Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche - économie de l'attention

vendredi 24 février 2012

Vu, Lu, Su par le design

Janet Murray, professeur design à Georgia Tech, vient de publier aux Presses du MIT un important livre sur le design du numérique : Inventing the Medium: Principals of Interaction Design as a Cultural Practice ici. Elle tient aussi un blog qui accompagne et actualise le livre (). On peut lire enfin un long et passionnant entretien avec H. Jenkins ().

Je retiens entre autres ceci dans l'entretien (trad JMS) :

J'ai deux éclairages sur ce qu'est un média que je peux présenter brièvement ici : le premier est que tout média est composé de trois parties : l'inscription, la transmission et la représentation ; le second est que le paradigme le plus productif pour le designer pour penser un média est, de mon point de vue, celui de l'attention captée (focused attention).

On retrouve ainsi sous sa plume les trois facettes Vu (inscription), Lu (représentation) et Su (transmission), ainsi que l'insistance sur l'économie de l'attention. Je suis heureux de constater cette convergence de la réflexion sur le design des médias avec mes propres réflexions, ce qui me conforte dans l'insistance sur la notion d'architecture de l'information.

Voici comment J. Murray décline sur le numérique les trois principes sur son blog (trad JMS) :

  • Toutes choses faites de bits et de codes informatiques relèvent d'un seul média, le média numérique avec ses affordances originales.
  • Concevoir un élément quelconque dans ce nouveau médium relève d'un effort collectif plus large consistant à construire du sens au travers de l'invention et de l'affinement de conventions du média numérique.
  • En élargissant les conventions de construction du sens qui composent la culture humaine, nous élargissons notre capacité à comprendre le monde et à entrer en relation avec les autres.

On y retrouve aussi la notion de contrat de lecture.

samedi 17 décembre 2011

"Jusqu'à quel prix sommes nous prêts à payer le numérique ?"

En cette fin d'année, il semble que le dialogue de sourds entre les tenants d'un renforcement des outils répressifs pour défendre le droit d'auteur sur le web et les promoteurs d'un web débarrassé de toutes contraintes soit reparti de plus belle (voir par ex ici, une de ces postures sans nuance, présentée au nom des bibliothécaires). Je n'ai jamais été très convaincu par ces rhétoriques attisées par les intérêts commerciaux des éditeurs et producteurs d’un côté et ceux des opérateurs de réseaux et fournisseurs de services web de l’autre. Et les hérauts du web, sous couvert de la défense des droits fondamentaux, me paraissent souvent proclamer une opinion reflétant plutôt leur position particulière.

Un nouvel équilibre entre propriété intellectuelle et partage, se construira par tâtonnements successifs en fonction de l'avancement l'économie du webmédia et les tentatives précipitées de légiférer seront soumises à l'épreuve des faits.

J'ai été plus intéressé par le résumé d'un rapport à venir rédigé par Jeffrey I. Cole, directeur du Center for the Digital Future, Is America at a Digital Turning Point? qui me parait poser des questions plus lourdes pour l'avenir (repéré grâce à M-C Beuth). En voici quelques extraits (en italique les citations traduites, en normal mes commentaires intégrant les citations dans la théorie du document). Le centre de recherche est lié à une école de journalisme, ce qui oriente la problématique. Sans doute d'autres thèmes pourraient être pointés, mais ceux-là méritent attention et posent de bonnes questions.

A un extrême, nous trouvons des usagers capables d'avoir une connexion sociale continue, un accès à l'information illimité et des capacités d'achat sans précédent. A l'autre extrême, nous trouvons une pression extraordinaire sur notre temps, de fortes préoccupations sur la confidentialité et des questions vitales sur la prolifération de la technologie, y compris un certain nombre qui n'existaient pas il y a dix ans. (...)

Nous trouvons d'énormes avantages dans les technologies en ligne, mais nous payons aussi un prix personnel pour ces prestations. La question est : jusqu'à quel prix sommes-nous prêts à payer le numérique ?

Voici les neuf leçons tirées de dix années d'enquêtes du centre :

1. Les médias sociaux explosent, mais la plupart de leur contenu n'a aucune crédibilité

(...) Notre enquête la plus récente montre que 51% des usagers indiquent que seulement une petite portion, ou aucune des informations qu'ils voient sur les réseaux sociaux est pertinente. Seulement 14% ont dit que la plupart ou toutes les informations sont fiables.

