Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - attention

mardi 25 décembre 2007

2007 : Récits médiatiques, Harry Potter.. et le Québec

Une étude statistique de l'actualité parue en 2007 dans les médias québécois, comprenant quelques points de comparaison avec les médias internationaux vient d'être mise en ligne. On peut regretter que la méthodologie ne soit pas plus explicite (on n'en apprend pas beaucoup plus sur le site de la société). Mais le rapport mérite lecture et les chiffres présentés sont suffisamment tranchés pour être significatifs.

État de la nouvelle : Bilan 2007, Influence Communication, décembre 2007, 76p, Pdf.

Voilà, selon les auteurs de l'étude les nouvelles les plus représentées dans les médias dans le monde (120 pays, 632 millions de nouvelles analysées) :

Ils ajoutent, extrait :

Pour illustrer l’importance de l’attention médiatique accordée au lancement du nouveau tome d’Harry Potter, elle représente l’équivalent de toute la couverture accordée dans le monde aux évènements suivants réunis :

Ouragan Dean, feux en Grèce, conflit au Darfour, inondations en Afrique, inondations aux Royaume-Uni, guerre civile en Somalie, tremblement de terre dans les îles Solomon, coulée de boue à Chittagong, tremblement de terre au Pérou, guerre au Tchad, tremblement de terre dans le fjord de Aysen, tremblement de terre au Guatemala, ouragan Jerry, feux à Angora, coulée de boue en Bulgarie, rébellion au Touareg, tremblement de terre de Noto, insurrection en Thailande, insurrection Kurde, inondations en Asie du Sud, ouragan Umberto, inondations dans le Mid-Ouest américain, tremblement de terre sur l’Île de Kuril, rébellion en Papouasie, ouragan Lorenzo, guerre civile en Ouganda, tremblement de terre dans la péninsule ibérienne, tremblement de terre au Laos, tremblement de terre à Sumatra, coulée de boue en Asie, bombardement au Malie, conflit au Cachemire, conflit dans le Delta du Niger, explosion à Alger, explosion au Sri-Lanka, explosion à Batna, explosion à Casablanca, ouragan Gabrielle, incendies en Croatie, explosion à Bikfaya, explosion à Hyderabad, ouragan Félix ainsi que l’explosion à Zahedan.

La présence de Harry Potter au 7ème rang, seul évènement culturel du classement, est en effet significative. Sans doute c'est une exception et le résultat d'un marketing remarquablement efficace, néanmoins faut-il rappeler qu'il s'agit d'un livre ? Un livre édité sur papier, ce support dont combien prédisent chaque année la mort prochaine..?

Tout aussi significatifs sont les points de comparaison pris par les auteurs du rapport : catastrophes en tous genres (naturelles, attentats, guerres..) qui par nature sont inscrites dans un territoire et donc à tort ou à raison rapidement réduites à une couverture locale. Les seules catastrophes à réussir à entrer dans le top 15 sont celles qui concernent les US, biais peut-être déformant de l'échantillon mais surtout sans doute hégémonie du territoire américain comme grand récit médiatique. Ainsi Harry Potter, lui même grand récit, est le seul à avoir rivalisé avec le rêve américain dans les médias.

Par ailleurs, le Québec, par la petite taille de sa population (et donc le nombre forcément réduit de médias) et par sa forte identité qui tranche avec ses voisins, est, ou pourrait être, une sorte de laboratoire médiatique. Cette étude l'illustre de façon éclatante. Il serait trop long d'en rendre compte en détail et dépasserait le périmètre de ce blogue. Au delà de son intérêt pour tous les professionnels de la communication, la comparaison des rapports annuels avec l'histoire immédiate de la province, à peine esquissée et pourtant oh combien stimulante ! dans le rapport, apporterait à partir de cette étude de cas une meilleure compréhension de la construction du récit médiatique.

Pour revenir à la thématique du blogue, voici un extrait de la réflexion du pdg de la société sur les conséquences de l'explosion numérique :

L’auditoire se fractionne au profit d’une multitude de sources et de supports. Les MP3, les chaînes spécialisées, le web, les blogues et les quotidiens gratuits proposent une offre qui accélère la segmentation des auditoires. Contre la dizaine de quotidiens imprimés que compte le Québec, plus de 60 sites d’information diffusent de l’information quotidiennement, sans parler des blogues et les sites personnels. Cette fragmentation favorise d’ailleurs une consommation à la carte, rendant presque utopique la fidélisation des consommateurs. Nous sommes exposés à un volume croissant de médias et de nouvelles. Tributaires de l’actualité, les médias n’en augmentent pas moins le volume de nouvelles. De 2005 à 2006, Influence Communication a constaté une augmentation du nombre de sujets de près de 20i%. Pourtant, l’actualité ne propose pas plus d’événements qu’auparavant. Pour combler tous les besoins et éviter de se laisser dépasser par la concurrence, les médias élargissent rapidement leur échantillon de nouvelles. Mais si les journées n’ont toujours que 24 heures, comment accroître l’inventaire des nouvelles?

