Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

Après tout, pour résoudre le problème de la baguette entamée, vous pouvez toujours en acheter une seconde pour votre ami(e). Deux baguettes comblent mieux la faim matinale qu'une seule !

Mais si vous achetez deux fois le même journal, vous ne serez pas mieux informés pour autant. Tout au plus, vous serez informés tous les deux en un temps record, puisque vous pourrez lire ensemble le journal au même moment sans vous gêner.

Les documents identiques ne s'additionnent pas dans leur consultation. Alors même qu'ils ont été reproduits à de nombreux exemplaires, ils gardent pour les individus une valeur unique, celle du prototype. Cette unicité est aussi valable du côté de la production. Les journalistes-rédacteurs d'un quotidien conçoivent un journal et un seul par jour mais chaque jour différent, si sa maquette est inchangée, son contenu est renouvelé. Il est ensuite reproduit par les imprimeurs ou diffusé par les réseaux ou encore proposé dans les bibliothèques. Chaque exemplaire diffusé garde une vertu de prototype et peut être copié ou enregistré, et éventuellement reproduit, prêté ou encore diffusé par électronique. L’industrie de l’information est donc une industrie de prototypes.

Le boulanger est obligé de pétrir autant de baguettes qu'il veut en produire (la multiplication des pains demande des compétences particulières réservées à de rares élus !) et il les réalise chaque jour selon la même recette. Il y a bien longtemps que le prototype de la baguette de pain est au point et bien des boulangeries reçoivent des baguettes pétries en usine qu’il ne reste qu’à cuire. L’industrie alimentaire est, pour une grande part, une industrie de produits en série.

Un prototype est toujours coûteux à fabriquer. Ainsi l’industrie de l’information a mis en place des procédures pour protéger sa valeur ajoutée et réduire ses coûts :

  • La propriété intellectuelle y est essentielle pour protéger l’innovation contenue dans chaque produit. Inversement, le développement de son contraire, la copie, vite baptisée « contrefaçon », puis « photocopillage » et aujourd’hui « piratage » par les industriels installés, est tout aussi naturel ;
  • Nombre d’éléments de création sont externalisés, afin de réduire les coûts et les risques pour autant qu’ils ne conduisent pas à la perte de l’indépendance de l’industriel. Pour le journal, on peut citer le recours aux agences ou aux pigistes ;
  • Tout ce qui peut être industrialisé en production l’est. Cela concerne aussi bien la standardisation de la fabrication (ex : maquette du journal stable), que la reproduction (imprimerie) ;
  • La distribution est le maillon faible du processus car le plus coûteux et le moins porteur de valeur ajoutée. Mais c’est (était) aussi une forte barrière à l’entrée et donc une protection pour les industriels installés, décourageant d’éventuels nouveaux concurrents. La diffusion par le réseau électronique opère une rupture radicale de cette protection en réduisant brutalement les coûts.