Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - économie de l'attention

dimanche 19 novembre 2006

Musique : le partage du gâteau et les leçons de l'histoire

La musique est, avec l'information scientifique, un des secteurs-clés où se testent les nouveaux modèles économiques du document numérique.

L'actualité récente nous montre que les batailles commerciales y sont encore vives,

  • entre les industriels du contenant d'un côté avec le lancement par Microsoft de Zune pour contrecarrer la position dominante prise par Apple son IPod et son système de distribution ITunes ;
  • entre les industriels du contenant et du contenu avec les négociations entre les détenteurs de droits et les plateformes d'échanges.

Dans ces batailles et polémiques, le manque de recul nous laisse souvent croire que nous assistons à une aventure inédite. Il faut relativiser. Sans doute la situation est nouvelle, mais les arguments et les stratégies ne se renouvellent guère. Les mêmes logiques perdurent. Ainsi en est-il, par exemple, de la relation industrie du contenant / industrie du contenu.

Dans un article célèbre Andrew Odlyzko a montré, en proposant une rapide histoire économique des médias, qu'en terme de rentabilité financière, le contenu n'était pas le roi. Content is not king, First Monday, volume 6, number 2 (February 2001). Nous le retrouvons aujourd'hui, par exemple avec le partage des revenus de Apple entre les ventes du IPod et ceux de ITunes (un rapport presque de 1 à 10..), comme le rappelle D. Durand.

Mais surtout cette histoire nous renvoie aux tous débuts de la radio, où les fabricants de matériels, comme Westinghouse, payaient leurs ingénieurs pour qu'ils mettent du contenu en onde afin de vendre des récepteurs radio. L'avènement de la radio, dans les années 1920, s'est accompagné d'un effondrement des ventes de disques, d'une restructuration de l'industrie de la musique enregistrée avec le développement du star-system.

Patrice Flichy fut un des premiers à l'analyser en France. Une thèse récente (attention 360 pages en format zippé) poursuit le raisonnement en le prolongeant jusqu'à aujourd'hui. Voici un extrait de la conclusion :

Outre la mise en évidence d’un pouvoir de négociation supérieur pour les artistes, notre principale conclusion réside dans la remise en cause du modèle économique de star-system sur lequel s’appuient les majors. Cette remise en cause s’explique par l’effondrement des fonctions de distribution et de promotion, traditionnelles clés de voûte de l’industrie. Les majors devraient alors passer d’un modèle économique fondé sur les économies d’échelle à un modèle fondé sur les économies d’envergure. A l’inverse, la faculté des nouveaux entrants (issus principalement du secteur informatique et télécoms) à exercer conjointement ces fonctions en aval de la chaîne de valeur les place en position de force dans l’industrie. Alors que l’apparition de la radio dans les années 30 avait permis l’instauration du star-system, Internet est susceptible de renverser ce modèle. Il n’en reste pas moins que les débats sur la mort annoncée de l’industrie phonographique suite à l’arrivée de la radio sont en tout point comparables à la problématique rencontrée par l’industrie du disque à l’heure actuelle. p.307.

LABARTHE-PIOL Benjamin, L’impact d’Internet sur l’industrie du disque : vers un nouveau régime de croissance, Thèse en Sciences économiques, Université Paris Dauphine, 4 juillet 2005.

Autrement dit si l'histoire se répète, les industriels du contenu seraient néanmoins avisés de se positionner sur la longue traîne, car la transformation explosive des modalités de la distribution illustre sans doute un tournant important de la consommation contemporaine de musique. Là nous sommes dans une nouvelle donne.

jeudi 05 octobre 2006

Les sept piliers de l'économie du document

Les économistes mettent en avant les caractéristiques particulières de l'information pour justifier à la fois l'intérêt et la difficulté de l'analyse dans ce champ. Elles sont souvent présentées en désordre et sans hiérarchie. Mais je crois que, au moins pour ce qui concerne le document, on peut les regrouper sous sept rubriques qui forment les sept piliers de son économie :

  1. La non-destruction
  2. Le prototype
  3. L'interprétation
  4. La plasticité
  5. L'expérience
  6. L'attention
  7. La résonance

Ces piliers doivent être mis en relation avec les paradoxes que le numérique révèle ou accuse (voir ici, et ), pour comprendre les développements en cours.