Rien de plus facile. Il s’agit de réduire considérablement l’espérance de vie des nouvelles. Aujourd’hui, 85% de l’information disparaît en 24 heures ou moins. Il y a dix ans, 25% de l’actualité suscitait encore de l’attention 72 heures plus tard. Nous sommes donc bombardés par l’information souvent redondante, mais sans cesse renouvelée, d’un réseau à l’autre. Nous sommes plus informés que jamais, mais avec beaucoup moins de profondeur. (..)

Cette remarque doit être nuancée. En effet, le rapport montre qu'entre 2006 et 2007, le nombre de nouvelles dans les médias traditionnels du Québec a, au contraire, baissé de 10%. Et voici la solution proposées aux médias québécois, qui tranche avec ce qu'on lit habituellement :

La solution repose peut-être en partie sur la complémentarité des contenus traditionnels et dans la spécialisation des services. Si les impératifs commerciaux rendent les distinctions entre les réseaux de plus en plus ténues, pourquoi ne pas profiter d’internet pour y déployer des spécialisations ? Il pourrait s’agir de sites «verticaux», spécialisés dans un type d’information. (..)

vendredi 14 décembre 2007

Quid et Knol sont dans un bateau..

Deux nouvelles à ajouter au chapitre sur Wikipédia et l'économie de l'attention (voir l'analyse ici) et à celui de la construction du Web média, à la rubrique encyclopédie.

.. Quid tombe à l'eau !

Vu sur Livre-Hebdo (ici). Extrait :

Publié depuis 32 ans chez Robert Laffont, Quid, encyclopédie généraliste en un volume, se vendait ces dernières années autour de 100 000 exemplaires, contre 350 000/370 000 dans les années 1990, selon l’éditeur.

« Le Quid tel qu’il était publié ces dernières années n’est plus viable aujourd’hui. Les conditions ne sont plus les mêmes », a indiqué l’éditeur, en précisant que « les dernières années d’exploitation ont été à perte ».

.. Knol met les voiles

Et chez D. Durand () cette annonce que Google lance un nouveau service, baptisé Knol, s'inspirant directement de Wikipédia, mais financé par la publicité que refuse ce dernier. Il ajoute cette remarque perfide sur les atouts de Google :

Pour les moins humanistes des rédacteurs actuels, il y a un moyen de les attirer fort simple et maintenant très courant chez Google et ailleurs: "partager pour mieux monétiser". Il n'y aura qu'à suivre l'exemple de Youtube, le fils prodigue chez Google.

lundi 03 décembre 2007

Un stéréotype par mois

On va se l'arracher !

Les étudiant(e)s de l'EBSI publient un calendrier 2008, une photo par mois illustrant les stéréotypes des professionnels de l'information.

Attention série limitée, procurez-vous le rapidement. Demain il sera hors de prix sur e-Bay ;-)

Prix : 8 CAD plus le port. Le paiement depuis l'étranger est à l'étude. Renseignement auprès de Joelle Durette. Courriel : son prénom. son nom at umontreal.ca. Actu du 12-12-2007 La procédure de règlement international est au point, après quelques ajustements, voir dans les commentaires.

samedi 01 décembre 2007

«On ne parviendra pas à vendre l’abondance au prix unitaire de la rareté multiplié par l'infini»

Les débats autour de l'évolution de l'économie de la musique sont souvent passionnels. Un nouvel exemple en a été donné après l'annonce d'un nième rapport déposé sur le sujet auprès du président de la République française qui préconise des sanctions graduelles, à vrai dire peu lourdes mais sans doute peu applicables, contre les téléchargements illicites. Peut-être parce que tout a déjà été dit sur le sujet, les noms d'oiseaux ont immédiatement fusés de toutes parts et même les plus fins analystes de la blogosphère, du moins ceux que je lis, ont perdu quelque peu leur lucidité et le sens de la mesure. J'avais donc décidé de passer mon tour. Mais un billet de Ph. Astor sur Zdnet m'a fait changé d'avis, car il touche juste :

Pourquoi M. Olivennes a tort de considérer que « la gratuité, c'est le vol », 28 novembre 2007 Html

Extraits :

(Les pratiques de dons) qui se sont développées ces dernières années sont à l’origine d’une immense création de valeur collective, dont ont certes bénéficié en priorité les industries des télécoms et du hardware, mais aussi, plus largement, la société toute entière.

