Le plus grand ennemi de Google est sans doute Google lui-même. La place de plus en plus dominante qu'il a pris sur le marché publicitaire le rend vulnérable aux procédures antitrusts. E. Schmidt s'est expliqué hier devant le Congrès américain à ce sujet, sans vraiment convaincre semble-t-il (ici). Par ailleurs la Commission européenne a lancé une enquête pour abus de position dominante fin 2010 dont on trouvera une présentation très claire sur le Journal du Net (ici). En réalité, les relations entre la firme et la publicité ne sont pas nécessairement aussi mécaniques qu'il est souvent écrit.

La pression des annonceurs est un risque pour l’indépendance d’un moteur, risque très souvent souligné, y compris par Larry Page et Sergey Brin, fondateurs de la firme, dès leur première présentation du Pagerank en 1998 (voir Appendice A). Mais si on ne peut exclure que la firme favorise un annonceur dans les classements, le risque parait moins élevé que pour tout autre média construit sur l’économie de l’attention ou plutôt l’influence des annonceurs est plus indirecte. Dès les premières années de la firme, entre les années 2000 et 2002, Google a construit, en effet, un système original d'enchères pour organiser à son profit et sous son contrôle sa relation avec les annonceurs par la vente de mots-clés. De plus, l'enchère n'est pas le seul paramètre pour déterminer le gagnant, Google y ajoute un indicateur de qualité de l'annonce dont il détermine lui-même les critères. Sous l’impulsion d’Hal Varian qui a rejoint la firme comme économiste en chef en 2002, la firme a fait basculer la totalité de son marché sous ce système. On peut dire que Google a construit son propre système économique interne en contrôlant tous les paramètres du marché des annonceurs. Tout est clairement expliqué dans un article de ''Wired'' déjà commenté sur ce blogue (ici).

Cette organisation du marché publicitaire doit être mise en parallèle avec le développement de services ou le rachat d’entreprises visant à couvrir tout l’espace documentaire numérique et son suivi statistique selon tous les paramètres possibles. Le principal effet de la pression du marché publicitaire est sans doute d’avoir incité la firme à se développer vers les services documentaires. L’année 2005 marque une nette accélération. Cette année-là ont été ouverts coup sur coup : Google Earth, ... Maps, ... Talk, ...Video, ... Desktop, ... Book Search. Si ces services ont connu depuis des fortunes diverses, le mouvement général d’investir l’ensemble du système documentaire ne s’est pas ralenti, bien au contraire avec, entre autres, Android, Youtube, Chrome, Google +. Voir ici le déroulé des développements de la firme.

Pour bien comprendre la logique de la croissance de la firme et ses conséquences, il est utile d’observer l’évolution de son chiffre d’affaires. En 2010, Google a engrangé 29,3 milliards de dollars, un chiffre impressionnant pour une firme aussi jeune (moins de la moitié tout de même de celui de Apple.). J'ai déjà présentée sur ce blogue le graphique ci-dessous de l’évolution de la répartition du chiffre d’affaires, mesurée par trimestre depuis que la firme a clairement affirmé sa stratégie en 2005. Il est probable que le rachat de Motorola modifie la structure du CA à l'avenir.

Revenu-Google-Q2-2011.png

La courbe en bleu clair présente les revenus autres que la publicité. On constate qu’ils ne décollent pas. Google doit toute sa fortune à la publicité (97% du chiffre d’affaires du deuxième trimestre de 2011). Mais le plus intéressant est l’évolution contrastée des courbes jaune et mauve. La courbe jaune présente l’activité de régie publicitaire de Google, c’est-à-dire le placement de publicité pour des sites tiers (Adsense). La courbe mauve représente la publicité sur les sites propres de Google. En 2005, les deux rentrées publicitaires faisaient jeu égal. Puis tandis que la régie avait une croissance modeste, les activités propres de la firme décollaient, expliquant à elles seules la croissance générale du chiffre d’affaires. Le développement de Google sur l’ensemble des services documentaires porte ses fruits et peut se lire très directement dans son chiffre d’affaires.

Ainsi il est possible que Google favorise les résultats de ses propres services sur son moteur. Ce sera sans doute difficile à prouver, mais cela est tentant quand on détient tous les paramètres de la construction du marché. Mais on peut aussi interpréter la stratégie de la firme comme le contrôle à des fins publicitaires de l’ensemble de notre système documentaire personnel et c'est sans doute là le principal effet du système économique autocentré qu'elle a mis en place.