Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

La composition de la baguette est rudimentaire, son goût est plutôt fade et, pour le relever, il est probable que vous ayez recours à quelques ajouts gustatifs : beurre, confiture, miel, sirop d’érable ou même fromage, jambon, salade etc. selon votre culture gastronomique. Mais la combinaison est très limitée et le résultat connu : vous n’irez pas au-delà d’une (ou plusieurs) tartine(s) ou un (ou plusieurs) sandwich(e)s.

Le journal, lui, se présente tout-à-fait différemment. Il est composé d’un grand nombre d’articles juxtaposés dans des rubriques. Les articles eux-mêmes contiennent des informations, réunies, combinées et transcrites par les journalistes. Les informations sont multiples et hétérogènes. Elles se combinent entre elles et produisent alors de nouvelles informations.

Un fait ou un thème particulier peut vous passionner, vous confrontrez alors les présentations et les points de vue. Vous pourrez même rompre l’unité du journal en découpant un ou plusieurs articles pour les réunir dans un dossier avec d’autres issus d’autres sources. Il se peut qu'un(e) bibliothécaire(e) ou un(e) documentaliste ait déjà réuni un tel dossier que vous pourrez alors consulter.

Découper la baguette ne vous donnera jamais plus que des tartines.

L'information est un bien d'une plasticité exceptionnelle. Une information peut éventuellement se découper en plusieurs, mais plusieurs peuvent aussi se combiner pour n'en faire qu'une. Une ou plusieurs informations peuvent accompagner un autre bien ou un autre service. Par ailleurs, une information se transfère sans grande difficulté d'un support à un autre. Peu d'objets peuvent à ce point de décliner, se remodeler, se découper, se fusionner sans, pour autant, changer de nature.

C’est un avantage pour ceux qui travaillent dans ce domaine : ils ont à leur disposition un matériau malléable. Mais il y a aussi une réelle difficulté à maîtriser une matière à ce point fluide. On peut repérer, du point de vue économique qui est le nôtre, deux défis :

  • L’unité, dans les deux sens du terme : le tout ou la plus petite partie. Comment donner de la cohérence, un sens, à un amalgame hétérogène ? Quelle est l’unité documentaire de base que l’on pourra articuler avec les autres pour bâtir le document ? Le journal a construit pour cela une hiérarchie stricte et des savoirs professionnels. L’article, « la brève » sont calibrés, comportent un titre, un chapô, sont inclus dans une rubrique. L’unité globale est donnée par l’objet, le journal papier, et sa structure, identiques chaque jour. C’est l’objet qui est vendu, garant de l’unité documentaire globale.
  • La dématérialisation. Le terme est ambigu car l’information se transmet toujours au travers d’un support. Néanmoins, l’évolution des techniques graphiques et d’impression a séparé progressivement la réalisation du prototype, le divisant même en parties indépendantes, de sa reproduction ou sa diffusion. Dès lors, le passage du prototype, ou d’un de ses éléments, d’un support à un autre est facilité. L’organisation de la chaîne de fabrication du journal en a été bouleversée. Le journaliste aujourd’hui dactylographie son article dans un fichier informatique et la combinaison des fichiers pilote directement l’impression. Ces mêmes éléments peuvent être déclinés pour différentes exploitations, y compris la diffusion des archives. Inversement, le lecteur lui-même pourra réutiliser et recombiner les unités documentaires en conformité ou non avec les règles de la propriété intellectuelle. Ainsi, l’unité documentaire, jusqu’ici protégée par l’objet, est fragilisée au point que la notion même de document peut-être remise en cause.