Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - attention

mardi 16 septembre 2008

Les journaux sous la coupe de Google

La World association of Newspapers a diffusé un communiqué alarmiste sur l'accord publicitaire Yahoo!-Google. Il mérite d'être lu en entier. En dénonçant l'accord, il montre clairement combien Google a réussi à vassaliser la presse par la captation de l'attention via la recherche vs la diffusion.

WAN Communiqué sur la proposition d’accord Google-Yahoo, 15 septembre 2008, ici.

Extraits :

(..) Il convient de souligner que la plupart des 18.000 journaux membres de l’AMJ sont, en fait, des clients réguliers de Google (et, dans une moindre mesure, de Yahoo). Ces éditeurs dépendent de Google (et de Yahoo) pour une grande partie de leurs recettes publicitaires en ligne et s’appuient sur les moteurs de recherche respectifs de chacune de ces sociétés (à la fois les résultats de leurs référencements naturels et de leurs référencements payants) pour stimuler le trafic vers leurs sites web. Jusqu’alors, la concurrence entre ces deux entreprises constituait un frein à tout abus potentiel sur le marché, et contribuait à assurer aux éditeurs et aux générateurs de contenu un rendement équitable sur leur contenu. (..)

“L’accord proposé affaiblira inévitablement Yahoo dans sa concurrence avec Google pour ces contrats,” a déclaré l’AMJ. “Les annonceurs migreront de plus en plus vers Google car ils constateront qu’ils gagnent moins s’ils font appel à Yahoo. Yahoo aura donc moins d’annonces propres à proposer et sera donc en moins bonne position pour offrir un meilleur accord que Google. Ce problème s’accentuera avec le temps car Google - en affichant ainsi sa véritable intention - a refusé de permettre à Yahoo de présenter les annonces de Google sur les sites web des nouveaux partenaires éditeurs qu’il acquerra après la finalisation de cet accord. En d’autres termes, Google a imposé à Yahoo une condition qui l’empêche d’exploiter une des dernières opportunités qui lui reste de concurrencer Google. (..)

En ce qui concerne les référencements payants, l’accord porte essentiellement sur un accord de fixation des prix. Aujourd’hui, Google fait payer généralement davantage que Yahoo pour le même lien sponsorisé - entre 20% et 35% de plus en moyenne, selon les estimations de l’industrie. C’est pourquoi les journaux qui achètent aujourd’hui des liens sponsorisés à Yahoo pour attirer des lecteurs seront obligés dans l’avenir d’acheter ces mêmes liens à Google - sauf qu’ils paieront plus cher. En effet, une récente étude a révélé que les prix sur Yahoo augmenteront de 22% en moyenne aux termes de cet accord. (..)

Cet accord pose également une menace à plus long terme en affectant la capacité des journaux à attirer des lecteurs à travers le référencement naturel. Aujourd’hui, la concurrence entre les moteurs de recherche les empêche de manipuler les résultats de la recherche. (..)

Le résultat est que cet accord obligera les journaux à devenir encore plus dépendants de Google qu’ils le sont aujourd’hui. En permettant à Google de contrôler jusqu’à 90% du marché de la publicité par référencement naturel et par annonces contextuelles, Google exercera un énorme pouvoir, aussi bien sur la capacité des journaux à atteindre les lecteurs que sur leur capacité à générer des revenus publicitaires en ligne. A l’exception de certains médias d’Etat, jamais dans l’histoire de l’édition une seule entreprise n’a menacé d’exercer un tel contrôle sur la destinée de la presse.

Il est particulièrement inquiétant que cette consolidation de pouvoir intervient au moment même où Google adopte des positions de plus en plus hostiles vis-à-vis des journaux et des autres concepteurs de contenus. Google possède déjà plusieurs sites de contenus qui concurrencent directement le contenu développé par les journaux et les autres créateurs - souvent en copiant simplement le contenu des autres sans autorisation. (..)