Le raisonnement économique est parfois difficile à suivre pour un non-initié. S'il est rendu complexe par la spécificité du champ et la technicité de la discipline, les notions de base sont pourtant très concrètes et font partie de l'expérience ordinaire de tout un chacun.

Ainsi, on peut les éclairer par une illustration simple, une parabole dont chacun mesurera facilement les conséquences : la parabole du (petit) déjeuner. Cet exemple particulier sera élargi sans difficulté à d'autres objets informationnels et d'autres situations analogues.

Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner.. vous avez peut-être aussi reçu du courrier. Je développerai dans sept billets à venir les sept piliers en les mettant en situation à partir de cette mise en appétit..

dimanche 10 septembre 2006

Longue traîne et bibliothèques

D. Durand vient de publier une excellente synthèse critique du livre de Chris Anderson The Long Tail. L'auteur, lui-même, dans son blog signale plusieurs études universitaires qui reprennent, discutent et développent sa proposition, confirmant la remarque de D. Durand :

.. il va à mon avis rester comme l'un des livres "business" forts de ces prochaines années ! Il décrit en effet un phénomène appelé à se généraliser (industries et géographie) et à fortement modifier l'économie des sociétés ainsi que la vie des citoyens si son ampleur se confirme.

L'article initial publié dans Wired, qui a été développé en livre après discussions sur le blog de l'auteur, a été traduit en français par InternetActu. J'imagine que la traduction du livre lui-même ne saurait tarder.

Citons le résumé de la thèse fondamentale, tel que le propose D. Durand. Tout est dans la courbe :

''En mathématique, la longue traîne est une loi de puissance: la demande pour un produit est une fonction exponentielle décroissante du rang de classement de ce produit dans la demande globale. Sous forme graphique, cela donne:

Cette courbe descend donc de manière asymptotique vers le zéro sans jamais le toucher. L'objectif des sociétés basées sur cette Longue Traîne comme Amazon est de monétiser (avec des profits…) la zone de demande où celle-ci est tellement faible qu'aucune rentabilité ne pouvait être envisagée avant l'Internet (i.e le côté droit de la courbe ci-dessus).''

Pour nous, il faut souligner deux points essentiels pour éclairer les bouleversements actuels de l'économie du document :

- La courbe n'est pas une nouveauté pour les bibliothécaires (loi de Bradford), ni pour les sciences de l'information (lois de Lotka et de Zipf). Ce qui est nouveau, c'est qu'elle est maintenant reconnue comme une loi de distribution fondamentale sur le Web, et, pour la partie développée par C. Anderson, qu'elle trouve un débouché économique du fait de la chute dans certains domaines des coûts de transaction. Les conséquences sont très nombreuses dans l'économie du document. C'est une des clés de lecture des conséquences du numérique sur toutes les branches de l'industrie de la culture et de l'information.

- Les bibliothèques se justifiaient d'un point de vue économique parce qu'il était nécessaire de mutualiser les coûts de transaction pour ne pas perdre l'apport des documents peu demandés et pourtant peut-être fondamentaux pour l'avenir. La possibilité de faire des affaires avec la longue traîne bouscule le monopole du modèle de la bibliothèque sur ce terrain. Roger, dans ses discussions, a développé cette question. C'est aussi donc une clé de la fragilisation du modèle bibliothéconomique et de la nécessité à réfléchir à une alternative.

Mais, il ne faut pour autant oublier la partie gauche de la courbe (c'est-à-dire la concentration de l'attention et donc des ventes sur un nombre réduit d'items) qui, évidemment, reste un des piliers fondamentaux de l'organisation économique du document.

jeudi 29 juin 2006

Biens ou services gratuits

Ce billet m'a été inspiré par les réflexions de Tristan Nitot sur la gratuité des logiciels libres, il me permet de prolonger une réflexion démarrée il y a fort longtemps ( v. par ex ici).

Une des différences fondamentales pour les économistes entre un bien et un service tient à ce que la fabrication du premier se fait indépendamment de la relation avec le consommateur, tandis que celle du second se fait toujours en partie en interaction avec ce dernier. On achète un "bien" qui est un produit fini, et l'on utilisera à notre guise. Quand on achète un service, le "produit" n'est pas fini : en consommant le service nous contribuons à le produire. Sa production n'est pas entièrement détachée de sa consommation.

