Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - économie de l'attention

mercredi 22 octobre 2008

Quel est l’enjeu économique des encyclopédies en ligne ?

Ce billet a été rédigé par Sandrine Vachon, étudiante de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

La popularité des encyclopédies numériques ne se dément pas : alors que Wikipédia se range toujours parmi les 10 sites les plus consultés du Web, faisant fureur auprès des étudiants et de tous les curieux de la planète, une dépêche du Calgary Herald (ici) nous annonçait, à la fin août, que même le Sénateur John McCain utilisait un peu trop l’encyclopédie collaborative dans ses discours électoraux. Cet exemple nous éclaire sur la portée de Wikipédia et sur le changement radical qui s’est opéré dans les habitudes de recherche de tout un chacun ; désormais, il n’est plus question de perdre son temps à fouiller dans de gros bouquins, alors que toute l’information désirée est à un simple clic de souris…

L’arrivée de Wikipédia dans le monde des encyclopédies a créé des remous à plusieurs niveaux. De nombreux détracteurs ont critiqué l’aspect collaboratif de l’encyclopédie, effrayés à l’idée que n’importe quel individu, sans être expert, puisse écrire des articles encyclopédiques, ou en corriger d’autres. Pierre Gourdain et alii ont d’ailleurs consacré la presque totalité d’un livre (La révolution Wikipédia : les encyclopédies vont-elles mourir? BBF ) à essayer de convaincre le public de la non-validité des articles de cette encyclopédie. Et ce n’est qu’une récrimination parmi tant d’autres! Je me pencherai plutôt sur les enjeux économiques reliés aux encyclopédies numériques, dont on parle un peu moins dans les médias.

Sur ce blogue, Jean-Michel Salaün a analysé trois facettes économiques utilisées ou affectées par Wikipédia (ici). Il s’agit des économies de la cognition, de l’attention et du don. Il est possible de dire que Wikipédia participe à l’économie de la cognition puisque l’encyclopédie a un impact sur le monde de l’éducation. Toutefois, cet impact n’est pas économique dans un sens traditionnel, puisqu’aucun étudiant ou professeur ne doit payer pour la consulter. De la même façon, Wikipédia participe à l’économie de l’attention (publicité) en créant une plus grande affluence sur les moteurs de recherche, permettant ainsi aux publicitaires de rejoindre un plus grand marché. Là encore, ce n’est pas Wikimedia, la fondation derrière Wikipédia, qui en profite, mais bien d’autres acteurs du web, comme Google. Enfin, Wikipédia fonctionne grâce à l’économie du don, puisque tous ses revenus proviennent de dons de particuliers ou d’entreprises prélevés lors de levées de fonds. Sur le site wikipédien de la fondation, on explique que “96% du budget de la Fondation Wikimedia provient des dons individuels, et que ce sont généralement de petits montants.(sic) .» Afin de convaincre les gens de donner, la Fondation insiste sur les projets qu’elle désire développer à l’extérieur des Etats-Unis, comme en Afrique, afin d’augmenter le nombre d’articles écrits en différentes langues. Mais il ne faut pas se leurrer : ce qui attire les dons, bien plus que les projets, est l’image de marque de l’encyclopédie. Car Wikipédia a un pouvoir d’attention qui dépasse celui de bien des ONG, et qui se rapproche davantage de celui des grandes compagnies de ce monde, telles que Nike ou Gap! La preuve en est que la Fondation Wikimedia, lors de sa dernière levée de fonds, a amassé 2.162 millions de dollars de 45.000 donneurs à travers le monde (Rapport de la fondation). Avec un tel montant, nul besoin de diffuser de la publicité !

