La redocumentarisation des visages
Par Jean-Michel Salaun le lundi 16 octobre 2006, 16:58 - Sémio - Lien permanent
Repéré par l'excellent communiquer par l'image
Un récent article du New York Times : Cyberface: New Technology That Captures the Soul By SHARON WAXMAN Published: October 15, 2006
présente les travaux d'une firme californienne Image metrics.
Il s'agit d'une reproduction animée des expressions du visage d'une personne sur un avatar en 3D. Ce ne serait qu'une avancée ordinaire de plus dans la reconstitution virtuelle du monde réel si le visage humain n'était pas porteur des principaux "kinèmes" (unités de signe gestuel) de la communication non verbale humaine. Dès lors, c'est bien à une redocumentarisation du cinéma, qui est fondé sur les acteurs et bien souvent piloté par l'expression de leur visage, auquel on pourrait assister.
Extrait de l'entretien du responsable de la société :
Nous pouvons réanimer une séquence du passé (..) Nous pouvons mettre Marilyn Monroe et Jack Nicholson côte à côte. (..) Nous pouvons directement reproduire un comportement humain sur un modèle. Nous pouvons inventer de nouvelles scènes dans de vieux films, ou des anciennes scènes pour de nouveaux films.
Bien sûr, il y a sans doute encore du chemin à faire pour en arriver là, mais la vidéo qui accompagne l'article du NYT est déjà très impressionnante.
Commentaires
Quelle définition pourrait-on proposer pour le mot « redocumentarisation » ?
On peut prendre le terme dans deux sens complémentaires.
Soit dans un sens large, pour représenter un vaste mouvement en cours de redéfinition des processus documentaires (un peu comme on parle de reingénierie), comme cela est fait dans le troisième texte de Roger.
Soit dans un sens plus précis comme pour ce billet, et je reprends là une proposition de Manuel Zacklad, faites dans un chapitre de livre à paraître :
"Redocumentariser, c’est documentariser à nouveau un document ou une collection en permettant à un bénéficiaire de réarticuler les contenus sémiotiques selon son interprétation et ses usages à la fois selon la dimension interne (extraction de morceaux musicaux pour les ré-agencer avec d’autres, ou annotations en marge d’un livre suggérant des parcours de lecture différents…) ou externe (organisation d’une collection, d’une archive, d’un catalogue privé croisant les ressources de différents éditeurs selon une nouvelle logique d’association). Dans ce contexte, la numérisation offre des opportunités inédites pour la réappropriation des documents et des dossiers en vue de satisfaire les intérêts de nouveaux bénéficiaires."
in Eléments théoriques pour l’étude des pratiques grand public de la documentarisation : réseaux et communautés d’imaginaire
Manuel Zacklad – Université de Technologie de Troyes – Laboratoire ICD – Equipe Tech-CICO - FRE CNRS 2848 –
Merci Jean-Michel pour cette définition, un peu compliquée mais intéressante quand on s'y arrête un peu.
À mon avis, le processus évoqué dans ton billet ne relève pas de la redocumentarisation, mais plus banalement, de la modélisation. Et il n'y a là, rien de bien nouveau me semble-t-il.
Historiquement, la 1ère restitution en image de synthèse impliquant un 'modèle 3D' a été réalisée sur une théière en 1975. Au delà de la modélisation des formes, des textures et de la couleur, les premières modélisations comportementales ont été réalisées dès les années 80. J'ai eu la chance d'en voir les premiers résulats significatifs en 1988 au festival des nouvelles images Imagina où John Lasseter était venu lui-même présenter son film et les modèles (3D et comportementaux) qui avaient permis la synthèse des images.
De mémoire, il s'agissait du film Toy Story : les scénaristes pouvaient agir directement sur les expressions corporelles du bébé et de ses jouets par le biais des descriptifs appropriés. Un an avant même, il y avait eu un autre court métrage du même Lasseter qui imprimait une sorte d'anthropomorhisme à une lampe d'architecte (le film s'appelait Luxo Junior, si ma mémoire est bonne*)
Maintenant, la question est ouverte pour savoir si un 'modèle' est un document ... ... ... !
Pierre Schweitzer
Voir pour info :
fr.wikipedia.org/wiki/3D_...
* Wikipedia confirme :
en.wikipedia.org/wiki/Tin...
La modélisation est ici l'outil.
La redocumentarisation découle, par exemple, de la reprise de visages existants pour leur faire exprimer d'autres choses. Ainsi, des acteurs décédés peuvent revivre à l'écran dans des rôles différents qu'ils n'ont jamais joué. On peut ré-utiliser un matériel filmique important en s'appuyant sur des notoriétés déjà construites, si vraiment la modélisation est aussi efficace que la démo le laisse paraître.
Pour ma part, je ne pense pas qu'un acteur disparu puisse 'revivre à l'écran'. Le leurre et les techniques de modélisation numérique font partie des procédés classiques de la représentation. Les techniques de trucage ont évolué depuis Méliès (images de synthèse et leurs modèles 3D et +) mais la finalité reste la même, me semble-t-il.
On pourrait mettre à part le cas de l'exploitation d'un clone numérique dans un jeu vidéo par exemple, où les représentations ne sont pas figées par le scénario ni fixées par la pellicule mais restent des modèles articulés. Mais même dans ce cas, l'utilisation d'un alias numérique figurant Marilyn Monroe ne bouleverse pas non plus la catégorie du jeu vidéo et le modèle utilisé reste une représentation de Marilyn Monroe comme une autre. Le réalisme de l'image de synthèse améliore le leurre par rapport au trucage, au dessin animé ou au film d'animation par exemple mais ce réalisme nouveau n'implique pas forcément une nouvelle catégorie de représentation (la re-documentarisation)
L'exploit technique permet tout au plus à un modèle de Marilyn de rencontrer un modèle de Lara Croft dans un jeu ou dans un film de synthèse... Pour moi, la question serait donc plutôt de savoir si un modèle ne serait pas, en amont, un document en tant que tel ?
La ré-utilisation d'un film dans un autre document est beaucoup moins discutable et la notion de re-documentarisation s'impose en effet dans ce cas.