Pilier 3 : L'interprétation
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 12 octobre 2006, 08:18 - Cours - Lien permanent
Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..
L'achat de deux baguettes a, sans doute, largement résolu votre problème alimentaire et celui de votre ami(e). L'achat de votre journal n'a résolu votre problème informationnel que si vous avez le sentiment qu'il contient toutes les informations que vous souhaitiez connaître en ce début de journée. Autrement dit, vous demandez à votre journal d'avoir repéré, recueilli, trié, classé, organisé, commenté les informations qui vous intéressent.
Mais en lisant, vous choisissez vos rubriques, vous portez plus d'attention sur certains titres ou articles, vous en sautez d'autres. Vous faites, vous-aussi, un travail de repérage, de tri, de combinaison, de classement, d'interprétation. Votre interprétation de l'actualité sera sans doute différente de celle de votre ami(e). Vous pourrez en débattre, le (ou la) convaincre ou être convaincu(e), rester sur vos positions respectives ou encore trouver une synthèse ou un compromis.
Ce qu'on appelle communément l'information résulte d'un double processus d'interprétation. Une interprétation des évènements et de leur importance par les rédacteurs débouche sur une représentation, ici le journal. Cette représentation est, elle-même, interprétée de nouveau par les lecteurs. Personne ne peut avoir l'assurance que les interprétations soient homologues et que rédacteurs et lecteurs attachent une importance comparable aux mêmes représentations. Néanmoins l’objectif est bien de tendre vers cet idéal, faute de quoi le journal ne sera pas acheté.
Chacun interprète les informations selon son contexte. Le contexte varie dans le temps, selon les histoires et expériences individuelles et selon l’histoire des collectivités grandes ou petites. La fugacité de l’interprétation rend la valeur des informations contenues dans votre journal très aléatoire. Certaines peuvent vous paraître essentielles, bien d’autres inutiles. Une information peut acquérir un poids très important pour une personne et/ou à un moment donné ou, au contraire, perdre tout intérêt.
La baguette de pain est sans surprise. Réalisée avec de la farine, un peu d’eau et du levain, elle garde le même goût jour après jour. Tout au plus, vous l’apprécierez diversement selon votre état physique ou votre humeur.
Pour réduire l’incertitude de l’interprétation, difficile à gérer d’un point de vue économique, les industriels de l’information et de la culture emploient plusieurs moyens :
- Les médiateurs, les « gate-keepers » ici les journalistes, jouent le rôle central. Ils ont un pied dans le monde de la représentation qui suppose des savoir-faire particuliers et autre dans le milieu qu’ils servent pour ne pas se couper de ses préoccupations et en repérer les transformations à signaler. L’implication personnelle des médiateurs et leur crédibilité est vitale ;
- La diversité des propositions, qui se traduit par le journal dans la diversité des rubriques, des cahiers, l’étendu de la couverture géographique, la multiplication des comptes rendus impliquant des personnes etc., permet de réduire les risques en les étalant sur de nombreuses propositions d’information ;
- Le renouvellement. Nous avons souligné le caractère d’innovation de l’information dans le 2e pilier, nous verrons dans le 5e pilier qu’une information chasse l’autre. Disons ici que le contexte évolue, que les médias sont un des facteurs important de cette évolution par la représentation qu’ils renvoient et donc qu’une vertu économique de l’information est son renouvellement continu.