Les encyclopédies plus traditionnelles essaient bien sûr de rester dans le coup, sans grand succès. Par exemple, l’Encyclopedia Britannica permet depuis peu de temps de collaborer à l’encyclopédie en écrivant des articles parallèles reprenant des informations présentes dans les « vrais » articles de l’encyclopédie (Toronto Star, 6 juin 2008). Toutes les créations d’internautes sont vérifiées par les collaborateurs de l’Encyclopédie. Britannica tente d’intéresser les gens en tirant parti de son prestige, en participant à la vague collaborative et en faisant miroiter la possibilité de conserver les bons articles dans la vraie encyclopédie. Mais une entreprise comme celle-ci, malgré sa longévité, peut-elle réellement faire face à l’effet de masse créé par Wikipédia ? Et surtout, combien de gens s’abonneront réellement à sa version numérique pour 69,95$ par année, alors que les encyclopédies gratuites sont satisfaisantes ? En passant de 1395$ pour les 32 volumes de l’encyclopédie à 69,95$ pour la version numérique, on peut dire que les éditeurs traditionnels ont tout un défi économique à relever ! Malgré cette baisse de prix impressionnante, ils n’arrivent même pas à concurrencer les encyclopédies qui n’existent qu’en version numérique, comme Encarta, qui se vend 30$ par année.

Une solution semble « parfaite » pour l’entreprise: c’est celle que préconise l’encyclopédie Knol de Google. Ses articles sont signés par des experts dont l’identité est vérifiée. Le terme « expert » est ici un peu élastique puisqu’un diplôme ne garantit pas nécessairement qu’aucune erreur ne sera faite. Google réussit à attirer ces experts grâce à sa notoriété (nous savons que l’image de marque de Google occupe une très grande place dans l’économie de l’attention sur le Web). Elle leur promet aussi une partie des revenus assurés par les publicités présentes dans leurs articles, en fonction du nombre de personnes qui les lisent. Google a le prestige nécessaire pour que Knol devienne le prochain Wikipédia, mais les utilisateurs se lasseront-ils de la publicité, alors qu’ils sont habitués à ne pas en avoir sur les pages wikipédiennes ? Il n’y a pas que la gratuité qui soit attirante pour les internautes, et une solution intéressante sur le plan économique pourrait en rebuter plus d’un sur le plan éthique : information pertinente, produits de beauté et publicités de voitures de luxe peuvent-elles réellement faire bon ménage ?

jeudi 16 octobre 2008

Paul Krugman a-t-il toujours raison ?

(Repéré sur Numérama grâce à la veille de Silvère Mercier que je ne remercierai jamais assez pour son travail qui me sert tous les jours !)

Avant d'être récipiendaire du prix Nobel d'économie, Paul Krugman avait publié à la fin du printemps un éditorial dans le New-York Times, reprenant l'argument classique selon lequel les documents étant devenus des biens publics grâce au Web, un prix de marché n'était plus possible, par contre, il était possible d'utiliser la puissance de résonance pour valoriser des services associés. Il est présomptueux et imprudent de contredire un prix Nobel, mais après tout un blogue est là pour lancer des idées, même à contre-courant de la plupart des confrères. Et, quitte à prendre une volée de bois verts, j'affirme qu'en l'occurrence il se trompe. L'erreur est d'autant plus gênante que, son auteur ayant acquis l'autorité que lui confère le plus prestigieux des prix scientifiques, elle risque de passer pour une vérité incontestable.

Paul Krugman, “Bits, Bands and Books,” The New York Times, Juin 6, 2008.

Extraits (trad. JMS) :

En 1994, une de ces gourous, Esther Dyson, a fait une prédiction saisissante : la facilité avec laquelle le contenu numérique pouvait être copié et diffusé pourrait finir par obliger les entreprises qui vendent les produits de l’activité des créateurs à un prix très bas, ou même de les donner. Quel que soit le produit, logiciel, livre, musique, film, le coût de création devrait être récupérer indirectement. Les entreprises devraient «distribuer gratuitement la propriété intellectuelle pour vendre les services et des contacts». (..)

Évidemment, si les e-books deviennent la norme, l’industrie de l’édition telle que nous la connaissons pourrait dépérir complètement, Les livres pourraient servir principalement de matériel promotionnel pour d’autres activités des auteurs, comme des séances payantes de lecture. Bon, si cela a suffi à Charles Dickens, je suppose que cela me suffira.

Car la stratégie consistant à brader la propriété intellectuelle pour que les gens achètent tout ce qu’il y a autour ne marchera pas de façon équivalente pour tout. Pour s’en tenir à un exemple évident et douloureux : l’organisation de la presse, y compris ce journal, a passé des années à essayer de faire passer ses nombreux lecteurs en ligne par un paiement adéquat, avec un succès limité.

