Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche - web média

mardi 16 septembre 2008

Les journaux sous la coupe de Google

La World association of Newspapers a diffusé un communiqué alarmiste sur l'accord publicitaire Yahoo!-Google. Il mérite d'être lu en entier. En dénonçant l'accord, il montre clairement combien Google a réussi à vassaliser la presse par la captation de l'attention via la recherche vs la diffusion.

WAN Communiqué sur la proposition d’accord Google-Yahoo, 15 septembre 2008, ici.

Extraits :

(..) Il convient de souligner que la plupart des 18.000 journaux membres de l’AMJ sont, en fait, des clients réguliers de Google (et, dans une moindre mesure, de Yahoo). Ces éditeurs dépendent de Google (et de Yahoo) pour une grande partie de leurs recettes publicitaires en ligne et s’appuient sur les moteurs de recherche respectifs de chacune de ces sociétés (à la fois les résultats de leurs référencements naturels et de leurs référencements payants) pour stimuler le trafic vers leurs sites web. Jusqu’alors, la concurrence entre ces deux entreprises constituait un frein à tout abus potentiel sur le marché, et contribuait à assurer aux éditeurs et aux générateurs de contenu un rendement équitable sur leur contenu. (..)

“L’accord proposé affaiblira inévitablement Yahoo dans sa concurrence avec Google pour ces contrats,” a déclaré l’AMJ. “Les annonceurs migreront de plus en plus vers Google car ils constateront qu’ils gagnent moins s’ils font appel à Yahoo. Yahoo aura donc moins d’annonces propres à proposer et sera donc en moins bonne position pour offrir un meilleur accord que Google. Ce problème s’accentuera avec le temps car Google - en affichant ainsi sa véritable intention - a refusé de permettre à Yahoo de présenter les annonces de Google sur les sites web des nouveaux partenaires éditeurs qu’il acquerra après la finalisation de cet accord. En d’autres termes, Google a imposé à Yahoo une condition qui l’empêche d’exploiter une des dernières opportunités qui lui reste de concurrencer Google. (..)

En ce qui concerne les référencements payants, l’accord porte essentiellement sur un accord de fixation des prix. Aujourd’hui, Google fait payer généralement davantage que Yahoo pour le même lien sponsorisé - entre 20% et 35% de plus en moyenne, selon les estimations de l’industrie. C’est pourquoi les journaux qui achètent aujourd’hui des liens sponsorisés à Yahoo pour attirer des lecteurs seront obligés dans l’avenir d’acheter ces mêmes liens à Google - sauf qu’ils paieront plus cher. En effet, une récente étude a révélé que les prix sur Yahoo augmenteront de 22% en moyenne aux termes de cet accord. (..)

Cet accord pose également une menace à plus long terme en affectant la capacité des journaux à attirer des lecteurs à travers le référencement naturel. Aujourd’hui, la concurrence entre les moteurs de recherche les empêche de manipuler les résultats de la recherche. (..)

Le résultat est que cet accord obligera les journaux à devenir encore plus dépendants de Google qu’ils le sont aujourd’hui. En permettant à Google de contrôler jusqu’à 90% du marché de la publicité par référencement naturel et par annonces contextuelles, Google exercera un énorme pouvoir, aussi bien sur la capacité des journaux à atteindre les lecteurs que sur leur capacité à générer des revenus publicitaires en ligne. A l’exception de certains médias d’Etat, jamais dans l’histoire de l’édition une seule entreprise n’a menacé d’exercer un tel contrôle sur la destinée de la presse.

Il est particulièrement inquiétant que cette consolidation de pouvoir intervient au moment même où Google adopte des positions de plus en plus hostiles vis-à-vis des journaux et des autres concepteurs de contenus. Google possède déjà plusieurs sites de contenus qui concurrencent directement le contenu développé par les journaux et les autres créateurs - souvent en copiant simplement le contenu des autres sans autorisation. (..)