Complément du 1 octobre 2008

Les blogueurs français de ce petit monde s'interrogent beaucoup sur l'avenir de la presse. On peut démarrer une navigation par l'analyse d'E. Parody et suivre les liens :

Emmanuel Parody, “Des Etats généraux de la presse pour qui? ,” ecosphere, Octobre 1, 2008, ici.

lundi 15 septembre 2008

Le coeur du métier de Google (suite)

Suite de l'analyse de la page de recherche de Google.

Rappel, dans un précédent billet (ici), j'ai analysé la partie haute de la page, selon le principe :

Chacun s'accorde à penser que le moteur de recherche, couplé à la publicité sur les réponses aux requêtes représente le cœur du métier de Google. Chacun aussi convient que la sobriété de la page de recherche a été un facteur déterminant dans son succès. Dès lors, l'analyse de cette page où rien n'est laissé au hasard, et de son évolution, doit nous en apprendre beaucoup sur la stratégie de la firme. Je m'en tiendrai à un rapide survol de la palette des services présentés sur Google.com (ici, attention cette présentation est évolutive dans le temps et selon la situation du terminal d'interrogation), mais une analyse plus approfondie et un repérage des nuances entre les différentes versions nationales seraient aussi à mon avis riches d'enseignements.

Voici donc quelques réflexions sur la partie basse de la page. Je ne ferai pas, cette fois, d'analyse historique.

Remarquons d'abord que le lien vers Chrome a disparu quelques jours seulement après son annonce, ce qui relativise le positionnement de ce nouveau service : service important puisqu'il a eu les honneurs de la page-coeur, mais encore service dilemme. Sa réussite n'est pas assurée.

Juste en dessous de la fenêtre, on trouve deux boutons Google Search et I'm feeling lucky. Ces boutons sont présents dès la première page d'interrogation, il y a vingt dix ans (merci Alain ;-)). Ils n'ont ni changé de place, ni de formulation. L'un et l'autre forment le service de base central de Google. L'adjonction de ces deux boutons est essentielle. Elle montre que dès le départ Google ne s'est pas pensé comme un simple service de recherche, mais bien aussi comme un outil de navigation. Il est vraisemblable que l'étude des logs a confirmé très vite Google dans son intuition : nombre d'internautes, de plus en plus l'utilisent directement pour naviguer grâce au second bouton.

Sans avoir accès aux données du moteur, la spectaculaire évolution du regard sur les pages de réponses de Google entre 2005 et 2008 montre assez à quel point la tendance en ce sens est radicale :

“Has Google gotten better?,” Think Eyetracking, Septembre 4, 2008, .

(Aparté : cette évolution est heureuse pour les bibliothèques. Le créneau de la recherche pertinente sera bientôt libre..)

Je laisse les boutons de droite, destinés à ceux qui souhaitent affiner leurs recherches (mais ils mériteraient bien aussi une analyse), pour conclure mon analyse par la barre du dessous. On y trouve quatre boutons.

Celui de droite me propose d'aller à Google Canada. Ainsi, je suis repéré par la firme comme résident du Canada. Impossible d'y échapper, je suis bien où elle dit que je suis. Il n'est pas anodin que le découpage soit géographique et selon les États. Google est multinationale, pas internationale ou transnationale comme parfois on pourrait le croire. La segmentation de sa cible est d'abord nationale et cette segmentation est radicale, l'internaute ne peut s'y soustraire : même s'il peut choisir d'utiliser les services destinés à d'autres nations, il sera repéré comme issu de sa nation de résidence. Il y a là vraisemblablement une double raison. Tout d'abord, malgré toute la littérature sur la globalisation, l'organisation des marchés est d'abord nationale et les attitudes des consommateurs varient selon les cultures nationales. Ensuite, nous sommes sur le terrain de l'information et, même sans évoquer la censure politique, les règles de droit (propriété intellectuelle, données..) varient suivant les pays. Le Web couvre la planète, mais celle-ci reste une mosaïque de nations, tout particulièrement dans l'information.