Mais, ils devront trouver la solution. Progressivement, tout ce qui peut être numérisé le sera, rendant la propriété intellectuelle toujours plus facile à copier et toujours plus difficile à vendre pour plus qu’un prix symbolique. Et nous devons trouver des modèles d’affaires et une économie qui tiennent compte de cette réalité.

La première erreur est de considérer que l'articulation entre le contenant et le contenu telle qu'elle est réalisée sur le Web et donc le partage de la valeur qui l'accompagne, est une donnée hors du champ de l'analyse et non un construit social significatif pour celle-ci. En réalité, l'abondance de biens informationnels gratuits valorise ceux qui vendent de l'accès, soit par des abonnements au réseau, soit par des machines. C'est une erreur de penser que les internautes ne dépensent rien pour ces produits, ils dépensent, et parfois beaucoup, en machines et abonnements, c'est à dire pour les contenants.

C'est aussi une erreur découlant de la précédente de penser que c'est la seule voie possible. Deux exemples démontreront le contraire :

  • Lorsque France-Télécom (à l'époque DGT) lança le Minitel et la télématique (Wkp), elle distribua gratuitement les terminaux en instaurant un système de micropaiement sur les services. Ce modèle d'affaires fut très rentable pour les producteurs de contenu (et, parait-il, il reste encore rentable dans quelques micro-créneaux). Cette stratégie est le parfait inverse de celle de Apple sur la musique avec le iPod.
  • La Corée du Sud avec le réseau Naver (ici) a mis en place un réseau payant, véritable place de marché où les transactions sur le contenu se font quotidiennement dans le respect de la propriété intellectuelle.

La stratégie de Kindle de Amazon va dans le même sens. Je suis moins sûr que P. Krugman qu'elle soit vouée à l'échec et, si elle l'était, cela viendrait moins d'une loi économique générale sur l'échange de contenus que d'une stratégie qui favorise, avec la complicité intéressée mais inconsciente des «gourous du Web», les industries du contenant.

La seconde erreur importante est de croire que le Web produit une rupture radicale par rapport à la situation antérieure. Il existait déjà des industries de contenu accessibles gratuitement aux documents facilement copiables, et pas des moindres : la radio et la télévision. Il existait aussi des institutions où les documents étaient partagés : les bibliothèques. Pour les unes et les autres, des modalités ont été trouvées, parfois après de laborieuses négociations, pour préserver la propriété intellectuelle et garantir un financement du contenu. On pourrait discuter de ce partage, mais c'est un autre débat.

Sans doute, le Web est un formidable outil de résonance, tout comme d'ailleurs la radio-télévision, mais rien n'interdit de trouver des modalités de rétribution des ayant-droits, sinon le dialogue de sourds qui s'est installé entre des détenteurs de droits, trop gourmands et incapables de comprendre l'organisation du Web-média, et les internautes militants incapables quant à eux d'imaginer que celui-ci puisse dépasser son adolescence rebelle. Refuser cette possibilité, c'est alors refuser la capacité au Web de devenir un média à part entière, tout en faisant le lit de quelques acteurs dominant qui accaparent à leur seul profit ou presque la vente d'attention créée par les contenus, au premier chef, bien sûr, Google.

Là encore, c'est donc une erreur que de croire que le Web tuera nécessairement les médias plus anciens, même si, clairement, le Web-média en prenant brutalement place parmi ceux-là réduit leur place et donc globalement leurs revenus, sans doute de façon inégale suivant les médias. Prenons là aussi deux exemples rapidement :

  • Dans la vidéo, malgré les téléchargements sauvages, la propriété intellectuelle continue de régler les positions sur le Web, comme le montrent les négociations engagées par YouTube avec les réseaux de télévision, les producteurs de séries ou encore les détenteurs de droits sportifs, ou comme le montrent les difficultés de la station Web Joost.
  • Dans la musique, l'annonce récente des résultats de l'expérience du groupe RadioHead où le paiement du téléchargement était laissé à la discrétion des internautes sont impressionnants. Au total, Radiohead a écoulé à ce jour 3 millions d'exemplaires de In Rainbows, sous forme de CD (1,75 million), de boîtiers de luxe vendus par correspondance (100 000) ou en téléchargement. Il faut y ajouter les droits sur les passages en radio et 1,2 millions de personnes à leurs spectacles. La résonance a été très forte, mais elle a aussi favorisé les formes les plus classiques de la vente de contenus.

