Marketers et communautés virtuelles
Par Jean-Michel Salaun le mardi 31 octobre 2006, 01:02 - Web 2.0 - Lien permanent
Le marketing s'intéresse de près au Web 2.0 et à la constitution des communautés virtuelles. La société Sopra Group a publié une étude à ce sujet sur son blog Advisium, intitulée «Tirer profit de la dynamique communautaire sur Internet» (il s'agit de l'ensemble des billets du 5-10-2006). En voici quelques extraits :
Le phénomène des communautés est durable car :
- La convergence des moyens d’accès à Internet rendra la participation à la vie de ces communautés encore plus simple, encore plus permanente ;
- L’arrivée à l’âge adulte d’une génération de jeunes pour lesquels l’usage d’Internet, du téléphone mobile et de toutes les fonctionnalités d’interactivité qui y sont liées relèvent de comportements totalement banalisés. Ces jeunes seront quasiment tous passés par un rite, celui du blog, qui a posteriori apparaîtra comme une caractéristique remarquable de leur entrée dans le monde adulte. Il est probable que leur participation à la vie de ces communautés sera l’un des constituants de leur personnalité d’adulte.
(..)
Pour faciliter l’analyse, on distinguera différents cas, identifiés selon deux dimensions majeures :
- L’une examine ce qui incite les individus à participer à ces communautés : des motivations liées à des problématiques que l’on répartira entre « survie » et « reconnaissance », ces termes méritant d’être spécifiés ultérieurement ;
- L’autre passe en revue la nature du lien qui sous-tend la mise en relation et l’interaction des individus entre eux : liens économiques ou sociaux.
(..)
Il y a en effet une différence fondamentale entre une action de marketing relationnel et l’animation d’une communauté en ligne : la première utilise la relation comme un moyen de toucher sa cible en collectant au passage toute l’information possible ; la seconde fait de la relation son objectif et de l’authenticité du lien son moyen, pour générer indirectement une meilleure connaissance des individus. Dans cette nouvelle donne, l’entreprise doit savoir perdre une partie du contrôle unilatéral de la relation qui l’unissait jusqu’à présent à son client, et doit au contraire s’attacher à respecter ses valeurs et les rites de la communautaires auxquels il adhère.
Toute action marketing qui voudrait faire de la relation un moyen – et non pas un objectif – entrainerait un rejet immédiat de la part des membres de la communauté.
Comme toujours dans le marketing, l'important est moins la justesse et la précision de l'analyse que la force de la prescription.
Repéré par : Les communautés virtuelles, nouvelles prescriptrices d'achats LEMONDE.FR | 30.10.06 Éric Nunès
Commentaires
Très intéressant! Merci pour l'info!
Et cela interroge aussi notre avenir. Comment se distinguer d'un marketing aussi subtil, sachant que les bibliothèques devrons peut-être miser sur les communautés virutelles pour valoriser leurs offres sur la toile dans l'avenir?
Aurons-nous les moyens de le faire? Si nous participons à des communautés existantes pour valoriser nos offres, nos objectifs de politique publiques seront-ils clairement différenciés par rapport aux enjeux commerciaux des communautés virtuelles gérées par des entreprises? Quelles seront les conséquences et les formes de notre participations à de telles communautés?
Juste des questions que je me pose.
Le marketing est un outil et non une fin. Il peut être utilisé aussi bien pour des institutions publiques que pour des entreprises commerciales, à condition de placer la mission aux postes de commandes.
La question est donc d'abord de définir, ou redéfinir si l'environnement change ou si les moyens ne sont pas à la hauteur des ambitions premières, la mission des bibliothèques et ensuite de repérer le meilleur positionnement. Une étude comme celle-là peut aider à avancer dans cette seconde étape. Mais il faut commencer par la première.
J'ai dû mal m'exprimer car il est clair que le marketing est un moyen et une non une fin en soi.
Ce que je voulais dire, c'est que "faire de la relation son objectif et de l’authenticité du lien son moyen, pour générer indirectement une meilleure connaissance des individus." Suppose que les entreprises qui mettent en oeuvre ces procédés marketing dépensent une énergie et des budgets énormes pour fédérer des utilisateurs autour d'un "univers" créé sur mesure pour utiliser le relationnel dans un but commercial. Il me semble que le but commercial n'est pas évident en tout cas pas placé comme tel dès le départ auprès des consommateurs.
Il est évident que nous ne pourrons pas suivre dans cette voie, alors même que ces types de procédés peuvent être utiles pour poursuivre nos missions de (pour faire vite mais les missions des bibliothèque on les connaît) "sensibilisation aux arts et contribution à la formation initiale et continue de la population à desservir".
Nous ne pourrons pas nous couper non plus de la génération suscitée de ce point de vue non?
(ce sont juste des questions; je ne cherche pas à vous contredire.)
À l'occasion, il serait bienvenu d'éclaircir la notion brumeuse de "communauté" -- la critique s'adresse aux sources.
Depuis le temps que je me creuse la tête, toujours pas pigé en quoi les N millions d'utilisateurs de MySpace, eBay, YouTube, Skyblog et j'en passe et des meilleures, constitueraient autant de "communautés"...
En français dans le texte, une 'communauté' implique une série de valeurs communes (lesquelles ?) ou l'existence d'un bien commun (lequel ?)