Complément du 1 octobre 2008

Les blogueurs français de ce petit monde s'interrogent beaucoup sur l'avenir de la presse. On peut démarrer une navigation par l'analyse d'E. Parody et suivre les liens :

Emmanuel Parody, “Des Etats généraux de la presse pour qui? ,” ecosphere, Octobre 1, 2008, ici.

mardi 02 septembre 2008

Lancement du cours en ligne

Comme prévu, nous ouvrons donc à la session d'automne 2008 de la Maîtrise en sciences de l'information un cours en ligne sur l'économie de l'information : BLT655 Économie du document (ici). Il ne s'agit pas, malgré son nom d'un cours d'économie, mais bien d'un cours en sciences de l'information qui souligne la dimension économique de plus en plus prégnante dans le développement numérique du monde documentaire.

Au début de chaque semaine une nouvelle séance sera proposée. La première semaine est consacrée à la présentation générale, aux réglages techniques et aux contacts avec les étudiants. Le site du cours s'enrichira ainsi progressivement, semaine après semaine, jusqu'à Noël. Je n'annoncerai sur ce blogue que les deux prochaines mises en ligne. Un fil RSS permet de toutes façons de suivre l'actualité du cours. À partir de la fin octobre, par ailleurs, ce blogue accueillera les billets des étudiants inscrits au cours.

Ce fut un long chemin et ce lancement n'en est qu'une étape, une première version du cours, perfectible, qui j'espère s'améliorera avec le temps et les échanges qu'elle initiera à l'intérieur et à l'extérieur du groupe d'étudiants. Je suis content d'être arrivé à cette étape, car sans le cours ce blogue perdait beaucoup de sa raison d'être, et avec ce cours, les billets accumulées mois après mois reprennent sens. ils ont largement alimenté la préparation du cours et inversement ils sèmeront, du moins je l'espère, idées nouvelles, suggestions, doutes dans l'esprit curieux des étudiants. Inversement, les quelques internautes intéressés par le sujet trouveront dans le cours, s'ils ont la disponibilité pour le consulter, une grille de lecture pour ce blogue.

Je ne crois pas beaucoup à la pérennité d'un blogue autosuffisant. En cohérence avec le cours, je pense qu'il lui faut une économie qu'il ne peut trouver dans le simple plaisir du partage ou de la construction d'une reconnaissance ou d'une notoriété, du moins pour ce qui me concerne. Je ne crois pas non plus suffisant, au moins pour un universitaire, d'en rester à une simple information au travers d'un blogue ou d'une blogosphère ou encore des divers réseaux sociaux. Il est ironique d'ailleurs, mais tout à fait logique, de voir nombre de blogueurs célèbres publier des livres papier qu'ils promeuvent sans vergogne sur le vecteur numérique qui a construit leur notoriété, ou encore, principalement aux États-Unis, de voir les mêmes ou d'autres devenir des plumes ou des voix des médias traditionnels. Les documents ont un ordre qui s'inscrit dans leur différence de statut, même si la redocumentarisation actuelle bouscule les hiérarchies. Le cours est donc aussi l'occasion de retrouver un chemin dans ce qui est devenu, sans doute provisoirement, un labyrinthe documentaire. C'est aussi l'occasion de montrer, sans démagogie et avec modestie, que les universitaires ont leur place à prendre ou à retrouver et qu'il est important de tenter des expériences en ce sens.

Accessible en ligne, il comporte des ressources consultables. Les documents proposés ont trois statuts documentaires différents qu'il ne faut pas confondre, mais qui concourent tous les trois à la vitalité de l'ensemble, chacun à sa place. On peut prendre l'image d'un arbre pour les présenter :

  • Une bibliographie, constituée de travaux académiques, de rapports et de travaux d'experts, est proposée en ligne avec accès direct aux textes. Ces documents volontairement peu nombreux ont été élaborés sur un temps long par divers auteurs sur divers sujets. Ils sont le résultat de travaux en profondeur. Ils ont souvent subi l'évaluation par les pairs et un processus éditorial de filtrage et de corrections. Ce sont les racines du cours, les bases solides sur lesquelles le cours peut se développer, mais ces racines ont des ramifications diverses, s'alimentent à des sources variées, filtrées, et si elles convergent pour alimenter le thème central du cours, elles couvrent différents sujets.

