J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer pourquoi, d'un point de vue économique, les logiques de la diffusion et de l'accès étaient antagoniques et créaient des tensions fortes aujourd'hui (voir ici et ). Deux informations récentes soulignent que ces tensions s'exacerbent dans la télévision. Elles permettent aussi de mieux repérer les différences entre les supports écrits et audiovisuel.

YouTube paradoxalement non rentable

La première est la confirmation des difficultés de Google à monétiser YouTube, malgré l'évident succès d'audience du service. On trouvera un résumé de la question dans un article du Monde, et plus précis et plus actuel, dans les billets réguliers de D. Durand sur le sujet :

Jeff Segal, “YouTube et Facebook font des bénéfices anémiques,” Le Monde, Août 25, 2008, ici.

Didier Durand, “Media & Tech | Youtube: très visité mais pas payé!,” Media & Tech, juin 27, 2008, .

J'en retiens les leçons suivantes :

  • La vente d'espaces publicitaires sur une multitude de programmes très courts est délicate. Le nombre disperse l'audience et la rend peu prévisible. Le format réduit la place du message publicitaire.
  • Il n'y a pas ou peu, semble-t-il, de synergie avec le moteur et donc pas non plus de retombées significatives indirectes par l'augmentation des requêtes et donc des rentrées publicitaires (Adwords).
  • Les coûts de stockage et de diffusion sont lourds. Le dernier chiffre annoncé, sans doute sous-estimé était de 1M de $ par jour.
  • Les principaux problèmes ne semblent pas, ou plus, relever des relations avec les télévisions ou le cinéma. Même s'il reste encore des négociations en cours et du piratage à éliminer. YouTube est une trop formidable caisse de résonance pour être réellement menacé.

Wizzgo, un symptôme

L'autre évènement a eu lieu en France et concerne un procès, gagné par le groupe de télévision M6 contre une jeune entreprise, Wizzgo, qui offrait un service cassant le flot des programmes. L'idée était d'offrir au téléspectateur la possibilité de se reconstruire son propre programme par un enregistrement présélectionné d'émissions, une sorte de super-magnétoscope. On trouvera chez Calamo un bon résumé du problème et une analyse détaillée de la controverse juridique :

Calamo, “Wizzgo stoppé net ?,” Post Scriptum, Août 19, 2008, ici.

Le service devait se rentabiliser par la publicité, mais il est évidemment impossible de savoir s'il aurait pu devenir viable. Néanmoins, on peut déjà faire les observations suivantes :

  • Au delà des interprétations juridiques, la multiplication explosive des chaînes, alliée aux développements informatiques ainsi qu'aux pratiques des internautes verra immanquablement apparaître tôt ou tard des services comparables, officiels ou sauvages.
  • Il s'agit ici de casser un flux pour le recomposer. Ainsi on ébranle rien de moins que la fonction pivot d'une chaîne de télévision : le programmateur dont la mission est de faire coïncider au mieux le déroulement des émissions avec la disponibilité des téléspectateurs.

La création de richesse par l'accès

La comparaison avec YouTube permet d'ajouter quelques leçons. L'un et l'autre créent de la richesse à partir de fonctions documentaires.

Pour ce dernier, la construction du service ressemble à celle d'une collection de bibliothèque : on réunit dans un même lieu des documents dispersés et on fournit à l'usager un outil de recherche. La différence tient à ce que la collection n'est pas construite à l'initiative d'un acquéreur, mais grâce aux dons spontanés.

Wizzgo agissait plutôt comme un documentaliste faisant une revue de presse. Il redécoupe l'offre de diffusion de plusieurs médias pour en reconstruire une personnalisée. La différence tient à ce que le système est piloté directement par l'usager, sans médiateur.

Alors, faut-il en conclure comme Eolas, cité par Calamo :

Certains modèles du « web 2.0 » reposent « je le crains, sur des mythes, le principal étant celui de la création de richesse à partir d'une matière première qui serait gratuite », et sans redistribution vers les « fournisseurs ». ?

Sans doute, il y a beaucoup de mythes dans le Web 2.0 et aussi de naïvetés juridiques et économiques. Néanmoins, il faut aussi admettre que la logique de l'accès est créatrice de valeur et qu'aujourd'hui elle a trouvé dans certains secteurs les moyens de sa rémunération. À l'évidence, cette rentabilité n'a pas été trouvée, encore, pour l'audiovisuel.

Par ailleurs, l'antagonisme diffusion/accès est encore fort, même s'il s'atténue (YouTube). On ne peut construire un modèle économique de l'accès sur une logique de diffusion. Il faut trouver un compromis entre les deux.

S'il y a beaucoup de mythes dans le Web 2.0, il y a aussi beaucoup de préjugés chez les médias traditionnels, à commencer par croire que l'on peut retarder l'expression d'une demande explosive.