J'ai l'impression que derrière cette notion fumeuse employée n'importe où et n'importe comment, ce sont d'abord les marketteurs qui nous manipulent, en effet, avec la caution de tous les experts autoproclamés de la 'e-chose'.
@ Pierre,
Oui le mot "Communauté" est ambigu. C'était justement le sujet de deux billets récents de F Pisani (pisani.blog.lemonde.fr/20... et pisani.blog.lemonde.fr/20... ) dont j'extrais des commentaires deux citations éclairantes, qui montrent que les changements de culture et de vocabulaire ne sont pas anodins :
«“Community” aux USA veut dire autre chose que “Communauté”. Il a la même charge symbolique que le mot “Etat” pour un français. La “Community” c’est le centre de la vie sociale. Dans un pays sans centre ville, sans Etat, la “Community” c’est ce qui vous définit. Si on tonds sa pelouse aux USA, c’est pour continuer à être bien vu de sa “Community”. C’est essentiel.
Donc une Conversation de Community c’est comme une conversation de café ! Ca fait du bien, ca renforce le sentiment d’appartenance (et ca enrichit le cafetier)»
«Cependant je tiens a signaler au passage que quand on parle de YouTube community, on parle du “user community”, qui est un terme utilisé depuis longtemps en informatique pour désigner tous les utilisateurs d’un système. Pour faire plus short on laisse tomer le user. Cette « user community » n’a évidemment aucun rapport avec une communauté tel que nous la connaissons en français, mais s’apparente plus au terme usagers, tels les usagers du réseau des autoroutes. Ajouter à cela que les Anglo-Saxons ne s’intéressant guère à l’étymologie des mots et vous aurez compris que ce qui crée une confusion dans le monde francophone ne dérange personne du coté Anglo-Saxon.»
@Bibliossession
Oui, il y a bien ces dernières années une évolution sensible du marketing commercial vers des thématiques et des pratiques habituellement portées par les organismes publics, comme le don ou la "communauté".
Cela pose (ou devrait poser) à la fois des questions d'image et de positionnement de services à ces derniers. C'est bien d'ailleurs celles que vous abordez dans votre blog (bibliobsession.free.fr/do... ). Les réponses aux questions ne sont pas évidentes.
Merci Jean-Michel pour cet éclairage sur l'anglicisme mal interprété qui confirme bien que lsdites "communauté" mises à toutes les sauces sont bel et bien une affaire de discours marketing ('community users').
« Pour faire plus short on laisse tomber le user. »
... Je n'aurais pas su le dire aussi bien :-)
Si les usagers de l'autoroutes constituent une 'commuauté' aussi bien que les clients de l'hypermarché, ça permet de recentrer sensiblement la problématique dont il est question.
Définitivement, je ne pense bien que dans ma langue maternelle !
Pierre
Il n'y a pas de contradiction entre l'acception "users community" et "communauté". Les deux expressions ne sont pas si "faux amis" que ça. La communitas, c'est le partage d'une ressource le "munus". Roberto Esposito (2001) a montré - dans un tout autre contexte il est vrai- que ce "munus" relève de l'économie du don, un donum (don) qui crée un officium (devoir) particulier, le devoir donner. Dans la communauté, on ne peut pas ne pas donner. Même si le mot a glissé vers une acception positive ( un supra individu né de l'addition des sujets et d'une mise en commun), le sens de communitas n'a rien de bénin. Il est même, en tout cas dans la traque auquel se livre Esposito, lié au sacrificiel. "Communauté" convient alors très bien aux ensembles que nous considérons : il s'agit de créer des regroupements qui repose sur un devoir donner (du temps, du sens, de la donnée, du fragment, du document...), avec obligation de rendre (l'antonyme est l'immunitas, la qualité de ce qui se tiendrait en dehors de ces dons obligés). On a exactement la même ambiguïté avec coopération. Chez Marx la coopération n'est pas consentie. Dans la langue vernaculaire, la coopération est plutôt une vertu. La communauté, c'est une forme sociale artificielle médiée par des techniques et qui favorise une économie du don. Le mot communauté, qui semble hasardeux, est en fait très pertinent pour une économie de l' échange de biens symboliques (codes, données, contenus). La gêne qu'il cause s'explique très bien. le dispositif n'est pas transparent.
Merci pour la richesse des commentaires. Pour la suite du débat, voir le billet :
grds04.ebsi.umontreal.ca/...
@ Sophie,
J'ai du mal à saisir la consistance réelle du 'don' dont il serait question, dans le cas des usagers de Meetic, d'eBay, de YouTube ou des réseaux d'échange P2P, par exemple. Ces palteformes de télécommunications permettent de stocker, d'interconnecter et d'échanger diverses formes de données symboliques, c'est évident. Mais où est le 'don' ?
Tout le monde peut constater que la mot 'communauté' a une racine commune avec le mot 'commun', par exemple. Mais sans devoir forcément convoquer le latin pour faire sérieux, s'il s'agit de constater simplement que les usagers de ces plateformes partagent des intérêts 'communs', ne serait-il pas plus correct de parler simplement d'affinités plutôt qu'invoquer sans arrêt cette esbroufe marketing communautaire ?