Les étudiants du cours auront retrouvé le long de ce billet des éléments de la séquence 1 (l'argument de P. Krugman), de la séquence 2 (ma première réfutation) et de la séquence 3 (ma seconde réfutation).

Complément du 18 octobre 2008

Repéré grâce au commentaire de A. Pierrot, merci à lui :

PREMIERS RESULTATS : OBSERVATOIRE DES DEPENSES MEDIAS ET MULTIMEDIAS, Communiqué (Médiamétrie, Octobre 15, 2008).

Voici la répartition du budget d'un ménage français pour les médias et le multimédia sur une année en 2007-08. La dépense totale est de 2270 Euros et pour les familles ayant des enfants (11-24 ans) : 2920 Euros.

Édifiant..

vendredi 03 octobre 2008

Quel auditoire pour la conférence d'Hervé ?

Suite à mon dernier billet (ici), plusieurs commentateurs ont fait des suggestions pour la mise en ligne de la conférence de Hervé Le Crosnier. Je voudrais d'abord les remercier, leur indiquer que le service informatique de l'EBSI avait déjà étudié ces possibilités, et aussi les rassurer. La conférence est, en effet, maintenant en ligne et vous pouvez la consulter :

Hervé Le Crosnier Web-Documents, réseaux sociaux et extraction sémantique : de la conversation à la bibliothèque, conférence donnée à l'école de bibliothéconomie et des sciences de l'information le 11 septembre 2008 ici. (message perso aux étudiants du cours : ne vous précipitez pas sur le visionnement, il est au programme dans 15 jours..)

En réalité le problème n'était pas tant de trouver une alternative externe pour diffuser la conférence, il en a plusieurs en effet, que de s'interroger sur l'opportunité et les conséquences d'un tel choix. Ce petit épisode nous a fait bien réfléchir. Et je crois qu'il y a deux dimensions à la réponse, une politique ou stratégique et une autre tactique.

La première a été soulignée par le commentaire de Hervé au billet précédent. Les universités (individuellement ou en coopération) doivent-elles abandonner la maitrise de la diffusion des savoirs ? À la réflexion, cette question est relative. On n'a pas attendu le numérique, loin de là, pour confier cette diffusion à des opérateurs privés, à commencer par les éditeurs de livres, qui mutadis mutandis ne font pas vraiment dans ce qu'on appelle aujourd'hui l'accès ouvert. Pourquoi en serait-il différemment sur un autre support ? Sans doute, la problématique est plus profonde, parce que les positions industrielles sont très puissantes et parce qu'elle dépasse la simple diffusion. Mais, il s'agit alors de bien autre chose que la question première de la mise en ligne d'une conférence.

La seconde dimension est plus tactique et, dans ce cas précis pour moi au moins, plus intéressante. Aller à la facilité en externalisant la diffusion de la conférence, c'est ne pas réfléchir à la réalité de notre objectif. Il ne s'agit pas de maitriser le système de diffusion, mais de maitriser la relation avec notre cible ou le contact avec ceux qui vont visionner la conférence. Déposer la vidéo sur YouTube, par exemple, aurait sûrement fortement élargi son audience, mais est-ce vraiment ce que nous souhaitons ? Pas sûr. Il est parfois préférable de toucher un auditoire plus restreint pour être mieux compris et mieux entendu. Il est aussi préférable de garder le lien étroit entre l'EBSI et la conférence. Nous ne cherchons pas à rivaliser avec les médias de masse, chacun sa mission. Nous n'avons pas non plus les moyens de gérer une trop large notoriété.

J'ai un peu la même attitude avec ce blogue. Sans doute je suis content s'il a du succès et s'il est lu en particulier par des lecteurs que je ne connais pas ou pas encore, mais pas trop. Je préfère un lectorat quantitativement modeste, mais de qualité. Je ne serai pas capable de gérer un vaste auditoire et la parole débridée qui l'accompagne. C'est pourquoi je reste très parcimonieux sur les référencements. Je n'ai pas dans les bandeaux de tous côtés toute la quincaillerie des blogueurs geeks, je ne suis pas sur les réseaux sociaux, ni abonné à twitter, etc.