L'accent des médias sociaux mis sur la transmission (3e dimension du document) se fait au détriment du contenu (2e dimension), ou la communication prime sur l'information, le signal sur le signe, le phatique sur le sémantique.

2. La saturation numérique (E-Nuff Already) continue de s'étendre

(...) Autrefois, la messagerie était la principale préoccupation. Aujourd'hui la saturation numérique s'est encore accru, incluant de nombreux services et équipements qui ont d'énormes avantages pour les usagers, mais qui sont aussi perçus comme empiétant sur leur vie. (...)

Nous recevons trop de messages, le barrage des textes est continu, nous portons de multiples terminaux, de nouveaux services, de nouveaux gadgets continuent d'être produits. Combien de temps cela va-t-il durer avant que les Américains disent "ça suffit !". (...)

L'attention devient le bien le plus précieux.

3. L'ordinateur de bureau est mort. Longue vie à la tablette.

(...) L'ordinateur de bureau est un dispositif où l'on se penche en avant ('lean forward' device), un outil posé sur un bureau qui force à aller vers lui. La tablette propose une attitude où l'on se penche en arrière ('lean back' allure), plus pratique et confortable que les ordinateurs portables et bien plus séduisante. (...)

La domination à venir des tablettes va entrainer des changements majeurs dans la façon et le moment où les Américains se connecteront.

La forme change (1e dimension) et d'énormes batailles sont engagées pour la domination de cette dimension cruciale, en particulier au travers des brevets (ici).

4. Temps de travail = sept jours sur sept, jour et nuit.

Les ordinateurs personnels et les technologies connectées ont augmenté la productivité et l'efficacité au travail. Mais pour de nombreux employés, le prix de cette productivité est aussi l'allongement du travail à leur vie en dehors du bureau. (...)

Est-il raisonnable de considérer que le temps de travail s'étende sept jours sur sept, jour et nuit ?

L'arrivée du néodocument modifie la régulation du travail par l'extension spatiale et temporelle de ses fonctions de transmission et de preuve.

5. La plupart des journaux imprimés auront disparu dans cinq ans.

La distribution des journaux imprimés continue de chuter, et nous pensons que seuls survivront les plus éloignés de la moyenne : les plus grands et les plus petits. (...)

Quelles seront les conséquences des changements dans la distribution du contenu sur la qualité et le sérieux du journalisme ?

Le webmédia en prenant sa place modifie les équilibres internes des anciens médias. Les conséquences vont jusqu'à la deuxième dimension, le contenu et le genre des documents.

6. Nous avons perdu notre vie privée.

(...) La question de la vie privée est simple. Si vous vous connectez, quel que soit l'objet, votre vie privée n'existe plus. Les Américains adorent pouvoir acheter en ligne, chercher de l'information en ligne, et rejoindre des communautés en ligne. Mais le prix à payer est que nous sommes constamment surveillés. les sociétés privées savent sur nous tout ce qu'il est possible de savoir : nos intérêts, nos préférences d'achat, nos comportements et nos croyances.

Le modèle d'affaires du webmédia implique la surveillance de la navigation pour une revente ciblée de l'attention des internautes. Ce que nous gagnons en liberté de navigation, en personnalisation des services, nous le perdons en découverte inattendue, en suggestion d'achats et plus généralement en menace sur les libertés individuelles.

7. L'influence de l'Internet sur la vie politique américaine est encore en question.

(...) Au delà des deux prochains cycles d'élection l'Internet deviendra un facteur majeur de changement du paysage politique.

Le webmédia va continuer à trouver sa place dans l'espace public, comme porteur des valeurs de la postmodernité.

8. Internet va continuer à transformer les habitudes d'achat au détriment du commerce de détail.

Dans cinq ans, le paysage traditionnel de vente au détail sera complètement différent de ce qu'il est aujourd'hui.

Tout comme pour le travail, l'arrivée du néodocument modifie la régulation du commerce de détail par l'extension spatiale et temporelle de ses fonctions de transmission et de preuve.

9. Et ensuite ?

En 2006, YouTube et Twitter venaient de naître, et Facebook était encore un bambin. Il y a une demi-décennie, qui aurait pensé que ces technologies naissantes deviendraient les standards de la communication sociale en 2011 ? La prochaine grande tendance est développée actuellement par une nouvelle culture de visionnaires d'Internet qui n'attendent que d'être entendus.