ArbreThimoty Y. Hamilton

  • Le cours proprement dit est présenté sous forme de diapositives commentées. Ce savoir-là a été organisé pour et concentré sur le thème précis à enseigner. Il développe progressivement ses différentes facettes. C'est directement à partir de ces éléments que l'étudiant pourra construire son raisonnement et son esprit critique. Nous sommes face à un corps de connaissances dense et homogène, lourd même qui s'enrichit au fur et à mesure des semaines selon une progression linéaire. Cette partie là forme, en quelque sorte, le tronc de l'arbre qui porte la sève et monte vers le ciel. C'est à partir de cette matière que l'étudiant organisera les travaux qui lui sont demandés.
  • Le blogue, celui-ci et tous les liens vers le Web, envoient vers l'actualité du domaine, les évènements récents, les analyses, plus rapides et subjectives. Ces ressources sont essentielles, tant par les annonces dans un monde très changeant et labile qui bascule facilement, que par les points de vue qui orientent les décisions quotidiennes des acteurs. Il s'agit d'informations éphémères, multiples, hétérogènes, qu'il faut apprendre à trier, lire et décrypter. C'est comme les branches et les feuilles de l'arbre, fragiles et volatiles mais qui grâce à la lumière et la photosynthèse, alimentent et nourrissent son équilibre.

Il est utile de souligner à la fois la différence de statut de ces documents, car le Web a tendance à aplanir l'ordre documentaire, et la complémentarité de ces statuts pour acquérir les compétences et les savoirs dispensés. L'étudiant(e) devra différencier ses lectures, mais n'en négliger aucune. L'ensemble de ces ressources sera accessible en Creative Commons. Mais seuls les étudiant(e)s inscrits au cours auront accès aux travaux à réaliser et au forum d'échanges.

La difficulté est de réaliser un cours d'initiation qui permette néanmoins d'orienter les choix stratégiques pour de futurs responsables de service documentaire dans un environnement particulièrement fluctuant. Il faut donc faire comprendre les grandes logiques qui régissent les mouvements, rester vigilant sur les retournements ou imprévus et donner des outils d'analyse pour des situations concrètes. Ce souci explique le plan général du cours qui présentent d'abord les grandes logiques pour déboucher sur un outil d'aide à la décision. Mais le blogue et les dossiers à réaliser sont aussi là pour alerter sur les changements de l'actualité et pour impliquer les étudiant(e)s dans cette actualité.

Enfin, il me reste à remercier ceux qui m'ont aidé par leur appui ou leurs conseils à aboutir : mon université pour le (modeste mais bien réel) budget qu'elle m'a alloué, Vincent Audette-Chapdelaine, mon assistant, pour l'important travail de formatage, mise en page et en ligne et par avance pour l'encadrement des étudiants qu'il assurera avec moi, Lucie Carmel, responsable du laboratoire d'informatique, pour ses conseils toujours judicieux et Arnaud d'Alayer pour le suivi technique du blogue.

samedi 30 août 2008

Temps libre.. et amnésie

La fondation Edge, dont l'objectif est de favoriser le débat intellectuel aux USA, a mis en ligne une conférence de Clark Shirky prononcée à Web 2.0 expo en avril dernier.

Clay Shirky, “Edge: GIN, TELEVISION, AND COGNITIVE SURPLUS,” dans (présenté au Web 2.0 Expo, San Francisco, 2008), ici.