Passons le bouton About Google, peu différent de ce que l'on retrouve sur tous les sites corporatifs, pour conclure sur les deux boutons de gauche : Advertising Programs et Business Solutions. Ces deux boutons sont les seuls à vendre quelque chose. Nous sommes d'abord dans un service gratuit qui s'adresse aux internautes pour capter leur attention (tout le reste de la page), néanmoins il s'agit de ce qu'on appelle un marché bi-face et ces deux boutons représentent la seconde face, celle des transactions commerciales.

La concomitance de ces deux boutons est étonnante et trahit l'hésitation de Google sur sa stratégie ou la difficulté de sa diversification. Une première analyse pourrait nous faire conclure que la firme a une stratégie commerciale avec deux volets complémentaires : la vente de publicité d'un côté, la vente de services aux entreprises de l'autre. En cliquant sur les boutons, on retrouve bien sous celui de gauche les propositions Adwords et Adsense de vente de mots et d'espaces publicitaire.. mais sous celui de droite, on retrouve les mêmes services proposés auxquels s'ajoute simplement une troisième offre pour augmenter la productivité de l'entreprise qui consiste à une recherche universelle, un certain nombre d'outils bureautiques partagés ou la publication de cartes personnalisées. Cette troisième offre, on le voit, cherche à diversifier la firme vers la bureautique, mais elle est encore peu structurée et surtout complètement gratuite. Clairement, Google n'a pas encore trouvé comment diversifier ses rentrées financières à 98% issues de la publicité commerciale.

Le contraste est flagrant entre ces hésitations manifestes et l'intuition de départ que nous avons rappelée plus haut. Tout cela relativise les discours souvent sans recul sur cette firme qui reste une firme comme les autres avec une stratégie commerciale ordinaire, des forces certes, mais aussi des faiblesses.

Complément du 23 septembre 2008

Repéré grâce à Olivier (qui le commente ici) un calendrier de l'histoire de la firme réalisé par elle-même pour son 10ème anniversaire, .

Complément du 8 octobre 2008

Voir ce billet sur l'affichage des résultats sur un téléphone cellulaire :

Olivier Andrieu, “Les moteurs de recherche, avaleurs de trafic ? ,” Abondance, Octobre 8, 2008, ici.

Voir aussi cette excellente vidéo de l'ensemble des Home Pages de Google sur 10 ans, réalisée par OpcionWeb : ici

Celle-ci permet de constater en 4mn que j'ai sans doute été trop partiel dans mon analyse réalisée laborieusement par quelques sondages. En particulier, les annonces en première page comme celle de Chrome ont été beaucoup plus nombreuses que je le croyais.

Complément du 28 octobre 2008

Voir aussi les deux billets de J. Véronis sur dream Orange : Y a-t-il un Web après Google ? ici et .

Complément du 10 mai 2008

Voir aussi le Journal du Net ici

28-03-2012

« Google Design: Why Google.com Homepage Looks So Simple ».

samedi 13 septembre 2008

La science de l'information perdue dans les nuages..

Les professionnels du document ou les chercheurs en sciences de l'information me paraissent bien silencieux (sauf pour dénoncer les appétits mercantiles) sur la question qui agite beaucoup les informaticiens, les professionnels du Web, les promoteurs du Web sémantique et aussi, bien sûr, les industriels de l'internet : le Cloud computing. Un exemple, parmi bien d'autres, le passage du bureau physique au bureau dans les nuages évoqué par H. Guillaud à propos d'un article de Nova Spivack :

Hubert Guillaud, “Le Webtop : le Desktop organisé par le web,” Internet Actu, Septembre 12, 2008, ici.

Nova Spivack, “The Future of the Desktop,” ReadWriteWeb, Août 18, 2008, .