La mise en place du néodocument est loin d'être terminée. Attention, si le succès d'audience des trois services indiqués est avéré, leur modèle d'affaires est encore incertain. Ainsi la captation de la valeur commerciale de l'attention à partir de la navigation n'est pas triviale et, effectivement, il est probable que bien des surprises soient encore à venir.

mardi 22 novembre 2011

Vu, lu, su, résumé et couverture

Sortie le 10 février 2012 en librairie, et j'espère avant en ebook.

(...) Le premier chapitre rappelle que la bibliothèque qui collecte les documents est, et de beaucoup, le plus ancien des médias. Si le numérique a ébranlé son modèle, il n’est pas le premier à l’avoir fait. L’imprimerie à caractères mobiles l’avait déjà privée de la fonction de reproduction et circulation des livres. Inversement, la bibliothèque a été, consciemment ou non, une des premières sources d’inspiration pour le développement du Web et, ironiquement, certains des acteurs du numérique ont réussi à faire de l’exploitation de son modèle une activité très profitable alors que celui-ci était depuis toujours fondé sur un écosystème non marchand.

Le deuxième chapitre revient sur la notion de document en montrant que si ses deux fonctions, transmettre et prouver, sont très anciennes, le document n’est devenu un objet familier qu’au XIXe siècle. Son émergence est contemporaine du développement de la science moderne. Son apogée coïncide avec la systématisation du modèle de la bibliothèque. Comme souvent dans les sciences humaines et sociales, c’est au moment où l’objet semble s’échapper que les efforts pour le comprendre sont les plus grands. Analysant l’éclatement du document au travers du numérique, un collectif de chercheurs, signant du pseudonyme Roger T. Pédauque, a proposé d’éclairer la nature du document à partir de trois dimensions : la forme, le texte ou le contenu, et le médium ou la transmission ; le « vu », le « lu » et le « su ». Cette partition servira de canevas pour la réflexion dans la suite du livre.

Le troisième chapitre montre combien l’organisation documentaire, hiérarchique et systématique, issue du XIXe siècle, a dominé le XXe en se perfectionnant, miroir d’une société issue de la révolution industrielle et scientifique. La construction du Web sous l’impulsion du consortium W3C a conduit à une réingénierie documentaire radicale qui met aux commandes l’internaute et modifie le document dans ses trois dimensions. Poussé au bout, le processus renverse notre régime de vérité en faisant de l’individu lui-même un document. Cette réingénierie documentaire est en phase avec les valeurs émergentes d’une société postmoderne.

Pour les documents publiés, trois marchés, et trois seulement, qui correspondent aux trois dimensions du document, ont été ouverts : l’édition avec la vente de biens (forme), la bibliothèque avec la vente de services d’accès (texte) et enfin le spectacle avec la vente d’attention (médium). Le Web s’insère entre la radiotélévision et la bibliothèque, comme la presse s’était insérée entre l’édition et le spectacle au XIXe. De l’édition à la radiotélévision en passant par la presse et le Web, on observe une modification progressive de la gestion de l’espace-temps de la production-consommation des documents publiés, régulée par l’organisation tarifaire. De plus, le Web s’impose aux médias et les transforme en industries de la mémoire, par leur accès transversal et leur archivage permanent. Dès lors, il est possible de reconsidérer les catégories traditionnelles de l’économie de la culture pour mettre en avant l’importance de celle du document. Cette relecture des industries culturelles à partir d’une entrée documentaire est l’objet du quatrième chapitre.

L’analyse tridimensionnelle du document permet enfin (cinquième chapitre) d’éclairer les stratégies des principaux acteurs industriels du Web et de les comparer avec les intentions des ingénieurs et les souhaits des internautes militants, soulignant la distance entre les utopies et les réalisations industrielles. Des verrouillages et des affermages ont été mis en place en privilégiant, là encore, l’une ou l’autre dimension du document : la forme, en maîtrisant les objets (Apple), le contenu, en navigant au travers des textes par des « lectures industrielles » (Google), ou encore la relation (Facebook), de façon à accaparer avec plus ou moins de succès le maximum de profits.

