Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - attention

samedi 27 octobre 2007

Amphi vs Wi-Fi

Ce billet m'a été inspiré par une vidéo de M. Wesch, pointée par un des billets des étudiants de l'EBSI sur leur blogue. Pour suivre, il faut donc d'abord visionner la vidéo. Mon propos est de montrer que celle-ci souligne une vraie question, mais flirte avec la démagogie en présentant les technologies comme un destin. Elle pourrait alors justifier des décisions contestables, comme celle de l'Université de Montréal d'ouvrir à terme des accès Wi-Fi sur tout le campus, y compris dans les salles de cours.

Pour cela faisons d'abord un petit détour par l'économie de l'attention :

On connait la fameuse phrase de P. Le Lay, à l'époque pdg de la principale chaîne de télévision française Tf1 :

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective 'business', soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. (…)

Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.(…)

Rien n'est plus difficile que d'obtenir cette disponibilité. C'est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l'information s'accélère, se multiplie et se banalise…»

(on trouvera la mise en contexte de cette interview et de la polémique qu'elle a suscitée sur wkp)

Pour lapidaire que soit l'affirmation, elle est juste et comprend deux dimensions : la captation de l'attention (ici par le flot du programme de TV) et la vente d'une partie de celle-ci, celle rendue disponible, à un tiers (l'annonceur). J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire plusieurs fois (voir par ex ici), l'économie commerciale du Web fonctionne sur la même logique, en inversant le sens de la captation de l'attention : elle ne se fait plus à partir du diffuseur, mais à partir de l'activité de l'internaute.

La captation de l'attention n'est pas une activité nouvelle et n'a pas simplement une vocation commerciale. Son dispositif le plus ancien est, peut-être, l'amphithéâtre, lieu d'exercice du spectacle vivant (théâtre, cabaret, concert.. puis cinéma), du forum politique (Parlement), des conférences.. et des cours d'université. L'architecture de l'amphithéâtre est tout entière construite sur cet objectif : gradins, parfois demi-cercle, acoustique et même.. fauteuils peu confortables qui évitent l'endormissement. Le spectateur est «forcé» de suivre la performance de celui qui officie devant, en bas et au centre. À l'université le dispositif est encore plus contraignant puisque le professeur balaye du regard l'ensemble des élèves et peut éventuellement repérer les attentions distraites trahies par une gestuelle détachée.

L'objectif de l'université : la transmission de savoirs et l'accompagnement des apprentissages nécessite une attention et une concentration forte de la part des étudiants. Pour le dire à la manière de P. Le Lay, le temps de cerveau doit y être consacré au maximum et cela demande un effort important.

L'accès au réseau modifie, on le sait, les attitudes, jusqu'à peut-être les modalités de la pensée et les formes de construction du savoir. Je suis persuadé, comme beaucoup, qu'il nous faut, comme professeurs, non seulement en tenir compte, mais y participer et faire évoluer notre pédagogie en conséquence et je m'y applique. Néanmoins, il ne faut pour autant tomber dans l'angélisme et la naïveté. Je ne crois pas à la fin du cours traditionnel, dispensé devant des étudiants (tout comme je ne crois pas à la fin du codex). Ces dispositifs ont fait la preuve de leur efficacité depuis des millénaires. Prétendre que des étudiants ne sont plus capables, ou simplement moins capables qu'autrefois, d'y soutenir leur attention est une spéculation qui mérite démonstration. Sans doute il y a nombre de questions à se poser en ce sens et nombre de techniques pédagogiques à réviser, mais prendre l'affirmation pour un acquis est dangereux.. et bien peu scientifique. Cela revient à dire, sans démonstration, que les dispositifs de captation de l'attention mis en place pour les annonceurs sont plus efficaces que les dispositifs traditionnels de l'université. C'est un sophisme.