Voici un extrait (trad JMS) qui en résume bien le propos :

A l'issue de la deuxième guerre mondiale, une foule de facteurs, comme la hausse du PIB, la hausse du niveau de scolarité et du niveau de vie, a forcé le monde industrialisé à prendre en compte quelque chose de nouveau : le temps libre. Beaucoup et beaucoup de temps libre. La taille agrégée de temps non organisé parmi la population éduquée a enflé, jusqu'à représenter des milliards d'heures par an. Et que nous faisions de ce temps là ? En général, nous regardions la télévision.

Tout d'abord, la société ne savait pas réellement quoi faire avec ce surplus (c'est ce qui en faisait un surplus). Alors nous avons du trouver quelque chose à faire avec ce soudain excédent d'heure de reste. Les séries TV ont été notre Gin, une réponse toute faite à la crise du temps libre. La télévision est devenu un travail à mi-temps pour la plupart des citoyens du monde industrialisé. à une moyenne de 20h par semaine, chaque semaine, pendant des dizaines d'années.

Aujourd'hui donc, pour la première fois de son histoire, les jeunes regardent moins la télévision que leurs ainés, et la raison de ce déclin est la concurrence du partage du temps libre avec un média qui autorise une participation sociale active, pas simplement une consommation passive et individuelle.

La valeur dans le média ne vient plus des sources, mais du flux; lorsque nous mettons ensemble nos surplus cognitifs, cela créé une valeur qui n'existe pas quand nous opérons seuls. Le déplacement de l'audience télévisuelle vient de personnes qui utilisent leur temps pour fabriquer des choses et de faire les chose, parfois seuls, parfois ensemble, et de partager ces choses avec d'autres.

La thèse est séduisante, et elle a visiblement séduit si l'on en croit son écho. Pourtant elle est, sinon complètement fausse du moins largement simpliste. Et surtout, comme c'est malheureusement courant chez les analystes actuels du numérique, persuadés que le Web fait table rase du passé et passablement agaçants, elle oublie de se demander si, par hasard, il n'y aurait pas eu des recherches sur ces questions par le passé. Or, il y en a eu, beaucoup et pas des moindres.

Le plus célèbre, peut être, des sociologues à avoir travailler sur le temps libre est Français : Joffre Dumazedier, mort il y a peu en 2002. Voici des extraits d'une conférence qu'il a donné dans un colloque en son honneur :

Il me faut rappeler tout d'abord l'énorme malentendu qui a accueilli mon livre de 1962 : va-t-on «Vers une civilisation du loisir?». La plupart des commentaires ont oublié le point d'interrogation pour traduire que nous sommes déjà dans une civilisation du loisir. Je n'ai jamais écrit cela. (..)

Ce livre a eu curieusement un grand succès fondé probablement sur un malentendu. Il a été tiré à environ un million d'exemplaires aux éditions du Seuil. (..)

C'est pourquoi j'ai abandonné provisoirement les problèmes d'une civilisation du loisir pour tenter de révéler d'abord les dimensions culturelles au sens anthropologique du temps libre dominé à plus de 80% par un loisir d'expression de soi.

C'est en 1988 que j'ai décidé de rassembler différents faits sociaux et statistiques autour de «La révolution culturelle du temps libre». C'était pour démontrer, révéler comment les valeurs et contre-valeurs du loisir en tant que temps social dominant du temps gagné sur le travail, changeait notre culture quotidienne au sens anthropologique du terme : une foule d'activités autrefois réprimées par la convenance, la politesse ou la loi, osaient s'exprimer dans ce que certains appelaient «une société permissive» qui aurait été, pour eux, l'expression d'un «individualisme» destructeur du lien social. C'était, pour la sociologie du loisir, une interprétation parfois fondée mais c'était aussi oublier que nous assistions à une promotion sociale du sujet lui-même, de son individualité, dotée d'une nouvelle légitimité sociale. Cette promotion sociale oblige les institutions familiales, scolaires, professionnelles, sociales, à se transformer pour laisser à leurs membres individuels plus de libertés compatibles avec les normes nouvelles de l'institution. (p.31-32)

Anne-Marie Green, Les métamorphoses du travail et la nouvelle société du temps libre, Autour de Joffre Dumazedier, Rencontres sociologiques de Besançon . (L'Harmattan, 2000).