Le livre se conclut par le besoin de nouveaux professionnels de l’information, capables de comprendre les mouvements en cours pour construire et gérer les nouvelles infrastructures documentaires. Les iSchools en Amérique du Nord forment aujourd’hui des professionnels compétents aussi bien en informatique qu’en sciences de l’information. On appelle parfois ces nouveaux professionnels des « architectes de l’information ». En français, je suggère d’utiliser le terme d’« archithécaires » pour signifier ces nouvelles compétences, puisant leurs racines dans les savoirs bibliothéconomiques, mais les dépassant très largement.

En résumé, à partir de l’histoire du document et de son analyse tridimensionnelle, le livre propose un éclairage différent de ceux qui se discutent sur le Web. On y constate que cette invention du Britannique Tim Berners-Lee prend la suite des efforts d’indexation systématique lancés à la fin du XIXe, modifiant le document lui-même dans ses trois dimensions : la forme, le contenu et la fonction de transmission. Le Web est alors un média comme un autre, s’inspirant du modèle de la bibliothèque et de celui de la radiotélévision pour répondre aux aspirations documentaires d’une société qui a changé en profondeur. Les anciens médias eux-mêmes élargissent leur vocation en devenant des « industries de la mémoire » par l’archivage numérique continu et public de leur production. Les nouveaux venus, Apple, Google, Facebook, privilégient chacun une dimension différente du document pour tenter de prendre une position dominante dans la construction d’un « néodocument ». (...)

Vu_lu_su-couverture.jpg

jeudi 22 septembre 2011

Google et la publicité

Le plus grand ennemi de Google est sans doute Google lui-même. La place de plus en plus dominante qu'il a pris sur le marché publicitaire le rend vulnérable aux procédures antitrusts. E. Schmidt s'est expliqué hier devant le Congrès américain à ce sujet, sans vraiment convaincre semble-t-il (ici). Par ailleurs la Commission européenne a lancé une enquête pour abus de position dominante fin 2010 dont on trouvera une présentation très claire sur le Journal du Net (ici). En réalité, les relations entre la firme et la publicité ne sont pas nécessairement aussi mécaniques qu'il est souvent écrit.

La pression des annonceurs est un risque pour l’indépendance d’un moteur, risque très souvent souligné, y compris par Larry Page et Sergey Brin, fondateurs de la firme, dès leur première présentation du Pagerank en 1998 (voir Appendice A). Mais si on ne peut exclure que la firme favorise un annonceur dans les classements, le risque parait moins élevé que pour tout autre média construit sur l’économie de l’attention ou plutôt l’influence des annonceurs est plus indirecte. Dès les premières années de la firme, entre les années 2000 et 2002, Google a construit, en effet, un système original d'enchères pour organiser à son profit et sous son contrôle sa relation avec les annonceurs par la vente de mots-clés. De plus, l'enchère n'est pas le seul paramètre pour déterminer le gagnant, Google y ajoute un indicateur de qualité de l'annonce dont il détermine lui-même les critères. Sous l’impulsion d’Hal Varian qui a rejoint la firme comme économiste en chef en 2002, la firme a fait basculer la totalité de son marché sous ce système. On peut dire que Google a construit son propre système économique interne en contrôlant tous les paramètres du marché des annonceurs. Tout est clairement expliqué dans un article de ''Wired'' déjà commenté sur ce blogue (ici).

Cette organisation du marché publicitaire doit être mise en parallèle avec le développement de services ou le rachat d’entreprises visant à couvrir tout l’espace documentaire numérique et son suivi statistique selon tous les paramètres possibles. Le principal effet de la pression du marché publicitaire est sans doute d’avoir incité la firme à se développer vers les services documentaires. L’année 2005 marque une nette accélération. Cette année-là ont été ouverts coup sur coup : Google Earth, ... Maps, ... Talk, ...Video, ... Desktop, ... Book Search. Si ces services ont connu depuis des fortunes diverses, le mouvement général d’investir l’ensemble du système documentaire ne s’est pas ralenti, bien au contraire avec, entre autres, Android, Youtube, Chrome, Google +. Voir ici le déroulé des développements de la firme.

Pour bien comprendre la logique de la croissance de la firme et ses conséquences, il est utile d’observer l’évolution de son chiffre d’affaires. En 2010, Google a engrangé 29,3 milliards de dollars, un chiffre impressionnant pour une firme aussi jeune (moins de la moitié tout de même de celui de Apple.). J'ai déjà présentée sur ce blogue le graphique ci-dessous de l’évolution de la répartition du chiffre d’affaires, mesurée par trimestre depuis que la firme a clairement affirmé sa stratégie en 2005. Il est probable que le rachat de Motorola modifie la structure du CA à l'avenir.