C'est tout le paradoxe de proposer des documents «dans le ciel» comme dirait S. Harnad. Tout le monde peut les lire. Mais ici l'objectif n'est pas que tout le monde les lise, mais plutôt que les quelques individus dispersés, peut-être inconnus, intéressants et intéressés à ces sujets, puissent les lire et qu'ainsi ils entrent en contact avec nous. Alors, je crois qu'il est plus efficace de garder la maîtrise de ces outils, même si l'on se prive d'une expérimentation des soubresauts du Web2.0.

H. Simon parle des limites de l'attention. Celles-ci valent dans les deux sens, pour le destinataire, mais aussi pour l'émetteur. Et je crois que la meilleure politique, c'est de connaitre ses limites pour exploiter au mieux ses potentialités. C'est plus difficile quand apparemment les barrières tombent.

Belle mise en abîme en tous cas avec le sujet de la conférence de Hervé !

mercredi 17 septembre 2008

Wikipapier et les sept piliers

Le lancement par Bertelsmann d’une version papier de Wikipédia a été le premier sujet de discussion du forum des étudiants du cours en ligne. L’exercice consistait à analyser le projet de l’éditeur, présenté dans un précédent billet (ici) grâce aux éléments apportés par le premier cours ().

Comme l’actualité nous rattrape et que le livre est maintenant sorti (), je reproduis ci-dessous la synthèse de la discussion en reprenant, dans l’ordre, les «piliers» présentés dans le cours.

  • Pilier 1 : la non-rivalité a permis de proposer une encyclopédie gratuite en ligne à tous les internautes. C’est un apport essentiel de Wikipédia. Mais celle-ci interdit en réalité sa valorisation pour les producteurs. Le passage sous format papier, redonnant quelques caractéristiques rivales d’une marchandise ordinaire, permet cette valorisation. Pour vous en convaincre, je vous suggère la lecture de ce billet ci-dessous qui est un autre exemple du même processus (La publication par P. Assouline des commentaires de son blogue). La différence entre les rémunérations est frappante.

Nicolas Kayser-Bril, “Brèves de blog: Une nouvelle forme de monétisation?,” Window on the Media, Septembre 11, 2008, ici.