Ainsi, non seulement il est abusif de considérer que la télévision a rempli l'ensemble du temps libre, même si son influence a été et est toujours considérable, mais encore l'émergence d'un individu actif dans son temps libre et ses conséquences sur la société dans son ensemble, sont bien antérieures à l'arrivée du Web, qui plus est du Web 2.0. On pourrait plutôt dire que ce dernier a joué comme une caisse de résonance pour un mouvement déjà bien présent.

Pour le dire autrement, il n'y a pas de déterminisme médiatique, mais plutôt un accompagnement par les médias de mouvements sociétaux. On peut même faire l'hypothèse que le succès du Web a été favorisé, sinon initié par les changements culturels qui l'ont précédé. N'oublions pas qu'à son origine, la radio était interactive et qu'elle s'est imposée comme un média de masse.

jeudi 28 août 2008

L'antagonisme diffusion/accès dans la télévision

J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer pourquoi, d'un point de vue économique, les logiques de la diffusion et de l'accès étaient antagoniques et créaient des tensions fortes aujourd'hui (voir ici et ). Deux informations récentes soulignent que ces tensions s'exacerbent dans la télévision. Elles permettent aussi de mieux repérer les différences entre les supports écrits et audiovisuel.

YouTube paradoxalement non rentable

La première est la confirmation des difficultés de Google à monétiser YouTube, malgré l'évident succès d'audience du service. On trouvera un résumé de la question dans un article du Monde, et plus précis et plus actuel, dans les billets réguliers de D. Durand sur le sujet :

Jeff Segal, “YouTube et Facebook font des bénéfices anémiques,” Le Monde, Août 25, 2008, ici.

Didier Durand, “Media & Tech | Youtube: très visité mais pas payé!,” Media & Tech, juin 27, 2008, .

J'en retiens les leçons suivantes :

  • La vente d'espaces publicitaires sur une multitude de programmes très courts est délicate. Le nombre disperse l'audience et la rend peu prévisible. Le format réduit la place du message publicitaire.
  • Il n'y a pas ou peu, semble-t-il, de synergie avec le moteur et donc pas non plus de retombées significatives indirectes par l'augmentation des requêtes et donc des rentrées publicitaires (Adwords).
  • Les coûts de stockage et de diffusion sont lourds. Le dernier chiffre annoncé, sans doute sous-estimé était de 1M de $ par jour.
  • Les principaux problèmes ne semblent pas, ou plus, relever des relations avec les télévisions ou le cinéma. Même s'il reste encore des négociations en cours et du piratage à éliminer. YouTube est une trop formidable caisse de résonance pour être réellement menacé.

Wizzgo, un symptôme

L'autre évènement a eu lieu en France et concerne un procès, gagné par le groupe de télévision M6 contre une jeune entreprise, Wizzgo, qui offrait un service cassant le flot des programmes. L'idée était d'offrir au téléspectateur la possibilité de se reconstruire son propre programme par un enregistrement présélectionné d'émissions, une sorte de super-magnétoscope. On trouvera chez Calamo un bon résumé du problème et une analyse détaillée de la controverse juridique :

Calamo, “Wizzgo stoppé net ?,” Post Scriptum, Août 19, 2008, ici.