Revenu-Google-Q2-2011.png

La courbe en bleu clair présente les revenus autres que la publicité. On constate qu’ils ne décollent pas. Google doit toute sa fortune à la publicité (97% du chiffre d’affaires du deuxième trimestre de 2011). Mais le plus intéressant est l’évolution contrastée des courbes jaune et mauve. La courbe jaune présente l’activité de régie publicitaire de Google, c’est-à-dire le placement de publicité pour des sites tiers (Adsense). La courbe mauve représente la publicité sur les sites propres de Google. En 2005, les deux rentrées publicitaires faisaient jeu égal. Puis tandis que la régie avait une croissance modeste, les activités propres de la firme décollaient, expliquant à elles seules la croissance générale du chiffre d’affaires. Le développement de Google sur l’ensemble des services documentaires porte ses fruits et peut se lire très directement dans son chiffre d’affaires.

Ainsi il est possible que Google favorise les résultats de ses propres services sur son moteur. Ce sera sans doute difficile à prouver, mais cela est tentant quand on détient tous les paramètres de la construction du marché. Mais on peut aussi interpréter la stratégie de la firme comme le contrôle à des fins publicitaires de l’ensemble de notre système documentaire personnel et c'est sans doute là le principal effet du système économique autocentré qu'elle a mis en place.

vendredi 24 juin 2011

Énonciation et pédagogie en ligne

Petit retour sur la cuisine du cours en ligne. Il ne s'agit ici que d'une réflexion subjective personnelle, non d'une étude plus approfondie avec recul et recueil de données. À prendre avec ces limites donc.

Après trois années d'un cours en ligne, le montage et le suivi plus ou moins directs de cours et conférences transatlantiques sous différentes formes entre l'Ebsi, l'Ina et l'Ens-Lyon, la participation à un petit film et l'observation d'autres expériences. Il me semble que l'essentiel de la réussite tient d'abord dans le dispositif d'énonciation. Dans ce domaine, la tendance est parfois à la sur-qualité qui nuit à l'efficacité, celle de la production, comme de la réception.

Image animée, image fixe, son, écrit

L'image animée suppose un gros travail de réalisation pour être efficace. Ce film a été enregistré phrase par phrase. Chaque phrase a fait l'objet de plusieurs prises, avec deux caméras, cela a pris 4 heures, juste pour l'enregistrement non compris l'installation du matériel. Le texte avait été rédigé et discuté avec le réalisateur (Julien Sultan Fournier) à l'avance et celui-ci a ensuite construit ses animations pendant plusieurs jours dans un studio spécialisé. Le tout pour un film de 9 minutes. Cela est hors de portée à grande échelle pour de l'enseignement en ligne.

Sauf exception souvent très préparée en amont (ex TED), une conférence enregistrée est peu efficace et délicate à suivre en ligne car monotone et difficile à «feuilleter». La conférence est un dispositif interactionnel avec un auditoire, l'orateur peut hésiter, revenir en arrière, éventuellement se déplacer, réagir, interpeller le public etc. Ce qui compte c'est l'ici et le maintenant. Les cours enregistrés en direct sont souvent irregardables. Cette technique doit être privilégiée pour le synchrone.

Réservons donc l'image animée enregistrée à la promotion qui a une tout autre économie.

L'écrit est apparemment moins couteux et plus efficace, mais il s'agit d'une illusion. Rédiger entièrement un cours, non pour soi-même mais pour les étudiants, est un énorme travail. Tous les professeurs le savent bien et les manuels sont souvent la résultante de plusieurs années de cours qui ont permis d'affiner et de roder un discours dont l'écriture se modèle petit à petit.

D'autre part un cours écrit est soit un scénario déclinable sur différent support, soit un livre. Dans le premier cas, on se retrouve mutatis mutandis dans la même situation que le film avec ses lourdeurs. Dans le second, on peut se demander quelle est la valeur ajoutée par rapport à un livre. L'édition sait très bien faire cela, et la gestion du temps est très différente de celle d'un cours.

La solution retenue pour le cours Économie de l'information, même si elle a aussi ses limites me parait plus efficace et raisonnable. Elle marie plusieurs techniques, mais le corps du cours est constitué de diapositives sonorisées.