Nova Spivack propose une nouvelle organisation du bureau, adaptée à notre mobilité et à l'évolution du Web. Dans son argumentaire, il se sert de l'image du bibliothécaire comme d'un repoussoir. Extrait (trad JMS) :

Il faut basculer de l'image du bibliothécaire à celui de l'opérateur boursier. Dans le monde du PC, nous étions obnubilés par la nécessité de gérer nos informations sur nos ordinateurs - nous nous conduisions comme des bibliothécaires. Engranger les choses était notre souci, et les trouver était aussi difficile. Mais aujourd'hui, garder l'information n'est vraiment pas le problème : Google a rendu la recherche si puissante et omniprésente que beaucoup d'utilisateurs ne prennent plus la peine de garder quoi que ce soit - il le recherche de nouveau au besoin. Le problème du bibliothécaire a été dépassé par la force brute de la recherche à l'échelle du Web. Au moins pour le moment.

À sa place, nous devons résoudre un problème différent - celui de filtrer ce qui est réellement important et pertinent maintenant et dans un futur proche. Dans les limites de notre temps et de notre attention, nous devons prendre soin à ce que nous recherchons vraiment et ce à quoi nous devons porter notre attention. C'est l'état d'esprit de l'opérateur boursier. S'il se trompe dans son pari, il peut perdre des ressources précieuses, s'il a raison, alors il peut trouver un filon avant le reste du monde et gagner des avantages monnayables à avoir été le premier. Les opérateurs boursiers privilégient la découverte et surveillent les tendances. C'est une orientation et une activité très différente de celle d'un bibliothécaire, et c'est vers cela que nous allons.

Sans contester l'intérêt évident des propositions de N Spivack pour les développement de l'outil, on peut être affligé d'une telle méconnaissance des professions documentaires et donc de la sous-utilisation de leur apport. En 1988 il y a vingt ans donc (!) par exemple, François Jakobiak publiait un livre qui ne disait pas autre chose :

François Jakobiak, Maîtriser l'information critique, Paris : Les Editions d'organisation, 1988.- (Collection Systèmes d'information et de documentation), critique BBF ici.

Par ailleurs, N Spivack insiste sur la gestion du temps documentaire, la présentant là encore comme une rupture par rapport aux pratiques anciennes.

Comme notre vie numérique a évolué de nos vieux bureaux démodés à nos environnements web centrés sur les navigateurs, nous allons passer d’une organisation spatiale de l’information (répertoires, dossiers, bureaux…) à une organisation temporelle (flux, lignes de temps, microblogs, …).

Il ne s'agit pourtant que d'une dimension essentielle de l'archivistique, en particulier l'archivistique québécoise qui se préoccupe des documents courants et les gère à partir de calendriers.

Mais, il ne faut sans doute pas accabler l'auteur, les responsables de cette méconnaissance sont plutôt à rechercher du côté des professionnels de l'information eux-mêmes qui devraient être plus pro-actifs. Visiblement on a besoin d'eux. Sans doute la redocumentarisation en cours bouscule bien des pratiques, mais il me semble que les fondamentaux ne changent guère.

mercredi 10 septembre 2008

Vie privée, document et publicité

En ce moment les polémiques vont bon train sur la protection de la vie privée vs la collecte d'informations personnelles, soit que des gouvernements affichent leur volonté de contrôle, soit que des entreprises utilisent ces données pour construire leur marché. Le débat est plutôt confus, personne ne semblant produire une analyse satisfaisante, voir par exemple :

Daniel Kaplan, “Facebook-Edvige, les rapprochements hasardeux,” Internet Actu, Septembre 5, 2008, (ici).

Dans le même temps les négociations entre la Communauté européenne et Google avancent sur cette même question.

“Google tente de satisfaire les organismes de protection de la vie privée,” EurActiv, Septembre 10, 2008, ().

Extraits :

Pour les régulateurs, le problème principal est de déterminer si les adresses IP peuvent être considérées ou non comme des données personnelles. Si oui, les règles européennes en matière de protection des données seront appliquées et Google sera tenu de demander la permission des utilisateurs avant de stocker cette information. Les répercussions sur le modèle économique actuel de Google pourraient être énormes (EurActiv 09/04/08).

Pour le moment, la législation de l’UE ne définit pas si les adresses IP sont des données à caractère personnel ou non. La directive sur la protection des donnéesexternal considère comme donnée à caractère personnel « toute information concernant une personne identifiée ou identifiable ». (..)