Le service devait se rentabiliser par la publicité, mais il est évidemment impossible de savoir s'il aurait pu devenir viable. Néanmoins, on peut déjà faire les observations suivantes :

  • Au delà des interprétations juridiques, la multiplication explosive des chaînes, alliée aux développements informatiques ainsi qu'aux pratiques des internautes verra immanquablement apparaître tôt ou tard des services comparables, officiels ou sauvages.
  • Il s'agit ici de casser un flux pour le recomposer. Ainsi on ébranle rien de moins que la fonction pivot d'une chaîne de télévision : le programmateur dont la mission est de faire coïncider au mieux le déroulement des émissions avec la disponibilité des téléspectateurs.

La création de richesse par l'accès

La comparaison avec YouTube permet d'ajouter quelques leçons. L'un et l'autre créent de la richesse à partir de fonctions documentaires.

Pour ce dernier, la construction du service ressemble à celle d'une collection de bibliothèque : on réunit dans un même lieu des documents dispersés et on fournit à l'usager un outil de recherche. La différence tient à ce que la collection n'est pas construite à l'initiative d'un acquéreur, mais grâce aux dons spontanés.

Wizzgo agissait plutôt comme un documentaliste faisant une revue de presse. Il redécoupe l'offre de diffusion de plusieurs médias pour en reconstruire une personnalisée. La différence tient à ce que le système est piloté directement par l'usager, sans médiateur.

Alors, faut-il en conclure comme Eolas, cité par Calamo :

Certains modèles du « web 2.0 » reposent « je le crains, sur des mythes, le principal étant celui de la création de richesse à partir d'une matière première qui serait gratuite », et sans redistribution vers les « fournisseurs ». ?

Sans doute, il y a beaucoup de mythes dans le Web 2.0 et aussi de naïvetés juridiques et économiques. Néanmoins, il faut aussi admettre que la logique de l'accès est créatrice de valeur et qu'aujourd'hui elle a trouvé dans certains secteurs les moyens de sa rémunération. À l'évidence, cette rentabilité n'a pas été trouvée, encore, pour l'audiovisuel.

Par ailleurs, l'antagonisme diffusion/accès est encore fort, même s'il s'atténue (YouTube). On ne peut construire un modèle économique de l'accès sur une logique de diffusion. Il faut trouver un compromis entre les deux.

S'il y a beaucoup de mythes dans le Web 2.0, il y a aussi beaucoup de préjugés chez les médias traditionnels, à commencer par croire que l'on peut retarder l'expression d'une demande explosive.

dimanche 03 août 2008

P. Otlet et S. Briet numérisés

Les livres fondateurs du père et de la mère de la « documentologie », ancêtre des sciences de l'information francophones sont accessibles sous format numérique.

Le livre de Paul Otlet est enfin accessible en ligne sur les archives institutionnelles de l'Université de Gand (Ghent en flamand), en Belgique bien sûr (avec un peu de patience : certificat de sécurité déficient, Pdf trop lourd. La numérisation est peu soignée, L'OCR y est totalement déficient). P. Otlet, en plus d'exposer en détail les méthodes de documentation et de classification, y avait entre autres prévu la convergence multimédia ou encore un réseau ressemblant étrangement au Web.

Paul Otlet, Traité de documentation. Le livre sur le livre. Théorie et pratique, Editiones Mundaneum. (Bruxelles: D. Van Keerberghen & fils, 1934), 432p. ici

Extrait de la conclusion, je rappelle que nous sommes en 1934, la radio telle que nous la connaissons vient de rencontrer un succès foudroyant, la télévision n'est qu'une utopie de laboratoire n'en est qu'à sa préhistoire comme média de masse (voir commentaires) :

