Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - wikipedia

jeudi 12 juin 2008

Wikipédia dérange toujours

La question des encyclopédies sur le Web pose toujours bien des questions. Ce n'est pas vraiment étonnant. L'Encyclopédie est l'objet qui illustre peut-être le mieux le savoir à l'époque moderne et le Web déroute la modernité du savoir. Le mariage des deux engendre un enfant mutant, phénix ou vilain petit canard, que personne n'arrive à réellement analyser correctement.

On trouvera chez Olivier une chronique des concurrences entre encyclopédies traditionnelles et mutantes. Tout particulièrement ces deux billets :

  • Ertzscheid Olivier, Bataille encyclopédique, Affordance, 14 mai 2008, ici.
  • Ertzscheid Olivier, C'est wikipédie qui l'est : vers une guerre de position, Affordance, 11 juin 2008

Et Laure Endrizzi a réalisé une bonne synthèse actualisée sur l'aventure Wikipédia pour une journée d'études récente :

  • Endrizzi Laure, Wikipédia 2001-2008 : état des lieux, Journée professionnelle de l'ADBEN Angers : Wikipédia : comment appréhender cet outil collaboratif avec des élèves ? CDDP d'Angers, 31 mai 2008, ici

Elle coordonne aussi un Wikilivre sur le sujet

Actu du même jour

Décidément le titre de ce billet est approprié. Voici la présentation d'une étude de Euro RSCG C&O :

WIKIPEDIA CANNIBALISE L’IMAGE DES ENTREPRISES DU CAC 40 ET DE LEURS DIRIGEANTS, Communiqué, 10 juin 2008 ici.

Résumé :

  • 39 entreprises du CAC 40 voient l’article Wikipédia les concernant positionné sur la 1ère page de Google.fr
  • 29 dirigeants du CAC 40 voient l’article Wikipédia portant sur leur biographie arriver en 1ère position sur Google.fr
  • Wikipédia devenue une source d’informations majeures sur les entreprises et leurs dirigeants concurrençant fortement les sites officiels ;
  • La fiabilité et la véracité des informations publiées par l’encyclopédie collaborative sont contestées et mises en doute. Elles participent malgré tout à la construction de l’image de l’entreprise et de leurs dirigeants et peuvent nuire à la valeur de la marque.
  • Pour permettre aux entreprises d’apporter leurs voix dans un souci d’égalité des prises de parole, Euro RSCG C&O, leader de la communication d’entreprise en France propose la création d’un nouveau standard de communication, le NDLE (note de l’entreprise), dans le respect du principe de neutralité propre à l’encyclopédie.

L'ensemble du communiqué originel mérite lecture.

Repéré par D. Durand (ici) qui commente un article de ZDnet à ce sujet ().

jeudi 24 avril 2008

Les paradoxes du Wikipapier

Tout le monde a annoncé la prochaine édition sur papier en Allemagne par Bertelsmann d'une version de Wikipédia et nombreux sont les commentateurs à faire la comparaison avec Quid qui, inversement, vient d'abandonner son tirage papier (p ex ici parmi bien d'autres).

En réalité cette décision est instructive pour les thématiques développées sur ce blogue, mais pas forcément en suivant les propos des commentaires lus ici et là. Voici rapidement trois réflexions en forme de paradoxe :

  • Crédibilité.La reprise par un grand éditeur du travail de l'encyclopédie en ligne, du moins dans sa version allemande, est une victoire des Wikipédiens qui montrent ainsi leur crédibilité reconnue par les vestales de la distribution du savoir traditionnel. Mais inversement, c'est aussi une victoire pour le codex qui montre ainsi qu'il reste le meilleur garant de la stabilité des savoirs.
  • Rémunération du contenu. La comparaison avec le Quid montre sans doute l'efficacité sans pareil du modèle Wikipédien pour construire une encyclopédie. Inversement, elle peut inquiéter sérieusement sur les modalités d'une économie du contenu, puisque contrairement à la première qui rémunère ses auteurs, le principe même de la seconde est le partage bénévole.
  • Coûts de structure. L'annonce de la grande «générosité» de Bertelsmann qui rétrocédera 1% à la fondation Wikimédia des 19,95 Euros du prix de vente peut être interprétée comme un différentiel de capacité de négociation des deux contractants. Elle montre surtout à la fois la très faible importance des coûts de structure de l'encyclopédie en ligne qui n'a besoin que de très peu de moyens pour tourner dans sa forme actuelle (qui de plus ne dispose d'aucune équipe, ni tradition pour négocier) et inversement l'importance de ceux de l'éditeur, qui devra sans doute effectuer un lourd travail éditorial (et dont par ailleurs la négociation est le quotidien).

Actu du même jour

Quelques précisions dans le NYT :

A Slice of German Wikipedia to Be Captured on Paper, NOAM COHEN, New-York Times, April 23, 2008. ici

Complément du 5 septembre 2008

Voir aussi :

Hervé Le Crosnier, “Abondance d'auteurs et concentration des vecteurs ,” davduf|net, juillet 23, 2008, ici.

lundi 24 mars 2008

La vérité peut-elle avancer masquée ?