Les experts des autorités européennes de protection de la vie privée ont salué l’initiative de Google comme une bonne nouvelle. Ils ont toutefois souligné qu’elle ne répond pas à la demande de réduire la durée de stockage à six mois. Par ailleurs, la question de l’autorisation préalable des utilisateurs reste ouverte.

Cependant, ils ont également concédé que les inquiétudes relatives à la vie privée pourraient perdre toute pertinence au cas où Chrome, le nouveau navigateur Internet lancé ce mois-ci par Google, gagnaient des part de marché conséquentes. Chrome, qui vise à fusionner la navigation et la recherche, pourrait rendre les moteurs de recherche caducs. En effet, une des innovations amenées par Chrome est le « mode incognito external », dans lequel le navigateur ne stocke aucune donnée personnelle.

Sur le lancement du navigateur, on apprend au même moment qu'une agence gouvernementale allemande met en garde les internautes contre les atteintes à la vie privée qu'il pourrait faciliter :

Laurence Girard, “Chrome suscite des craintes sur la confidentialité des données - Technologies,” Le Monde, Septembre 9, 2008, (ici).

Une poule n'y retrouverait pas ses petits.. pourtant je voudrais suggérer ici une piste de réflexion car il me semble que si l'on part d'un raisonnement documentaire on y voit déjà un peu plus clair. .

Le premier point à souligner est que les entrepreneurs du net ne s'intéressent aux données comportementales que pour bâtir le marché publicitaire. Ils ne cherchent pas à contrôler les individus, mais à vendre des espaces publicitaires aux annonceurs. Sans doute, la frontière entre les deux motivations n'est pas toujours claires, mais je crois qu'il est possible pourtant de la tracer, selon ce que l'on considère comme un document.

Dans les médias traditionnels de diffusion (presse, radio, TV, etc.) la publicité est insérée dans le support et on s'intéresse aux comportements du consommateur simplement pour faire coïncider l'attention de ce dernier avec le message que l'on veut lui transmettre. La publicité est un élément du document qui cherche à capter l'attention. On peut discuter, critiquer les moyens de cette captation d'attention, éventuellement parler de manipulation, mais ils sont clairement extérieurs à la personne. S'il y a contrôle, celui-ci est indirect et il est difficile de prétendre que ces moyens portent atteinte frontalement à la vie privée. Ou s'ils le font par des intrusions trop manifestes, on peut d'en défendre.

Dans les nouveaux marchés de l'internet, la publicité est insérée dans les requêtes des moteurs, dans les courriels, dans les communications et invitations des réseaux sociaux. On s'est alors manifestement rapproché des personnes et on capte leur attention au plus près de leur action. On s'intéresse au comportement de l'internaute au moment même où il se produit. Mais en réalité il y a deux cas de figure ou plutôt deux conceptions documentaires différentes :

  • Soit on s'intéresse aux documents produits (même privés) ou recherchés et on placera la publicité sur ceux-ci ou sur leurs présentations. C'est, me semble-t-il la politique de Google (y compris pour Gmail) et des moteurs en général. Ce pourrait être à l'avenir celle de Chrome.
  • Soit on s'intéresse aux individus eux-mêmes, qui deviennent les vecteurs de la publicité par les relations qu'ils construisent, et on placera la publicité en fonction de la connaissance que l'on aura de ces individus comme émetteurs de document. C'est la stratégie d'entreprises comme FaceBook. D'une certaine façon on pourrait dire, comme Olivier (par ex ici, ou ), qu'ici les individus sont devenus eux-mêmes des documents.

Pour cette raison, même si les ajustements seront sans doute longs, je crois que Google trouvera un compromis avec les États sur la question de la vie privée, par contre je serai plus pessimiste sur les «réseaux sociaux». Du côté du marché aussi la réponse ne sera pas la même. Pour le dire simplement, je ne crois pas vraiment à un fort développement du marché publicitaire dans les réseaux sociaux car on ne garde pas longtemps un ami trop intéressé ou l'on prend quelques distances avec un ami contagieux.

