start-ups collected through the Business Plan Archive project (businessplanarchive.org), a Web portal launched in 2002. The grant will be matched by the project's partners. The second phase of the project involves collecting personal narratives from entrepreneurs, employees, customers, suppliers, investors and others involved in the Internet boom and bust.

Site

L'illusion de l'immatériel

Le vocabulaire est parfois trompeur. En français, on dit « informatique », « ordinateur ». On marque ainsi les qualités informationnelles et classificatoires de ces méthodes et outils. En anglais, on préfère « computer science », « computer » , renvoyant aux origines calculatoires de l'outil.

On oublie alors souvent en France que Google est, peut-être avant tout, un centre de calcul qui est interrogé par des calculateurs (nos ordinateurs personnels). Or les calculateurs sont des machines du « hard ». Le New York Times a révélé que la firme était en train de bâtir un nouveau centre dans l'Oregon. Microsoft et Yahoo! construisent le leur de leur côté, mais dans cette course Google est loin devant. Il aurait 450.000 serveurs connectés sur 25 lieux différents. L'objectif est, bien sûr, la vitesse de calcul et l'ampleur des services couverts.

Ainsi Didier Durand rapporte que le balayage complet du Web par Google vient de passer récemment à deux ou trois jours. Ou encore Jean-Marie Le Ray annonce le prochain lancement, parmi d'autres services, d'un traducteur de 3e génération, basé sur les calculs statistiques.

Du point de vue économique la stratégie est claire, comme l'indique le NYT, monter les barrières à l'entrée :

"Google wants to raise the barriers to entry by competitors by making the baseline service very expensive," said Brian Reid, a former Google executive who is now director of engineering at the Internet Systems Consortium in Redwood City, Calif.

Aussi ma conclusion sera inverse de celle de D. Durand sur le même sujet. Partant d'un calcul sur les bénéfices et le chiffre d'affaires, il indique :

..cela veut dire que la puissance financière d'une entreprise du monde de l'information (en tout cas!) n'est finalement plus le résultat de son infrastructure matérielle mais du logiciel qu'elle y installe (et dans la matière grise qui l'a élaboré!)

Peut-être le résultat financier, mais pas la puissance : le logiciel et la matière grise sont plus volatils que les machines, qui assurent la puissance et la suprématie de la firme. Aussi, il me semble que l'on a tort de trop exagérer les différences entre ces entreprises et les bonnes vieilles firmes capitalistiques.

Ces éléments peuvent faire douter de la réussite économique d'un Quaero qui paraît avoir négligé cette dimension du problème.

Biens ou services gratuits

Ce billet m'a été inspiré par les réflexions de Tristan Nitot sur la gratuité des logiciels libres, il me permet de prolonger une réflexion démarrée il y a fort longtemps ( v. par ex ici).

Une des différences fondamentales pour les économistes entre un bien et un service tient à ce que la fabrication du premier se fait indépendamment de la relation avec le consommateur, tandis que celle du second se fait toujours en partie en interaction avec ce dernier. On achète un "bien" qui est un produit fini, et l'on utilisera à notre guise. Quand on achète un service, le "produit" n'est pas fini : en consommant le service nous contribuons à le produire. Sa production n'est pas entièrement détachée de sa consommation.

Maintenant, croisons cette remarque avec celles de T. Nitot sur la gratuité et en nous focalisant sur l'objet qui nous intéresse dans ce blog : l'économie du document.

Un document, dans sa version finale, est un bien, un objet, matériel ou immatériel, qui a, de plus, la vertu ou le défaut d'avoir les caractéristiques d'un "bien public", c'est à dire qu'il est infiniment échangeable ; d'où les discussions et réflexions sur la propriété intellectuelle, avec par exemple, les propositions d'économistes sur la licence globale. C'est ainsi que la question de la gratuité se pose.

À partir du moment où on ne peut plus réaliser ce bien sur un marché, c'est à dire le vendre pour qu'il soit consommé par ailleurs, il faut trouver le moyen de rémunérer sa production ou l'activité qu'il génère, faute de quoi l'ensemble s'assêchera rapidement. Toute une série de mécanismes existent en amont (construction d'une réputation rémunérée par ailleurs, soutien à la création, produits-joints, etc.), nous n'en parlons pas ici pour nous focaliser sur la relation avec le consommateur.

La solution à ce problème a été trouvée il y a longtemps, mais elle a fait récemment avec le Web un pas décisif. Il s'agit de déplacer la réalisation de la valeur du bien lui-même à sa consommation en jouant sur les caractéristiques comportementales de celle-ci. En effet, lorsque nous consommons un bien informationnel (nous lisons, nous écoutons, nous regardons, etc.), nous focalisons notre attention sur un message qui est lui-même une injonction à l'action. Une lecture modifie notre comportement.

