US/UE, interrogation sur les revenus de l'édition en ligne
Par Jean-Michel Salaun le dimanche 20 août 2006, 14:55 - Édition - Lien permanent
La Commission européenne a lancé une consultation en septembre 2005 sur le secteur de l'édition en Europe (présentation de l'ensemble de la démarche, document de travail de la Commission de 31 pages + annexes, consultation avec 35 réactions). Même si bien des éléments sont des confirmations plus que des nouveautés pour qui connait le secteur, il s'agit d'un matériau très utile pour un chercheur notamment grâce aux chiffres fournis. À l'évidence les thèses de demain ne ressembleront plus à celles de ma jeunesse !
Extrait du résumé de la présentation :
''Le secteur de l'édition tel qu'il est défini par la Commission dans son document de travail comprend quatre secteurs :
- Journaux (37% de la production)
- Magazines et revues (32%)
- Livres (25%)
- Annuaires et bases de données (6%)
Les médias en ligne, malgré leur importance croissante, ne font pas partie de la réglementation de la Commission dans le domaine de l'édition.
Voici en quelques chiffres ce que représente le secteur de l'édition :
- 0,5% du PIB
- 121 milliards d'euros de production annuelle
- une valeur ajoutée de 43 milliards d'euros dans la seule Europe des 15
- 750 000 emplois dont 64 000 dans les maisons d'édition et 50 000 dans d'autres entreprises, des PME pour la plupart.
Ces chiffres, aussi élevés qu'ils puissent paraître, sont en baisse constante, et ce essentiellement en raison d'habitudes changeantes et de la concurrence exercée par Internet.''
Si on creuse cette dernière affirmation, j'ai été surtout frappé par deux éléments aux conséquences opposées :
1) La différence inattendue de l'exportation comparée UE et US, due notamment au secteur des revues scientifiques. En 2002, le poids de l'exportation de biens publiés par l'UE représentait 5,077 Millions d'Euros, ce qui est cinq fois plus élevé que celle des États-Unis (p. 16 du rapport)
2) La différence des revenus de l'internet inversée : La principale part des profits réalisés grâce au contenu électronique dans le monde est faite aux Etats-Unis. Même lorsque des citoyens européens cherchent du contenu produit en Europe, ils utilisent des moteurs de recherche et non des portails d'information. Tous les moteurs de recherche les plus utilisés, comme Google, Yahoo!, MSN search et Altavista, sont situés aux Etats-Unis, et les profits qu'ils réalisent grâce à des publicités en relation au contenu sont le revenu le plus important réalisé en ligne. (extrait de la présentation)
Ces éléments peuvent nuancer ou éclairer les réflexions en cours sur les modèles d'édition, les polémiques sur les droits d'auteur et le mouvement pour le libre accès dans la science. C'est un peu comme si le vieux continent était le champion du modèle traditionnel, tandis que le nouveau voulait s'imposer par l'innovation.
Mais ce qui est vrai dans l'édition, ne l'est pas dans l'audio-visuel où, logiquement, les positions sont bien différentes.
Commentaires
Merci Jean-Michel pour le signalement de ce rapport, bien plus intéressant pour les questions qu'il pose que pour les observations statistiques qu'il nous livre.
Il faut être 'gonflé' comme un haut-fonctionnaire de l'Union européenne pour oser faire une moyenne avec, par exemple, la presse quotidienne des différents pays de l'Union : quoi de commun entre la presse en France (misérable) et la presse anglaise ou autrichienne ? À quoi bon faire une moyenne, si ce n'est pour constater qu'elle ne correspond rigoureusement à rien ? Idem d'ailleurs, pour le livre (de l'édition grecque à l'édition anglo-saxonne...) ou même pour la presse magazine (exception française là encore)...
Les deux éléments que tu signales sont très surprenants mais ne faut-il pas se méfier des chiffres à l'emporte-pièce ? En clin d'œil au premier des deux, il me semble qu'en 2003 ou 2004, la meilleure exportation française dans le monde de l'édition a été... la diffusion par Gallimard de la traduction de Harry Potter en Belgique ! Ne vaudrait-il pas mieux examiner ces chiffres dans le détail avant d'en tirer des conclusions valables ?
Ta deuxième citation n'interroge pas moins. Si Google & Cie sont des succès planétaires, c'est d'abord parceque leurs interfaces sont accessibles dans toutes les langues de la planète. Alors que la technologie déployée leur est commune et que l'efficacité du moteur généraliste est plébescitée par les usagers -- pour ma part : pas plus tard que ce matin : Google n'a donné le calendrier des zones bleues et blanches du rail en 3 mots clés alors qu'il était introuvable sur le site de la SNCF. C'est donc bien d'abord la technologie qui est en cause (au delà des variations linguistiques) et non la performance des modèles économiques.
Sur ce point, je reste perplexe devant la comparaison UE / US pour l'exportation dans le domaine de l'édition... La diversité linguistique de l'Europe est une donnée essentille de sa richesse culturelle.