Complément du 11 septembre 2008

Voir aussi :

Jean-Marie Le Ray, Google vs Edvige, Adscriptor, 10 septembre 2008, ici.

Complément du 14 septembre 2008

Olivier élargit la question de façon astucieuse :

Olivier Ertzscheid, “Culture informationnelle, fracture cognitive, redocumentarisation de soi et plus si affinités.,” Affordance, Septembre 14, 2008, ici.

Extrait :

Ce qui permet d’indiquer que pour la première fois à l’échelle de la culture informationnelle, le premier terrain documentaire, c’est celui de ma propre subjectivité. C’est « moi ». L’une des toutes premières explorations documentaires de ces publics n’est plus celle d’un document physique ou même numérique : c’est celle de leur subjectivité connectée. Ceci peut peut-être expliquer un certain nombre de changements, de dysfonctionnements, de naïvetés constatées dans l’approche qu’ont les étudiants et les publics « novices » du « fait » documentaire. Une autre manière de voir les choses est de se dire que c’est là un retour au « Je suis moi-même la matière de mon livre » de Michel de Montaigne. A cette différence qu’en s’inscrivant sur Facebook à 15 ans, on n’a que très peu souvent conscience d’entrer en documentation de soi.

vendredi 05 septembre 2008

Le coeur du métier de Google

Ce billet a une suite ici.

Chacun s'accorde à penser que le moteur de recherche, couplé à la publicité sur les réponses aux requêtes représente le cœur du métier de Google. Chacun aussi convient que la sobriété de la page de recherche a été un facteur déterminant dans son succès. Dès lors, l'analyse de cette page où rien n'est laissé au hasard, et de son évolution, doit nous en apprendre beaucoup sur la stratégie de la firme. Je m'en tiendrai à un rapide survol de la palette des services présentés sur Google.com (ici, attention cette présentation est évolutive dans le temps et selon la situation du terminal d'interrogation), mais une analyse plus approfondie et un repérage des nuances entre les différentes versions nationales seraient aussi à mon avis riches d'enseignements.

Google-Page de requète

La première information qui saute aux yeux sur la page de ce jour est la mise en avant du nouveau navigateur Chrome, juste en dessous de la fenêtre de requête. Si quelqu'un en doutait encore, ce lancement est la priorité stratégique du moment. Il ne s'agit pas pour Google d'un service comme les autres : ce positionnement sur la page est tout-à-fait exceptionnel. Il semble le premier à avoir atteint ce niveau le premier, si l'on met à part des annonces liées à l'actualité (p. ex. Tsunami..), depuis le 4 décembre 2001 où la page a commencé à prendre une tournure définitive avec une série de services annoncés dans un bandeau supérieur, c'est à dire lorsque Google a commencé à rationaliser son portefeuille de services (complément du 8 oct 2008 : affirmation à nuancer, voir le complément du billet suivant ici). En réalité, cette annonce n'apparait pas sur le service intégré à Firefox (elle est remplacée par une incitation à télécharger les modules complémentaires de ce dernier), ce qui renforce encore l'idée d'une offensive visant Internet Explorer. Ce service, pour autant qu'il rencontre le succès, est une pièce essentielle de la stratégie Googleienne, la première donc à avoir été mise pratiquement au même niveau que le moteur sur la page. Cela devrait faire réfléchir.. pour le dire vite et toujours en cas de succès qui n'est évidemment pas encore acquis, le cœur du métier de Google pourrait bien passer d'un service de requêtes à un outil de navigation ou de gestion documentaire (le premier n'étant plus qu'un service complémentaire du second).