Les terminaux mobiles (cellulaires, blackberries, PC portables), sont des concurrents directs des professeurs sur la captation de l'attention en cours si l'on donne accès au réseau dans les amphithéâtres, car ils permettent d'échapper électroniquement au dispositif physique. L'université ne doit pas si facilement abandonner ses dispositifs traditionnels. En effet, le risque est que l'attention perdue ne se reporte pas sur l'apprentissage, mais sur bien d'autres activités qui permettent de dégager du temps de cerveau disponible pour des annonceurs. Le cerveau des étudiants est comme celui de chaque humain, facilement distrait.

jeudi 25 octobre 2007

Facebook = 15 Mds USD, vraiment ?

Un très grand nombre de médias et de blogueurs s'extasient devant l'investissement de 240 M USD de Microsoft dans Facebook pour 1,6% du capital en échange de l'exclusivité de la publicité jusqu'à 2011. Et chacun d'en conclure après une simple règle de trois que la compagnie pèse aujoud'hui 15 Mds. Rien n'est moins sûr.

La compagnie n'est pas cotée en bourse et le contrat n'est pas sans contrepartie. Si elle faisait son entrée en bourse demain, qui peut prétendre qu'elle serait valorisée au même niveau ? Par ailleurs, si elle cherche à vendre directement des actions à un autre partenaire, quelle contrepartie peut-elle offrir puisqu'elle vient d'aliéner la source principale de ses revenus ? Certes les marchés ont souvent manqué de rationnel et rien n'est à exclure de ce côté.

Mais, revenons sur terre et regardons de plus près la conjoncture. Sans doute, Facebook est une réussite étonnante et dispose déjà d'un chiffre d'affaires annuel estimé à 150 M USD, chiffre impressionnant compte tenu de sa jeunesse. Néanmoins sa croissance à venir pourrait être beaucoup moins solide qu'il est souvent affirmé.

Comme Google, Facebook repose sur le marché publicitaire. Plusieurs arguments sont alors avancés :

  • Bien des observateurs pensent que le système Flyers Pro serait plus efficace que le système Adsense de Google. Cela reste à prouver et le second dispose d'une bonne longueur commerciale d'avance. Mais admettons l'argument, le problème est que Adsense ne représente que 34% du revenu publicitaire de Google, contre 65% pour Adwords et il ne parait pas que la concurrence s'applique vraiment sur ce second service au modèle tout à fait original.
  • Par ailleurs, on met en avant la croissance forte du marché publicitaire en ligne, qui devrait soutenir la firme. En réalité, le marché publicitaire en ligne aux US est fragile du fait notamment de la crise immobilière, même si sa croissance serait encore de 25%. Les plus grosses croissances à venir sont ailleurs, notamment en Asie, mais Facebook n'y est pas présent.

Enfin, dernier élément à l'évidence erroné et pourtant répété à l'envi : Microsoft l'aurait emporté sur Google. Allons ! Google dispose de 13,1 Mds de cash en banque, il a montré en d'autres occasions qu'il savait mettre le prix quand l'enjeu lui semblait intéressant. Si la firme avait été sur les rangs, les enchères auraient grimpé beaucoup plus haut.

Donc, en résumé sans doute Facebook mérite l'attention, sans doute nous aurons d'autres surprises. Mais de grâce sachons garder mesure et ne participons pas à ce qui pourrait à terme devenir une dangereuse enflure !

mardi 23 octobre 2007

Le prix du grain

The Register signale (ici, repéré par Ratatium) une étude d'un consultant britannique sur la chute du marché du disque au Royaume-Uni. Extrait (trad JMS) :

Capgemini a calculé que, sur les 480 M de £ perdus par l'industrie depuis 2004, 368 découlaient du changement de format : principalement l'éclatement de l'album CD en une sélection de titres numériques à la carte. Pour le reste, la piraterie concernerait 18% des pertes.