Les premiers à en tirer les conséquences économiques en France sont Émile de Girardin en lançant le premier journal populaire en 1836, La Presse, et Moïse Millaud en 1863 avec Le Petit Journal, des lancements comparables ont lieu à la même époque en Grande Bretagne et aux USA (on trouvera un bon résumé de l'histoire de la Presse, inspiré du livre de F. Balle Médias et Sociétés ici). L'annonce doit payer le journal. La publicité oriente peu ou prou notre consommation et des annonceurs sont prêts à payer pour notre attention captée par les journaux. La distribution des journaux gratuits ne fait que pousser à l'extrême cette option. Mais dans celle-ci, la relation économique est toujours celle de la consommation d'un bien, même si par divers moyens on cherche à fidéliser le lecteur pour capter son attention.

Avec la radio-télévision, un pas supplémentaire est fait dans la direction du service : le produit échappe au téléspectateur qui n'est plus maître de sa consommation, il est enchaîné à une grille de programme temporelle qui cherche à coller au plus près à sa disponibilité. D'où la fameuse phrase de P. Le Lay mille fois citée sur le temps de cerveau disponible. Le prix à payer pour le responsable de la chaîne est la gratuité pour le spectateur.

Le Web constitue sans doute la troisième période de cette « servicialisation » de la consommation d'informations. D'un côté, il rend la main à l'internaute qui reprend la maîtrise de son temps : il navigue sans contrainte ; de l'autre il permet d'asservir son attention par une connaissance de plus en plus fine de ses comportements informationnels (voir à ce sujet le billet d'O. Ertzscheid). Dès lors, on comprend bien les stratégies de captation des internautes : il est préférable que leur navigation passe par les machines que l'on contrôle, on aura ainsi une relation de coconstruction du service que l'on pourra tenter d'orienter à son profit. D'où une offre pléthorique de services gratuits de la part d'entreprises on ne peut plus intéressées. Il serait tout à fait trompeur dans ce contexte d'assimiler liberté et gratuité.

Pour résumer d'une phrase lapidaire ce billet, je pourrais conclure ainsi : « La solution marchande du paradoxe de la gratuité est de transformer le bien informationnel en service ».

vendredi 23 juin 2006

Wikipédia et les historiens

Les analyses, débats et polémiques autour de l'encyclopedie en ligne Wikipédia sont très nombreuses et souvent passionnées. On en trouvera une bonne synthèse dans le dossier de la cellule de veille scientifique et technologique de l'INRP, réalisé en mars 2006. Depuis l'excitation n'est pas retombée. Elle ne retombera pas rapidement dans la mesure où le modèle s'est clairement imposé (sa réussite en terme de contenu et d'audience est spectaculaire), sauf dans sa dimension économique. Cette lacune laisse présager encore bien des évolutions et des discussions.

De ce débat public, je relève deux tendances :

- du côté de Wikipédia, la mise en place progressive et délicate d'un système de contrôle et de filtrage qui préserve les apports de l'ouverture. Rien de plus logique, nous sommes dans un processus éditorial. Mais sa richesse, à la fois en terme d'image de marque et en terme d'efficacité, repose sur l'apport en écriture et expertise des internautes. Le défi pour Wikipédia est d'organiser ce filtrage et à terme de rémunérer au moins une part du travail de ses contributeurs sans casser le bénévolat.

- du côté de ses détracteurs, les arguments qui visent justement ces carences éditoriales cachent parfois mal des arrières-pensées qui relèvent du dénigrement d'un concurrent. La concurrence se tient à deux niveaux : celui du marché de la réputation (les experts patentés), celui de l'édition (les médias et les encyclopédies).

Jusqu'à maintenant, Wikipédia est financé par des fondations. Ce type de budget le protège, mais il est fragile. Il est protégé car il préserve son indépendance et lui permet de garder une orientation tournée vers l'intérêt général. Il est fragile car il est soumis au bon vouloir et aux ressources des donateurs. Ce financement et la vocation de Wikipédia ne sont pas sans rappeler une autre institution : l'université.

Une nouvelle pièce, repérée par if:book, vient alimenter utilement la réflexion. Il s'agit d'un long article d'un universitaire historien, Roy Rosenzweig : Can History be Open Source? Wikipedia and the Future of the Past.

Illustrant les tendances rappelées plus haut, l'article mérite qu'on s'y arrête. En effet, il illustre très clairement les relations et les contradictions entre la construction du savoir académique et celle du savoir "wikipédien", y compris dans ses aspects économiques, dans une discipline concernée au premier chef : l'histoire. L'article, après une présentation de Wikipédia, fait une comparaison nuancée et précise entre plusieurs sources des historiens. Cette citation en résume bien, je crois, l'esprit général :

"If the unpaid amateurs at Wikipedia have managed to outstrip an expensively produced reference work such as Encarta and provide a surprisingly comprehensive and largely accurate portrait of major and minor figures in U.S. history, professional historians need not fear that Wikipedians will quickly put them out of business. Good historical writing requires not just factual accuracy but also a command of the scholarly literature, persuasive analysis and interpretations, and clear and engaging prose. By those measures, American National Biography Online easily outdistances Wikipedia."