  • Pilier 2 : le cout de la première copie de Wikipédia est dérisoire comme rappelé dans le billet, du fait de l’appel au bénévolat et d’une économie du don. Ceci amène à une situation étrange pointée par H. Le Crosnier où 90.000 auteurs sont répertoriés sur 27 pages, sans évidemment bénéficier de la moindre rémunération, ni en argent, ni même en prestige. Dans ce processus Bertelsmann sort grand gagnant puisqu’il n’a assumé aucun coût de création et paie des droits minimes. Même s’il faut prendre en compte les coûts d'édition (mise en page, correction..), les risques de l’édition papier deviennent très réduits.
  • Pilier 3 : Bertelsmann ne publie évidemment pas la totalité du site, mais simplement certains articles dument validés. La publication papier stabilise le contenu et lui confère un statut plus fort, encore souligné, comme cela est suggéré dans le billet, par l’aura du livre. Il y a là une tentative intéressante d’appuyer la valeur du contenu sur l’apport symbolique des deux supports.
  • Pilier 4 : Les liens et la possibilité de navigation à l’intérieur de Wikipédia en ligne sont une réelle valeur ajoutée par rapport au papier. Le numérique permet une utilisation optimale de la plasticité des informations. Mais celle-ci est-elle valorisée pour les producteurs de contenu ? En réalité, elle ne bénéficie qu’au lecteur, la production de Wikipédia étant bénévole et quasiment anonyme. Il ne faut évidemment pas négliger ce bénéfice, important pour la société dans son ensemble, mais l’absence d’économie du contenu fait de l’expérience Wikipédia, une expérience unique, peu reproductible. L’intérêt de la plasticité est aussi qu’elle permet d’utiliser les fonctionnalités différentes de différents supports et dispositifs pour un même contenu. Il s’agit bien de deux produits différents. Il s'agit néanmoins de la même marque et des mêmes éléments de contenu dont seulement les fonctionnalités et la plasticité seront différentes. Le livre papier a aussi des avantages fonctionnels qui expliquent sa résistance, alors même qu’il est sur le déclin depuis de longues années. Il est vrai que le pari n’est pas gagné puisque, justement malgré la résistance globale du livre papier, le marché des encyclopédies, lui, s’est écroulé face au numérique. Mais dans ce cas précis le risque financier est maigre (voir Pilier 2). La mise en abime, grâce à la plasticité, est encore plus fascinante puisque le livre est aussi consultable sur Google-books, comme le signale Olivier (ici).
  • Pilier 5 : la notoriété capitalisée par Wikipédia autour de sa marque sert à lancer le produit papier. Si des lecteurs achètent le livre, ce sera grâce à cette dernière. Inversement, comme indiqué dans le billet, Wikipédia bénéficie de la reconnaissance officielle et non-négligeable compte-tenu des polémiques à son sujet, d’un éditeur.
  • Pilier 6 : Par sa position dans l’audience captée sur le Web, Wikipédia pourrait valoriser une vente d’attention. Elle n’a pas fait ce choix qui risquerait peut-être de tarir l’ardeur de ses bénévoles. Néanmoins, l’attention ainsi captée ne peut non plus être valorisée par un autre acteur, sinon au niveau des requêtes par un moteur de recherche. D’un point de vue marchand, il y a là une destruction nette de valeur. Ironiquement, celle-ci peut-être en partie récupérée via Google-books. Wikipédia se positionne alors comme un «bien public», hors économie marchande et en concurrence avec cette dernière.
  • Pilier 7 : En choisissant les thèmes les plus consultés, Bertelsmann se positionne dans la partie gauche de la courbe, ce qui est tout à fait en cohérence avec une économie éditoriale. Il y a là la possibilité d’une complémentarité entre la version papier et la version en ligne qui autorise une consultation de l’ensemble des articles, y compris les moins populaires. De ce point de vue, la version en ligne est proche d’une économie de bibliothèque. La bibliothèque est en effet la première structure à avoir utilisé l’économie de la longue traîne. Bien avant que C. Anderson propose ce nom, les bibliothécaires avaient repérés cette distribution de la demande chez leur lecteur. Et on peut même faire l’hypothèse que c’est parce que les coûts de stockage, classement, distribution des documents peu demandés étaient trop lourds qu’un marché n’a pu se développer dans ce domaine avant l’arrivée du numérique.

vendredi 02 mai 2008

Éco-doc : révision séquence 7

Poursuite des réflexions sur le cours sur l'économie du document, prévu à l'automne à distance (Plan et explications ici), avec la septième séquence.

Il s'agit de la seconde illustration du modèle de l'accès, le Web-média après la présentation du modèle bibliothéconomique de la séquence précédente (ici). Le principe est toujours, comme pour les deux séquences précédentes, une alternance entre un cours classique et un dossier présenté par un groupe d'étudiants.

Cette illustration suscite beaucoup la curiosité des étudiants puisque le modèle est en construction. Ses contours et sa logique restent parfois imprécis, néanmoins ils s'affirment avec le temps qui passe, la maturation des marchés et la banalisation des pratiques. Plus encore que précédemment, cette séquence défend une thèse qui avait été introduite dans la séquence 3 () : celle de la naissance progressive d'un nouveau média fondé sur l'accès et dont les caractéristiques sont à rapprocher de deux modèles bien assis qui ont été maintenant présentés et illustrés : la radio-télévision d'un côté par le réseau de diffusion électronique et la bibliothèque de l'autre par l'orientation service.

Pour défendre cette thèse, il s'agit d'abord de délimiter l'objet dont on parle. Le Web-média ne comprend pas toute l'activité du Web, mais seulement l'activité qui relève d'une économie documentaire. Ceci exclue, par exemple, ce que l'on met habituellement sous le vocable e-commerce (transactions commerciales entre particuliers, vente d'objets ou de services non documentaires, agences de voyage, banques, etc.). Cela exclue aussi ce qui relève d'une communication de personne à personne (courriel, tchat, etc.). Bien entendu, il est difficile de tracer une frontière trop précise entre ces mondes. Néanmoins si l'on est cohérent avec les éléments présentés dans la séquence 1 (ici), il faut admettre que l'activité documentaire relève d'une économie particulière radicalement différente de l'économie ordinaire des autres activités.