L'étude pointe aussi la responsabilité des supermarchés qui ont cassé les prix. En l'absence de détail sur la méthode de calcul, il faut rester prudent sur ces chiffres et déductions, d'autant que les polémiques, souvent de mauvaise foi, vont bon train on le sait dans ce secteur. On en trouve d'ailleurs un exemple étonnant dans le même billet, qui cite un industriel :

« Ce qui déconnecte le modèle iTunes de la réalité, c'est que, historiquement, ce qui marche pour la propriété intellectuelle ce sont les prix en bloc (bundled price), ce qui ne marche pas c'est la granularité. Croyez-vous que Alan Edgar Poe aurait pu faire de l'argent, s'il avait vendu Le Corbeau séparément de 30 autres poèmes ? »

Le problème dans cette affirmation péremptoire est que Le Corbeau (ici), un des plus célèbres poèmes de la littérature anglophone, a été initialement publié dans un journal, The New York Mirror, où son auteur était critique (wkp). Il est difficile de prétendre qu'il a enrichi son auteur qui est plutôt considéré comme la figure de l'auteur romantique, mort dans la misère..

Néanmoins l'étude pointe une question de structure importante que l'on retrouve dans d'autres domaines, la Presse ou les revues scientifiques et le découpage en articles par exemple, et qui pourrait aussi être une explication de la relative résistance au numérique de l'édition de livres, rétifs à l'éclatement : quelle relation peut-on faire entre constitution des prix et granularité ?

En réalité, il n'y a pas une seule alternative pour la constitution des prix, mais trois options, et toute une gamme de possibilités intermédiaires. Il ne s'agit pas de choisir entre la vente d'albums ou de morceaux pour la musique, de journaux ou d'articles pour la presse ou encore d'abonnements de revues ou d'achats à l'article pour la science, mais entre ces options et une troisième : la rentabilisation de la collection par un ticket d'entrée payé a priori.

Et, pour compliquer encore le tableau, je rappelle que nous sommes dans un secteur de double marché : biens (en direction du lecteur, auditeur) et attention (en direction de l'annonceur).

Le grand changement du numérique est d'avoir transformé radicalement la structure des coûts, dans la distribution, bien sûr, mais aussi, et c'est souvent oublié, dans le traitement du document, et donc la possibilité de le repérer. La baisse des coûts de distribution ouvre la porte à la vente par morceaux, mais celle des coûts de traitement et de repérage ouvre la voie à la rentabilisation des collections. Si on ajoute maintenant la question des coûts de transaction : négociation avec les clients, gestion et sécurisation des flux monétaires, repérages des identités, etc. On se rend compte de l'intérêt de la valorisation de la collection, plutôt que de la multiplicité de micropaiements dans nombre de cas. C'est aussi une des explications de la préférence pour le marché des annonceurs : il y a moins d'acheteurs, donc moins de coûts de transaction.

Ces éléments expliquent, à mon avis, les évolutions récentes de la Presse sur le Net avec l'accès gratuit aux archives du NYT, ou encore les multiples tentatives d'accès direct à des catalogues musicaux. Voilà ce qui fait aussi la fortune de Elsevier dans le secteur de l'édition scientifique. J'ai emprunté le schéma ci-dessous à une intéressante brochure distribuée par Livre-Hebdo à la dernière foire du livre de Francfort (repéré par Bibliofrance).

Le classement 2007 de l’édition mondiale produit par Livres Hebdo (France) et publié en partenariat avec Buchreport (Allemagne), Publishers Weekly (Etats-Unis), Publishing Today (Chine) et Svensk Bokhandel (Suède), Pdf.

On voit donc dans ce schéma, et dans l'ensemble de la brochure, à la fois la réussite des éditeurs scientifiques qui ont investi dans le numérique et la vente de licence pour l'accès direct à d'énormes collections et la résistance des éditeurs de livres traditionnels, pour lesquels le Web n'est sans doute qu'une occasion de développer leur marketing. Pour ces derniers, comme je l'indiquais plus haut, découper un livre traditionnel n'a pas grand sens, dès lors le marché à l'unité est protégé car les prix restent élevés.

samedi 06 octobre 2007

Google, le ciseau

Bien des analystes voient dans Google l'incarnation du Big brother orwellien, nous manipulant grâce à la connaissance de nos comportements qu'il accumule dans ses gigantesques bases de données. Je ne suis pas très convaincu par ces dénonciations qui ignorent la réalité de l'économie de la firme. Elle n'a vraiment pas vraiment besoin de cela. L'omniprésence de Google est pourtant réellement dangereuse, mais le danger est ailleurs.