De grands moyens sont devenus nécessaires et on doit noter les suivants : 1) la division plus grande du travail; 2) le travail en coopération; 3) l'établissement de centres d'informations spécialisés où l'on aura le droit de s'adresser pour toutes les questions spéciales; 4) la systématisation ou synthèse qui remplace des millions de détails par quelques centaines de lois ou propositions générales; 5) la mathématique qui fournit avec ses formules des moyens de condensation puissants; 6) la visualisation par le développement des moyens instructifs de représentation et notamment schématique; 7) le développement des machines intellectuelles; 8) le livre irradié fait pour la lecture pour tous soit par la lecture individuelle et l'audition d'un livre désiré, soit par la demande radiophonique de renseignements individuels; 9) la télévision, le livre, le document que sur demande on présentera à la lecture sur le téléviseur, soit pour tous, soit pour chacun. On peut imaginer, en attendant la télévision, des livres transcrits sur plaque phonographique a mettre sur débit constant, chaque livre aurait sa longueur d'ondes et serait rendu audible. p.430.

On lira aussi avec intérêt cet article de présentation du NYT :

Alex Wright, The Web Time Forgot, The New York Times, Juin 17, 2008, sec. Science, .

Par ailleurs, Laurent Martinet, traducteur de Suzanne Briet en anglais, vient de rendre accessible le traitement OCR de :

Suzanne Briet, Qu'est-ce que la documentation, EDIT. (Paris, 1951), 43p.

Le résultat est remarquable, il comprend une préface de mise en contexte de L. Martinet et les notes traduites de l'édition anglaise. Un petit regret : la perte de la pagination qui complique la référence des citations.

Outre les premières tentatives sérieuses de définition d'un document, on trouve chez S. Briet l'explication de la notion de « documentaliste » à la française, souvent mal connue des nord-Américains. Extrait (début de la partie intitulée : Une profession distincte) :

L'« homo documentator » est né des conditions nouvelles de la recherche et de la technique.

Alors que dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, le métier d'archiviste est traité à bon droit de « profession nouvelle », les archives modernes s'apparentent de plus en plus étroitement aux centres de documentation proprement dits, comme Raganathan n'a pas manqué de le souligner. La plupart des actes administratifs sont distribués sous forme dactylographiée ou imprimée. La plupart des publications officielles prennent une forme périodique. Le dossier, la circulaire, le rapport se traitent comme des éléments documentaires, et non comme les livres d'une bibliothèque. Les bibliothègues, frustrées des formes les plus mobiles de la documentation imprimée, dactylographiée ou photographiée, etc, demeurent les distributeurs de la documentation du passé, mais voient leur échapper la recherche à tous ses stades pour ne retenir que l'exposé des faits acquis. Instruments majeurs de fixation et de conservation de la culture, les bibliothèques générales suivent avec un retard inévitable les progrès des connaissances et les progrès de la technique d'approche des documents. Les bibliothèques spécialisées sont plus près des centres de recherche, et la plupart d'entre elles tendent à se transformer en centres de documentation, avec ou sans l'appellation. Les « information » ou « intelligence officers » que l'on a vus se multiplier dans les centres industriels de Grande-Bretagne et des Etats-Unis, sont les cousins germains des « documentalistes » français. Formés ou non dans les écoles de bibliothécaires, ils sont issus des mêmes milieux culturels spécialisés que l'établissement dont ils font partie. Ils satisfont à toutes les exigences du credo d'après lequel le documentaliste: 1º est un spécialiste du fond, c'est-à-dire qu'il possède une spécialisation culturelle apparentée à celle de l'organisme qui l'emploie; - 2º connaît les techniques de la forme des documents et de leur traitement (choix, conservation, sélection, reproduction); - 3º a le respect du document dans son intégrité physique et in tellectuelle; - 4º est capable de procéder à une interprétation et à une sélection de valeur des documents dont il a la charge, en vue d'une distribution ou d'une synthèse documentaire. p.19.

Actu 10 août 2008

À titre de comparaison, on visionnera avec intérêt ce film de 10mn qui montre comment était perçu le métier de bibliothécaire aux États-Unis à l'époque de S. Briet. Il s'agit d'un film du gouvernement destiné aux étudiants.

Your Life Work: The Librarian, 1946, ici. (repéré par Bloggidoc)

- page 19 de 38 -