La deuxième information importante est le bandeau du haut qui met en avant quelques services de la palette de Google. Cet accent en fait en sorte les «services de base» de la firme, comme on dit en marketing, et la sélection n'est pas du tout anodine, encore moins son évolution dans le temps. On le sait, la firme dispose grâce à l'analyse des traces des requêtes d'une formidable base de données des intentions qui lui donne un avantage considérable par le repérage des tendances des pratiques des internautes et donc leur monétarisation possible. Les choix sur les services mis en avant sont donc hautement significatifs. La capacité d'innovation fascinante et le nombre impressionnant de services, complaisamment relayés par des groupies enthousiastes ou des Cassandres désespérés, ont tendance à laisser croire que la firme raisonnerait sur la base d'un écosystème informationnel où un battement d'aile de papillon d'un côté aurait d'importantes conséquences de l'autre. En réalité, sans douter de sa force globale, elle se conduit bien comme une firme ordinaire avec un portefeuille de services qui comprend, comme partout : des vaches-à-lait, des vedettes, des dilemmes et aussi des poids morts.

Nous avons ce jour dans les services de bases : les images, les cartes, les actualités, les courses (shopping) et la messagerie (Gmail). Il s'agit très vraisemblablement d'un mix entre les services les plus populaires et les plus stratégiques. On pourrait faire une analyse du positionnement de chacun d'entre eux et aussi de l'absence (sur cette première page) des autres. Je réserve celle-ci pour plus tard et me contenterai d'un bref constat analytique de l'évolution de cette liste, à partir d'un rapide balayage de l'historique des pages sur Internet Archive (ici),

Lorsqu'elle est apparue en décembre 2004, la liste comprenait : les images, les groupes (forum), l'annuaire, auxquels les actualités se sont ajoutées un mois plus tard. En mars 2004, il s'est ajouté Froogle, un comparateur de prix ancêtre de Shopping. En février 2005 Local, un service de recherche géographique sur les commerces et services de proximité préfiguration du service de cartes qui le remplace en avril 2006. En août 2006 est apparue la vidéo qui a pris la place du service des groupes et de Froogle. Le 17 mai 2007, la liste des services se déplace en haut et à gauche de la page pour dégager le service de requête et la messagerie (Gmail) apparait dans la liste. En novembre 2007, Produits (Products), qui sera renommé rapidement Shopping, remplace Vidéo.

On peut tirer quelques conclusions simples de cette petite énumération.

Google a rapidement relégué au second plan la fonction d'annuaire, sur laquelle Yahoo! au contraire a mis l'accent et celle des forums, on pourrait dire plus largement avec le vocabulaire d'aujourd'hui des réseaux sociaux. Puis après une première mise en vitrine a fait aussi disparaitre la vidéo. Il me semble que l'on peut voir là la marque d'une difficulté de monétarisation de ces services.

Inversement, les services de géographie et les courses se sont imposés progressivement. Il s'agit, à mon avis, d'une formule d'affaires tout-à-fait originale de ce média qui, contrairement à ce qui est souvent dit, s'inscrit clairement dans l'espace et pour des transactions de proximité au sens où elles concernent des objets qui atteindront le domicile des consommateurs. La monétisation est ici claire, par la publicité ou par les commissions. C'est donc un volet essentiel de la stratégie de Google, qui l'éloigne d'un service documentaire pour la rapprocher du e-commerce. Une diversification à souligner.

Il est aussi très notable que le service d'images soit resté aussi stable que le service central, marque sans doute d'une très forte popularité de ce service. De même, le service d'actualité, arrivé très tôt, est toujours là. Il est aussi très populaire et nous avons vu comment il était monétarisé (). Enfin, l'arrivée récente de la messagerie sur la page d'accueil pourrait être un autre symptôme de l'inflexion de la stratégie de la firme, notée au début du billet : navigation et messagerie sont en effet les deux services de bases de l'internet. Google a réussi à monétiser le premier par la publicité tout en le transformant en un ticket d'entrée pour ses services, et donc, sinon un verrouillage complet, du moins une orientation ferme et sans douleur de la navigation des internautes. Il est bien possible qu'il souhaite réitérer l'exploit avec le second.

La partie inférieure de la page mérite aussi une analyse, car elle en dit très long sur le modèle d'affaires développé par la firme. Mais c'est assez pour un samedi..

Complément du 9 septembre

L'annonce de Chrome a été retirée de la page à peine quelques jours après son lancement, ce qui relativise son positionnement. Nous en sommes encore à un service Dilemme.

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