Techcrunch vient de faire un calcul intéressant (ici). Il montre que Google contrôle près de 40% de toute la publicité en ligne aux US. De plus, je cite : le taux de croissance de Google est largement supérieur à celui de la publicité en ligne toute entière; 45,7% contre 26,5 % seulement. Un commentateur du billet ajoute : Sachant que les investissements publicitaires sur internet croissent 3 à 4 plus que sur les autres médias, Google sera dès l’année prochaine le plus gros médias au US en terme de CA pub… et probablement dans le monde car il est un des rares médias à être présent partout!

Par ailleurs nous savons déjà que Google est un des piliers de l'industrie du fair use (ici). Son influence accélère considérablement la mise en ligne gratuite de contenus sur le web qui justifie et optimise l'usage du moteur.

Ainsi le développement explosif de la firme agit sur les autres médias en pesant sur leurs revenus comme un ciseau dont chaque lame serait un de leurs deux marchés : il décourage l'acte d'achat de leurs lecteurs, auditeurs ou spectateurs et il accapare les revenus de leurs annonceurs. C'est une illustration de l'antagonisme des logiques économiques de la diffusion et de l'accès (ici et ) ?

Le vrai danger est là : l'assèchement des revenus des industries de contenu. Sans doute, il y a beaucoup à redire sur ces dernières, mais elles restent tout de même un des piliers de nos démocraties et de la richesse de nos arts et de notre culture. Le moment n'est plus loin, me semble-t-il, où il faudra que les États s'interrogent sur les conséquences de la puissance de Google.


Actu du 10-10-2007

Scot Karp dans un billet intitulé : The New Media Consolidation développe une idée complémentaire. Extrait (trad JMS) :

Google est la seule VRAIE réussite commerciale dans les médias de ces dernières années - peut-être de ce siècle - parce qu'il a trouvé comment consolider et monétiser le web en ENTIER, en captant l'attention des consommateurs de médias qui recherchaient le contenu d'autres acteurs - et ils ont même élargi la monétisation par le réseau Adsense aux sites où va cette attention.


Actu du 14-10-2007

Toujours dans le même sens, cet article du New York Time :

As Its Stock Tops $600, Google Faces Growing Risks, STEVE LOHR, October 13, 2007. Html

Repéré par F. Pisani


Actu du 15-10-2007

Et encore les chiffres et la concentration du marché publicitaire annoncé par Reuter :

Ad dollars flood Web, but will they go far enough? By Paul Thomasch Fri Oct 12. Html.

Repéré par D. Durand qui le commente.

vendredi 05 octobre 2007

L'économie de Facebook

Voir aussi ce billet qui montre que trois ans plus tard les questions restent les mêmes, malgré le succès public du réseau.

TechCrunch signale (ici) un diaporama qui synthétise remarquablement le phénomène Facebook. À mettre en relation avec ces billets : ici, ici et .

FaberNovel Consulting, Facebook: the “social media” revolution, A studyand analysis of the phenomenon, Paris, 3 oct 2007, Pdf

J'en ai extrait les deux diapositives ci-dessous :

Quelques remarques rapides qui mériteraient plus amples réflexions :

  • Facebook serait évalué à un peu moins de 70 fois son CA.. un chiffre astronomique. Mais les analystes financiers ne sont pas à un délire près comme le montre cet autre billet de TechCrunch.
  • Autre élément intéressant, le sponsoring serait la base du financement du réseau. Le problème du sponsoring, c'est qu'il ne s'agit pas d'un marché très stable, ni dans les intentions des acheteurs, ni surtout dans la réalisation des prix.
  • Troisième point, bien connu mais qui fragilise les médias classiques, les prix de la publicité sont très bas. Ce sont les micro-paiements qui sont semble-t-il visés.

Ce tableau qui plaide pour une nouvelle métrique pour mesurer la valeur de l'économie de l'attention dans les réseaux sociaux est en même temps l'aveu que le marché actuel de la publicité ne permet pas de les financer. L'avenir dira s'il est réellement possible de le restructurer

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