La réponse est oui, et sur le Web, c'est même une aventure courante. Wikipédia est un exemple de ce rapport à la vérité qui se construit et se déconstruit constamment, sous l'impulsion de contributeurs le plus souvent masqués. Un exemple troublant, qui perturbe plus d'un bon esprit baigné dans la philosophie classique, mais qui témoigne d'une nouvelle relation documentaire qui se cherche.

Nul doute que l'objectif des principaux animateurs du site est la recherche de la, peut-être faudrait-il dire plutôt d'une, vérité à partager. Les efforts continus qui s'accélèrent pour en améliorer la fiabilité en témoigne. Olivier signale (et commente ici, à lire aussi l'entretien qu'il a donné à Libération sur le sujet ) cet intéressant billet de la présidente de la fondation Wikimédia. Elle y décrit les dernières tentatives, notamment celle de poser des drapeaux (des flags) pour valider les rubriques, et pose quelques questions. Je relève ci-dessous la dernière, pour le moins paradoxale :

Question 3: Quelle responsabilité légale pour le flaggeur ? les implications légales sont mystérieuses. Pour l'instant, la Foundation est responsable en tant qu'hébergeur. Les participants sont responsables de ce qu'ils écrivent. Si nous mettons en place une modalité permettant à un utilisateur de valider une version, il acquiert un nouveau degré de responsabilité éditoriale, et il devient responsable de la totalité du contenu de l'article en tant qu'agent du processus de validation. J'ignore ce que la justice en pensera, ce qui est certain est que l'avocat de la Foundation a fortement suggéré à toute l'équipe salariée ainsi qu'aux membres du conseil d'administration de ne JAMAIS flagger un article.

Rendons à César, Par Anthere, jeudi 20 mars 2008. Ici

Quelle étrange dynamique qui conduit à rechercher la vérité, sans pouvoir en assumer la responsabilité ! Je ne cherche pas ici à en contester les avancées. De mon point de vue, la preuve est largement faite de l'efficacité du processus. Mais, j'aimerais en avoir une analyse plus solide que celles lues jusqu'ici. Il serait peut-être temps de reprendre les interrogations posées, il y a plus de cinq ans par Y. Maignien :

Maignien Yannick, Vérité et fiction sur Internet, Les défis de la publication Web, 9 au 11 Décembre 2002. ici

Actu du 29 mars 2008 Voir aussi :

La "Vérité Analogique" progresse toujours: 10 millions d'articles sur Wikipedia, Didier Durand, Media & Tech, 29 mars 2008, ici

mardi 05 février 2008

Culture documentaire ou médiatique

La discussion initiée par un billet précédent sur deux rapport sur les pratiques de lecture et de navigation des jeunes (ici) a rebondi de façon passionnante sur deux autres blogues. Celui de Virginie Clayssen (ici) et celui d'André Gunthert ().

Je reproduis ci-dessous des extraits d'un commentaire d'Alain Pierrot sur le billet de Virginie, car il touche de front les problématiques développées sur ce blogue :

Mais la discussion me paraît comporter un autre aspect, celui de la documentation, avec deux aspects : son accessibilité et son statut pour le savoir. Le problème n’est plus alors celui de la lecture, mais celui de la définition de ce qu’est un document — Roger Pédauque écrit là-dessus de manière pertinente et originale —, et de son “sens” pour l’utilisateur. (..)

De mon point de vue, la croyance en l’universalité et la globalité de la documentation accessible sur écran (Google, Wikipedia, …) est très analogue à la confiance initiale conférée aux outils de référence traditionnels. L’important est de savoir quand il est pertinent de démystifier cette confiance, d’en donner les moyens, de capter l’attention des intéressés et de leur donner le temps nécessaire pour une démarche de “savoir”. Je ne vois pas là de rupture majeure dans l’irruption du numérique.

Les réflexions d’André Gunthert me paraissent identifier des phénomènes intéressants, impliquant de nouveaux statuts de documents, mal décrits ou inexistants avant l’extension du virtuel : son analyse des vidéos “brutes” postées sur YouTube comme des “photos étendues” plus pour une assertion d’existence que comme une création de document (un discours construit) interroge sur le document de création à côté du document “d’expression”.

Alain pointe là, je crois, une dimension fondamentale pour comprendre les pratiques actuelles. Mais elle se double d'une dimension médiatique qui se porte sur l'attention, sa captation, sa focalisation, qui débouche sur l'appropriation du média par une génération entière (voir à ce sujet l'émission de PBS ici).. un des aspects du problème vient du fait que l'économie du Web est portée pour le moment par cette économie marchande de l'attention. À la lecture de Alain Pierrot, je me demande si cette dernière est vraiment compatible avec une organisation documentaire.