Maintenant, croisons cette remarque avec celles de T. Nitot sur la gratuité et en nous focalisant sur l'objet qui nous intéresse dans ce blog : l'économie du document.

Un document, dans sa version finale, est un bien, un objet, matériel ou immatériel, qui a, de plus, la vertu ou le défaut d'avoir les caractéristiques d'un "bien public", c'est à dire qu'il est infiniment échangeable ; d'où les discussions et réflexions sur la propriété intellectuelle, avec par exemple, les propositions d'économistes sur la licence globale. C'est ainsi que la question de la gratuité se pose.

À partir du moment où on ne peut plus réaliser ce bien sur un marché, c'est à dire le vendre pour qu'il soit consommé par ailleurs, il faut trouver le moyen de rémunérer sa production ou l'activité qu'il génère, faute de quoi l'ensemble s'assêchera rapidement. Toute une série de mécanismes existent en amont (construction d'une réputation rémunérée par ailleurs, soutien à la création, produits-joints, etc.), nous n'en parlons pas ici pour nous focaliser sur la relation avec le consommateur.

La solution à ce problème a été trouvée il y a longtemps, mais elle a fait récemment avec le Web un pas décisif. Il s'agit de déplacer la réalisation de la valeur du bien lui-même à sa consommation en jouant sur les caractéristiques comportementales de celle-ci. En effet, lorsque nous consommons un bien informationnel (nous lisons, nous écoutons, nous regardons, etc.), nous focalisons notre attention sur un message qui est lui-même une injonction à l'action. Une lecture modifie notre comportement.

Les premiers à en tirer les conséquences économiques en France sont Émile de Girardin en lançant le premier journal populaire en 1836, La Presse, et Moïse Millaud en 1863 avec Le Petit Journal, des lancements comparables ont lieu à la même époque en Grande Bretagne et aux USA (on trouvera un bon résumé de l'histoire de la Presse, inspiré du livre de F. Balle Médias et Sociétés ici). L'annonce doit payer le journal. La publicité oriente peu ou prou notre consommation et des annonceurs sont prêts à payer pour notre attention captée par les journaux. La distribution des journaux gratuits ne fait que pousser à l'extrême cette option. Mais dans celle-ci, la relation économique est toujours celle de la consommation d'un bien, même si par divers moyens on cherche à fidéliser le lecteur pour capter son attention.

Avec la radio-télévision, un pas supplémentaire est fait dans la direction du service : le produit échappe au téléspectateur qui n'est plus maître de sa consommation, il est enchaîné à une grille de programme temporelle qui cherche à coller au plus près à sa disponibilité. D'où la fameuse phrase de P. Le Lay mille fois citée sur le temps de cerveau disponible. Le prix à payer pour le responsable de la chaîne est la gratuité pour le spectateur.

Le Web constitue sans doute la troisième période de cette « servicialisation » de la consommation d'informations. D'un côté, il rend la main à l'internaute qui reprend la maîtrise de son temps : il navigue sans contrainte ; de l'autre il permet d'asservir son attention par une connaissance de plus en plus fine de ses comportements informationnels (voir à ce sujet le billet d'O. Ertzscheid). Dès lors, on comprend bien les stratégies de captation des internautes : il est préférable que leur navigation passe par les machines que l'on contrôle, on aura ainsi une relation de coconstruction du service que l'on pourra tenter d'orienter à son profit. D'où une offre pléthorique de services gratuits de la part d'entreprises on ne peut plus intéressées. Il serait tout à fait trompeur dans ce contexte d'assimiler liberté et gratuité.

Pour résumer d'une phrase lapidaire ce billet, je pourrais conclure ainsi : « La solution marchande du paradoxe de la gratuité est de transformer le bien informationnel en service ».

lundi 17 avril 2006

Analyse économique de la licence globale

François Moreau, Marc Bourreau et Michel Gensollen ont actualisé leur première analyse de la licence globale publiée par Internet Actu, suite aux commentaires des internautes. L'intérêt est d'avoir le point de vue d'économistes patentés sur une question jusqu'ici débattue par les politiques et les différentes parties prenantes.

C'est une illustration concrète du rapport de N. Curien et PA Muet La société de l'information, en particulier sur le paradoxe "bien public" et sur la notion d'infomédiaire.

Mais il manque encore, à mon avis, une analyse serrée de l'économie de l'attention ou de la réputation, ou plus trivialement de la publicité commerciale.

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