Je n'ai pas grand chose à ajouter sur les diapositives, sinon qu'elles doivent répondre aux mêmes critères que celles qui illustrent un cours traditionnel avec un accent plus fort mis sur la coïncidence entre le son et le pointage sur l'image par des animations sobres et simples (par ex Module 4 Diapo 3 et 36).

L'enregistrement du son est moins familier aux professeurs et trois années successives m'ont donné une petite expérience dont voici quelques leçons.

J'enregistre et mixe le son, diapositive par diapositive, tout seul au calme devant mon ordinateur. Pour cela j'utilise Audacity. Un enregistrement de son est représenté ainsi :

Son-cours-SCI6355.jpg

Cette représentation visuelle autorise très facilement le montage, c'est à dire le copier-coller à l'instar d'un traitement de texte dans l'écrit. Aussi je n'écris rien de mon commentaire. J'enregistre directement, je bafouille, je répète jusqu'à trouver la bonne énonciation et je coupe et monte au fur et à mesure. Le montage peut être très fin grâce au zoom sur la représentation du signal. D'une année sur l'autre, je peaufine, changeant tout une diapositive ou simplement un bout de phrase ou même un mot, c'est selon.

Il s'agit d'une sorte d'écriture de la parole. Elle a l'avantage de sa très grande souplesse. Elle ne ressemble pas vraiment à une parole naturelle. Les silences sont raccourcis, les respirations coupées, le ton moins accentué. Cela peut surprendre au début à l'écoute, mais j'ai le sentiment qu'on s'y habitue très vite car sa supériorité est la densité du propos. Chaque mot est juste et à sa place. On peut, de plus, facilement y revenir par la navigation diapositive par diapositive.

Bien sûr, la première année l'enregistrement de la totalité du son est un lourd travail, moins lourd néanmoins que la rédaction totale du cours. Et le document final est un capital que l'on améliore, actualise, enrichit ensuite d'une année sur l'autre. Dès lors sur trois années, l'investissement primitif devient vraiment intéressant et les étudiants en sont les premiers bénéficiaires car le cours s'améliore.

Ce document visuel et sonore, monté pour ce cours sur Adobe Presenter, à l'avantage de pousser l'attention de l'étudiant par le flot du son tout en gardant la flexibilité du feuilletage et la précision du contenu.

Attention, assiduité et participation

Le second défi du cours à distance est l'attention et l'assiduité de l'étudiant. Dans un cours traditionnel, l'étudiant est tenu d'être dans la salle, d'écouter le professeur. voire de participer aux discussions. Même si cette obligation est relative, la pression est là. Le dispositif est conçu pour cela (horaires réguliers, organisations des salles, face à face..). À distance cette pression saute.

Il serait démagogique et peu efficace de s'en remettre à la simple responsabilité de l'étudiant. Il faut alors construire un autre dispositif pour le mettre en condition d'apprentissage. Pour cela, le réseau est un outil très différent.

Voici comment je m'y suis pris pour «forcer» la participation des étudiants. À la fin de la première semaine, les étudiants avaient un examen sous forme d'un quiz dont les réponses demandaient réflexion. Chaque étudiant avait 5 questions tirées au sort parmi une vingtaine. L'ensemble des questions a été mis en ligne au début du cours et un forum a été ouvert pour qu'ils puissent en discuter. Ils avaient évidemment intérêt à proposer leur réponse à toutes les questions, puisqu'ils ignoraient lesquelles leur seraient posées. Ils n'ont pas manqué d'en débattre et ainsi d'amorcer un dialogue confiant et constructif entre eux autour de la thématique du cours.

La deuxième semaine le débat s'est déplacé sur le blogue, c'est à dire sur un espace public où le statut de la prise de parole est différent, plus risqué. Chaque étudiant avait un billet à rédiger sur une thématique de son dossier et, en même temps, devait commenter 3 billets de ses collègues nommément désignés. Là encore les échanges ont été fournis.

La troisième semaine, ils ont analysé une étude de cas en équipe puis ont donné leur avis sur le diagnostic final, sachant qu'une question de l'examen porterait dessus.

Voici donc quelques éléments mis en place pour remplacer la pression du dispositif présentiel. D'autres pourraient être sûrement imaginés. Ceux-là ont montré une certaine efficacité.

- page 3 de 15 -