Quoi qu'il en soit, je crois que collectivement nous avançons, ce qui est déjà une aventure bien réjouissante.

mercredi 22 août 2007

L'oubli de l'oubli est un problème

On pouvait lire dans le journal La Presse du 17 août dernier sous le titre Frank Zampino sali sur Wikipedia :

La Ville de Montréal a déclenché hier une enquête au sujet d'une biographie de Frank Zampino vandalisée sur Wikipedia à partir d'ordinateurs liés au cabinet du maire Gérald Tremblay. Le président du comité exécutif a été qualifié de «membre présumé de la Fédération internationale tuons tous les juifs (International Kill all Jews Federation)», d'«ancien supporter nazi» et de «membre de Weight Watchers», a appris La Presse.

Il s'agit d'un des nombreux résultats du Wikiscanner qui excite beaucoup les commentateurs ces derniers jours. Mais cette histoire particulière a, à mon avis, une morale bien différente que les diverses manipulations qu'a pu révéler l'outil (voir sur le sujet, parmi de très nombreux autres, ce billet pertinent de Christophe Deschamp).

Si l'on poursuit l'article de La Presse en effet, il est indiqué que la « diffamation » en question aurait été rédigée à partir d'un ordinateur de la mairie, serait restée deux minutes dans l'article de Wikipédia en question et qu'elle aurait été corrigée à partir du même ordinateur.. sauf que, selon le principe du Wiki, l'historique est resté.. a été repéré par des petits malins grâce à Wikiscanner.. et cela a suffi à provoquer l'ire de la mairie et une accroche à sensation pour les gazettes.

On peut en rire et penser qu'au Québec le ridicule ne tue plus. La mairie de Montréal a, d'ailleurs, le 21 août diffusé un communiqué qui donne une version différente :

Le texte qui portait atteinte à l'intégrité de Frank Zampino s'est retrouvé sur le site en question vers le 23 juillet 2006. L'enquête interne de la Ville de Montréal a permis de constater qu'une personne rattachée au cabinet du maire et du comité exécutif a tenté, de sa propre initiative et en toute bonne foi, de corriger ce texte, à partir de son poste de travail. En fait, cet employé du cabinet du maire et du comité exécutif s'est efforcé, le 15 août 2006, de retirer tous les propos mensongers, offensants et dégradants qui avaient été ajoutés à la biographie du président du comité exécutif. Ces corrections ont été faites en deux temps, car l'employé en question n'avait pas remarqué toutes les inepties qui entachaient la biographie de M. Zampino sur Wikipedia.

Quel que soit le fin mot de cette histoire, imaginons un instant qu'elle se soit déroulée, non pas au pays de la tolérance et des accommodements raisonnables, mais en Lybie, au Kazakhstan ou même en Russie ou en Chine. Il est à prévoir que les conséquences auraient été bien différentes, sans doute dramatiques, pour l'employé. Peut-être même des histoires comparables ont eu lieu sans que personne n'en sache rien. Hypothèse d'école dira-t-on, les internautes dans ces pays n'ont pas accès à Wikipédia, vrai et faux, cela dépend des pays et cela ne réduit en rien le problème de fond.

Celui-ci vient d'un paradoxe de la redocumentarisation que j'ai appelé dans un billet précédent « le paradoxe de Roger » :

Le Web favorise conjointement deux mouvements opposés : le développement d'échanges spontanés (conversations) et leur fixation sur un support public, pérenne et documenté.

Ainsi nous ne savons plus oublier. La « manipulation » de deux minutes de l'employé de Montréal, respectueuse ou facétieuse, n'avait aucune signification particulière, mais les traces en ont été conservées, ont été retrouvées et sont devenues matières à gesticulations.

Le problème est sérieux, les exemples de difficultés, beaucoup plus graves que mon anecdote, abondent. On pense, bien sûr, à Borgès et sa nouvelle Funes el memorio,

Funes est mort écrasé par sa mémoire. Cette nouvelle est une métaphore de l’insomnie. (Entretien avec L. Borgès, Le Monde Diplomatique, Août 2001, Html)

..sauf qu'ici il ne s'agit pas d'un individu sombrant dans la folie, mais d'une société entière.

Des réflexions commencent à apparaître. J'ai glané celles-là :

  • Viktor Mayer-Schönberger, Useful Void: The Art of Forgetting in the Age of Ubiquitous Computing, avril 2007. Pdf
  • Jean-François Blanchette & Deborah G. Johnson, Data retention and the panoptic society: The social benefits of forgetfulness, Pdf. J.-F. Blanchette pilote un groupe de travail sur la question
  • Denis Ettighoffer, Les droits de "l'Homme Numérique" : le droit à l'oubli. Html

En réalité, il s'agit d'une question classique d'archivistique : que peut-on jeter ? À partir de quel moment ? Sauf que la valeur économique de l'archivistique repose sur les limites physiques de la mémoire institutionnelle et, justement, ce sont elles qui ont disparu. Il faut donc trouver un nouveau fondement pour la valeur de l'oubli.

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