Une fois les contours du Web-média dessinés, je m'attacherai à en présenter quelques caractéristiques empruntées aux deux modèles cités en soulignant leurs aspects paradoxaux. Dans l'énumération qui suit des économies ou des valeurs construites, le premier terme est issu du modèle de la radio-TV, tandis que le second est issu de celui de la bibliothèque. Ils sont souvent contradictoires et pourtant ils cohabitent pour bâtir un Web-média d'un genre nouveau. Dans le Web-média, on retrouve en effet à la fois l'économie.. : de l'actualité et de la mémoire ; de la notoriété et du partage, de l'attention et du choix.

Mais cette parenté avec les deux modèles précédents est bâtie sur un ordre documentaire tout à fait différent, d'une efficacité sans pareille et inédit dans l'histoire : le calcul statistique des relations entre les items, items documentaires ou individus. Par comparaison, l'ordre documentaire de la télévision est fondé sur la coïncidence temporelle entre les programmes présentés et la disponibilité des téléspectateurs, concrétisé par la grille de programme ; celui de la bibliothèque est bâti sur le catalogue et l'enregistrement du lecteur.

Je conclurai cette présentation par quelques histoires d'acteurs exemplaires et montrant comment ils se sont installés brutalement en bousculant l'équilibre médiatique précédent : Google évidemment, Elsevier, Wikipédia et quelques questions sur les réseaux sociaux et sur les différences de culture.

Même si les analyses ne sont pas toujours complètement assurées, il ne manque pas de travaux, académiques ou de consultants, sur ces questions. Bien sûr, leur propos ne recoupent pas exactement la thèse précédente, mais ce blogue montre, semaine après semaine, qu'ils peuvent très largement l'inspirer et l'illustrer. Je n'ai donc pas de gros problème pour cette séquence qui s'alimente très directement du blogue.

Un ou deux dossiers d'étudiants, réalisés selon les modalités décrites en séquence 2 (ici) ont été remis par un ou deux groupes d'étudiants. Ils sont mis en ligne sur le site de partage du cours. Ils concernent des problématiques d'actualité permettant d'aborder la mise en place progressive du Web-média. Un débat en ligne est lancé à partir d'une ou deux questions proposées par le professeur sur chacun de ces dossiers. C'est à la suite de ce processus que chaque groupe pourra réaliser le billet à publier sur le blogue.


Séquence 7 : Économie de l'accès : 2. le Web-média

Objectif général

À la fin de la séquence l'étudiant(e) devrait connaitre :

  1. La définition du Web-média.
  2. Les principales caractéristiques de son économie.
  3. Quelques acteurs exemplaires.

Objectif spécifique

À la fin de la séquence l'étudiant(e) devrait être capable de :

  1. Repérer la signification des stratégies en cours sur le Web documentaire.
  2. Interpréter les débats sur le développement des aspects documentaires du Web.

Contenu de la séquence (base à réviser)

  • Où commence et où s'arrête le Web-média
    • Faire la différence avec le e-commerce
    • Un service de diffusion et d'accès documentaire
  • Entre radio-télévision et bibliothèque
    • Temporalité (actualité et mémoire)
    • Valeur (notoriété et partage)
    • Relation (attention et choix)
  • Un ordre documentaire fondé sur le calcul statistique
  • Accélérations
    • Comment Google s'est imposé sur la publicité en ligne
    • Comment Elsevier a confisqué les collections aux bibliothèques
    • Comment Wikipédia peut concentrer le trafic avec 16 salariés
    • Comment les «réseaux sociaux» se déclinent suivant les cultures

Évaluation

L'évaluation de cette séquence est différente selon les étudiants. Les auteurs du dossier sont évalués sur celui-ci. Les autres sur leur participation au débat en ligne.

Bibliographie (à venir)

- page 9 de 15 -