Ce qui reste à arbitrer, c’est la redistribution de cette valeur, en direction des industries culturelles, notamment, qui ont à juste titre le sentiment d’être un peu les dindons de la farce, même si cela ne les dédouane pas de toute responsabilité dans la situation de crise qu’elles traversent, ni ne les dispense de faire un minimum d’autocritique. Accuser l’autre (le P2Piste) de tous ses maux est un peu facile. (..)

Force est de constater que les échanges de musique entre particuliers, pour ceux qui les pratiquent, n’ont rien de lucratif, en terme d’espèces sonnantes et trébuchantes, le caractère non rival des fichiers numériques ne permettant pas, de toute manière, d’organiser un business parallèle. (..)

Demain, il ne devrait plus être question d’acheter des iPod avec un disque dur de 10, 20, 40 ou 60 Go, mais avec 50, 100 ou 1000 titres de musique pré-chargés, ou toute la discographie d’un artiste, ou des dizaines de playlists thématiques, ou des collections de classique, de rock et de jazz, ou encore le best of de tel ou tel label, ou bien telle ou telle sélection personnalisée effectuée sur une borne en magasin, sur son mobile ou sur Internet.

C’est tout un nouveau modèle économique qu’il s’agit d’inventer pour la musique, de nouvelles relations contractuelles entre les différents acteurs de ces marchés, de nouveaux partages des revenus, en gardant bien une chose à l’esprit : on ne parviendra pas à vendre l’abondance au prix unitaire de la rareté multiplié par l'infini.

Dans ce contexte, tous les efforts de promotion, de marketing et de captation de l’attention des consommateurs de musique se feront - comme c’est déjà le cas depuis longtemps, à la radio ou à la télévision - dans la sphère de la gratuité. Elle constituera plus que jamais une sorte de poumon, de chambre d’amorçage de la nouvelle économie de la musique. Et une voie d’accès plus large au marché pour un grand nombre d’artistes. (..)

Pour autant, rien n’interdit de chercher à monétiser cette gratuité, ce que de nombreux modèles publicitaires essaient déjà de faire. Je persiste à penser qu’il possible, également, de monétiser les échanges de pair à pair.

En matière d'exception pour copie privée, il y a toute une réflexion à mener sur l’extension de la sphère privée que constitue Internet, à travers le peer-to-peer, mais également les réseaux sociaux… D’autant que les échanges entre particuliers ont tendance à devenir de plus en plus privatifs. (..)

Tout est dit sur le passage du modèle éditorial au modèle Web-média, sur l'articulation entre la vente et l'attention, avec en prime la dernière remarque sur les réseaux sociaux. Je rappelle qu'en Corée, par exemple (voir ici), les réseaux sociaux permettent depuis longtemps la monétarisation, mais ils supposent en effet une relation différente au collectif.

samedi 17 novembre 2007

La résistance du livre

Puisque c'est le Salon du livre à Montréal, il est opportun de poursuivre l'interrogation sur ce support. J'ai, d'abord, été sensible à trois propos récents :

  • F. Pisani a donné un entretien sur l'avenir du livre.
  • Jeff Gomez a publié un livre papier au titre pour le moins paradoxal : Print is dead. Ici
  • Alain Giffard quant à lui s'interroge sur les effets de la Culture du libre sur la culture du livre, ici

Chacun à sa manière, avec sa position, son expérience, son analyse propre, des orientations parfois opposées, tire la même conclusion : le livre évolue, le livre doit s'adapter à la culture numérique. Mais si évidemment les médias anciens intègrent les formes nouvelles, la vrai question me parait inverse : pourquoi le livre résiste ?

Car le livre résiste. Il fut le premier dont le contenu à basculer sur le Web (le projet Gutenberg date de 1971). Il fut aussi le premier à disposer de terminaux dédiés (les tablettes eBooks sont bien antérieures au iPod). Sans doute certains secteurs n'ont pas résisté (encyclopédies, revues savantes), mais globalement et malgré les nombreuses Cassandres, le livre est encore là et bien là. Les principales maisons d'édition sont même plutôt prospères. Même si les tirages diminuent, le nombre de titres augmente.