« La langue de l'Europe, c'est la traduction » je cite Umberto Ecco. Comment peut-on, dans ces conditions, comparer aussi brutalement l'effort de traduction intra-européen et l'hégénomie de l'anglais international dont la Commission européenne semble se satisfaire pour elle-même ?
Pierre Schweitzer
* : je n'ai trouvé son rapport qu'en langue anglaise... la France contribuerait-elle moins que le Royaume Uni au financement de l'Union ?
Sans doute faut-il être prudent avec les chiffres, leur récolte et leur interprétation. Néanmoins, cette réserve mise à part, pour un économiste les agrégations ont du sens. Elles permettent de mesurer le poids d'une branche et faire des comparaisons. Elles font sens aussi pour les industriels dont les stratégies sont de plus en plus internationales.
Sur la comparaison des exportations UE/US, la même réserve s'impose d'autant que les auteurs du rapport sont eux-mêmes très prudents. Mais si les chiffres sont exacts, ils sont alors globalement parlant. Je développe un peu l'idée que je n'ai qu'esquissée dans le billet :
Le vieux continent serait fort de sa culture écrite, qu'il cherche naturellement à défendre. Le nouveau, disposant d'un patrimoine dans ce domaine moins prestigieux et d'une tradition moins ancienne, valorise l'échange et la recherche. Cela fait sens et s'inscrit vraisemblablement aussi dans l'inconscient des acteurs, dictant leur réaction.
On retrouve cette différence sur de nombreux thèmes : droit d'auteur versus copyright (= droit de copie) ; JN Jeanneney pourfendant Google, qui lui prend argument sur le fair use, ou même en poussant la provocation : éditeurs scientifiques européens versus bibliothèques US pronant le libre accès.
J'ajoute que dans l'audiovisuel, média jeune où le jeune continent a pris une place de choix, les rôles s'inversent. Les compagnies de cinéma et de musique, où les US dominent, font le forcing sur les droits et MTP, tandis que c'est en France que l'on a failli avoir une license globale.
Bien sûr, je force le trait et l'interprétation est hasardeuse. Mais il s'agit là de sonder l'âme des peuples, pas de relever tel ou tel épisode ou cas précis.
C'est un point de vue intéressant et ton analyse me semble très pertinente.
J'ai moi aussi forcé le trait de ma critique. Les approches macro-économiques transforment le monde en chiffres et en tant que telles, elles ont évidemment leur utilité 'métrologique' à usage des industriels et des pouvoirs publics.
Mais pour les secteurs que tu évoques (édition, cinema, audiovisuel) le facteur linguistique n'est-il pas prédominant ? La culture du libre accès dans la publication scientifique aux États-Unis est-elle sans rapport avec la prédominance voire l'hégémonie de l'anglais comme langue de communication scientifique quasi-officielle à l'échelle planétaire ? La fameuse exception culturelle du Vieux Continent est-elle fondée sur autrechose que sur la sauvegarde des identités culturelles et linguistiques de l'Europe ? Si les éditeurs grecs, par exemple, ne sont pas encore tombés dans l'escarcelle des grands groupes industriels mondiaux, c'est bien en raison de cette particularité, de la niche linguistique qu'ils adressent.
J'en reste toujours baba, de voir les experts de la Commission européenne mesurer la vitalité d'un secteur à l'aune de son résultat en terme d'exportation et en comparaison avec les Etats-Unis... alors que la diversité culturelle et linguistique de l'Europe est donnée fondamentale et que l'effort du secteur est d'abord intra-européen. C'est tout ce que je voulais souligner.
Je n'ai pas dépouillé toute l'étude mais en lecture diagonale, je n'ai rien vu sur la presse dite 'gratuite', secteur en pleine expansion en Europe et qui me semble être une vraie innovation* dans les modèles traditionnels du Vieux continent !
PS
* : innovation d'usage, économiquement, le modèle est bien connu.
Bonjour Messieurs
Vos articles et commentaires sont tres interessants.
Dans le lien "document" une série de questions ont ete posées:
-Ce document décrit-il correctement les principaux indicateurs de compétitivité des différents segments de l'édition?
-Souhaiteriez-vous ajouter des questions supplémentaires relatives à l'édition, notamment au sujet des approches définies dans la récente communication i2010 de la Commission ?
-Les structures actuelles du secteur, tous segments confondus, sont-elles susceptibles de survivre à la transition vers les chaînes de valeur électroniques ? -
-Quels sont les principaux obstacles et menaces qui se poseront aux éditeurs au cours de la transition ?
-Quelles opportunités pour les éditeurs les nouvelles technologies d'information et de communication offrent-elles ?
-Comment les modèles d'entreprise vont-ils évoluer et dans quelle mesure les systèmes de gestion des droits numériques seront-ils essentiels pour la mise en oeuvre réussie de ces modèles ?
Savez vous ou je peux trouver les reponses a ces questions?