La dernière partie de l'article, cherche à tirer les leçons pour les historiens du développement de l'encyclopédie en ligne. Voici celles qui me paraissent alimenter la thématique de ce blog :

La première leçon est le succès manifeste de Wikipédia chez les étudiants lié à l'accessibilité des données. L'auteur en tire une conclusion économique radicale :

"If historians believe that what is available free on the Web is low quality, then we have a responsibility to make better information sources available online. Why are so many of our scholarly journals locked away behind subscription gates? What about American National Biography Online—written by professional historians, sponsored by our scholarly societies, and supported by millions of dollars in foundation and government grants? Why is it available only to libraries that often pay thousands of dollars per year rather than to everyone on the Web as Wikipedia is? Shouldn’t professional historians join in the massive democratization of access to knowledge reflected by Wikipedia and the Web in general?55 American National Biography Online may be a significantly better historical resource than Wikipedia, but its impact is much smaller because it is available to so few people."

La seconde leçon concerne l'innovation d'un système de révision ouvert, à la fois proche de la révision par les pairs académique, mais ouvert et peu compatible avec ce dernier, par le temps à y consacrer, le nombre d'intéractions de qualité variable et les critères de sélection. Il semble que les historiens qui participaient au processus au démarrage l'aient abandonné.

La troisième leçon est l'impressionnante armée de bénévoles participants au processus, autorisant une récolte de données hors de la portée des forces limitées du monde académique. L'auteur compare ce mouvement à la "légion des généalogistes" amateurs, bien connue des historiens.

Enfin, il conclut sur la différence entre le modèle de Wikipédia et celui de la construction de la science basée sur la controverse, y compris dans son économie (fonds de recherche).

mercredi 21 juin 2006

Structure du budget de PLoS (Le prix de la publication 2)

Nature commente les difficultés financières de PLoS, signalées dans un précédent billet :

''As a US non-profit charity, PLoS must file its annual accounts to the Internal Revenue Service. Nature consulted these via GuideStar.org, a database that contains information on 1.5 million US non-profit organizations. The figures show that PLoS lost almost $1 million last year. Moreover, its total income from fees and advertising currently covers just 35% of its total costs. And although this income is increasing - from $0.75 million in 2003-04 to $0.9 million in 2004-05 - it lags far behind spending, which has soared from $1.5 million to around $5.5 million over the past three years.

To stay afloat, the firm continues to rely on the philanthropic grants that launched the project: $9 million from the Gordon and Betty Moore Foundation and $4 million from the Sandler Family Supporting Foundation, both based in San Francisco (see table image). These covered 65% of the company's operating costs last year, but are running out: at the end of last September, PLoS had assets of $3,393,265.

"We will continue to rely on philanthropic grant support for the foreseeable future," says Mark Patterson, director of publishing at PLoS's UK office in Cambridge, and "possibly always". Patterson adds that he is hopeful that the Sandler Foundation will provide more grants. "We will continue to rely on philanthropic grant support for the foreseeable future," says Mark Patterson, director of publishing at PLoS's UK office in Cambridge, and "possibly always". Patterson adds that he is hopeful that the Sandler Foundation will provide more grants....

"This demonstrates once again the fragility of the author-pays model," says David Worlock, chairman of the London-based publishing consultancy Electronic Publishing Services. (Worlock has worked with a number of publishing companies including Nature Publishing Group.) "It's a real giveaway if they are now saying that they will always need some philanthropic funding." But Patterson points out that PLoS launched most of its journals recently, and that income from these publications is only beginning to accrue. "The financial situation for this year will look quite different," he says. "I'm confident we can balance the books this year and next."''

Il est trop tôt pour des conclusions définitives sur le modèle de paiement par les auteurs. D'autant que PLoS raisonne sur un portefeuille de titres, tous très récents. Néanmoins, c'est un avertissement sérieux.

De plus Nature fournit un tableau intéressant de la répartition des revenus de PLoS :

Deux leçons à tirer de ce tableau pour nous :

- l'implication déjà notée des fondations :

- l'importance des revenus indirects. Dans d'autres pays (comme la France), l'économie des revues est largement supportée par des aides publiques ou para-publiques (CNL). Il serait intéressant d'avoir un tableau comparable. Il n'est pas évident, en effet, que la structure des revenus du modèle classique soit plus équilibrée dans de nombreux cas.

Bien des revues même ont une économie publique, si l'on tient compte de la totalité des coûts, notamment du personnel ou des locaux mis à disposition. Quelle est, par exemple, la structure du budget du Bulletin des bibliothèques de France ?

Repéré par P. Suber.

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