Cette situation est d'autant plus étonnante que l'évolution sur la longue durée des pratiques de lecture ne sont pas encourageantes, que l'on raisonne par âge ou par génération, contrairement aux pratiques de la musique ou de l'audiovisuel, qui sont, elles, en forte croissance alors que leurs industries paraissent plus menacées (ici). Faut-il en conclure que les stratèges du livre sont plus habiles que leurs confrères ? Sans vexer personne, cela me semble une explication peu convaincante.

Sans prétendre avoir la totalité de la réponse, je crois que l'on a négligé jusqu'ici une dimension essentielle de l'explication : la mesure temporelle du livre, inscrite, cristallisée dans sa forme. Un lecteur qui parcourt un codex, lit et tourne les pages, a son attention accaparée par son activité. Autrement dit, un livre peut être mesuré autant par son nombre de pages que par son temps de lecture (qui variera selon l'habileté et la stratégie du lecteur). De ce point de vue, prenons un livre de 300 pages à 400 mots par page. Un lecteur moyen lisant 200 mots par minute, le livre représente, par exemple, 10 heures de temps de son lecteur.

Cette perspective permet de mieux comprendre la supériorité d'un livre papier sur le numérique, même sous forme de tablette, dans un grand nombre de genres. Elle permet aussi de comprendre pourquoi certaines pratiques de lecture sont, à l'inverse, plus adaptées au numérique. Elle permet enfin de comprendre notre attirance à détenir des livres et à les accumuler dans des bibliothèques personnelles, même à l'heure des mémoires numériques et des clés USB, alors que nous nous éloignons des CD audios. D'un point de vue plus théorique, elle autorise l'intégration de l'économie du livre dans l'économie de l'attention (mais je ne le développerai pas dans ce billet).

Contrairement à une idée reçue, on lit très bien sur une tablette, et ceci dès les premières tentatives (Cytale, Gemstar). J'en ai fait personnellement l'expérience et nous l'avions constaté, il y a déjà longtemps dans une expérience de prêts en bibliothèques (le rapport est ici. Pdf). On met souvent en avant comme avantage pour ces dernières, le fait que l'on dispose alors d'une bibliothèque portative, ou que l'on peut par les liens naviguer d'un texte à l'autre. Mais cet avantage n'est utile que pour un certain type de lecture, pas le plus courant, celui qui demande de passer d'un fragment de texte à un autre. Un livre traditionnel se lit tout seul, en continu du début à la fin. Il est exclusif et fini. Et son temps de lecture est long. L'accompagner d'une bibliothèque n'est en rien un avantage, c'est au contraire une source de distraction. Mieux, l'objet livre est une promesse pour le lecteur : la promesse d'un temps long de plaisir exclusif ou d'enrichissement offert par l'auteur. Comme bien des cadeaux, il gagne à être tangible, il a même son emballage la couverture. La tablette ou le eBook, en effaçant la promesse, réduit sa potentialité.

Mais dira-t-on le raisonnement est le même pour la musique ou la vidéo et pourtant les conséquences du numérique sont inverses. L'inversion résulte de la temporalité. Le temps de l'écoute de la musique ou de la vidéo est très court par rapport à celui du livre. Il est, au contraire, tout à fait avantageux de disposer une bibliothèque de morceaux musicaux dans son iPod. Dans le temps long de lecture d'un seul livre, nous pouvons écouter un très grand nombre de morceaux musicaux. Ici le numérique montre sa supériorité. Le même raisonnement vaut pour les livres qui se lisent par séquences comme les encyclopédies, pour lesquels le numérique est un avantage certain pour le lecteur.

Ainsi lorsque nous achetons des livres pour notre bibliothèque ou pour les offrir, nous achetons une promesse d'heures exclusives de plaisir. Une bibliothèque d'une centaine de livres est pour son propriétaire la promesse de mille heures de plaisir. Sa visibilité n'est pas anodine. En passant devant, il éprouve le frisson de cette promesse. Sa surface, son volume sont proportionnels au potentiel accumulé.

Alors, la littérature évoluera sans doute avec le numérique, mais sommes-nous vraiment prêts à renoncer à ces plaisirs anciens ?

Actu du 19-11-2007 Voir, a contrario, le lancement par Amazon de la prochaine version de tablette chez F. Pisani : Livre 2.0: nous y sommes presque, ici. Voir aussi Lorcan Dempsey et les liens qu'il donne, ici. Et plus de détails sur TechCrunch, .

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