Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

Vous ne pourrez longtemps vous passer de (petit) déjeuner, votre santé en dépend.

La lecture du journal, elle, reste facultative. Elle est sans doute souhaitable, mais pas indispensable. Sauf situation extrême, vous trouverez facilement ailleurs les renseignements minimaux nécessaires à la survie quotidienne. Votre "faim" de journal dépendra de votre position sociale, professionnelle, géographique, politique... et de votre histoire personnelle ou de votre humeur. La lecture du journal accapare un temps que vous préférez peut-être consacrer à autre chose, puisqu’elle n’est pas indispensable.

Contrairement au pain, qui fait partie des consommations primaires, de base, indispensables et limitées, l'information appartient à la catégorie des biens secondaires, dont les limites, tant en réduction qu'en croissance restent floues.

La baguette est destinée à votre estomac, tandis que le journal s’adresse à votre cerveau, deux organes aux fonctions bien différentes : l’un est plutôt passif, il digère, l’autre pilote notre comportement. Lorsque nous consommons un bien informationnel (nous lisons, nous écoutons, nous regardons, etc.), nous focalisons notre attention sur un message qui est lui-même une injonction ou une suggestion à agir. Une lecture modifie notre comportement. Néanmoins, les interprétations varient, chacun reste libre et personne ne peut être assuré que l’injonction sera suivie d’effet, même si le propagandiste l’espère et le tente par un monopole sur l'attention.

Il ne manque pas d'acteurs intéressés à ce que vous lisiez leur message : politiciens, responsables d'organisation, d'association, artistes, commerçants ont tous des idées qu'ils voudraient vous voir partager, des comportements qu'ils voudraient bien vous voir adopter. Mais bien souvent, vous serez moins réceptifs aux messages que l’on veut vous imposer qu’à ceux que vous cherchez.

Pire, cette fois comme pour la baguette de pain, l'excès conduit à l'indigestion qui se manifeste pour l'information par une perte d'attention. Trop d'informations saturent la perception. Vous n'arriverez plus à retenir les messages qui vous sont proposés à faire le tri entre l'accessoire et l'essentiel. La capacité humaine à assimiler et traiter l'information est limitée.

L’attention est un bien rare, fragile, mais de fort potentiel dès lors qu’il atteint les grands nombres. Les incertitudes sur les effets des messages sont alors réduites par la statistique : l'effet sur les lecteurs peut être aléatoire, il devient significatif si le nombre de lecteurs augmente. La possibilité de capter l’attention sur une grande échelle a donc une valeur économique qui peut se valoriser dans un journal par une baisse des coûts de fabrication (en facilitant le travail des journalistes) et par une vente d’espaces publicitaires, tout particulièrement à ceux qui souhaitent vous vendre leurs marchandises. Comme on a l’habitude de le dire, un journal est vendu deux fois : aux lecteurs et aux annonceurs.

Les boulangers ne bénéficient pas de telles facilités. Ils payent leur farine au coût du marché et il ne viendrait à l’idée de personne de les payer pour qu’ils distribuent leur pain à moindre coût.

En fait, exploiter au mieux la valeur et la fragilité de l’attention humaine est un équilibre délicat : il faut trouver le juste prix que le lecteur est prêt à dépenser (en argent et en énergie) pour accéder à l’information et le niveau de message publicitaire qu’il admettra pour que le lectorat soit au rendez-vous et le financement du journal assuré.

Parmi les défis à relever, soulignons en trois :

  • Pour capter et maintenir l’attention toutes une série de stratégies sont mises en place. Du côté de la distribution, il s’agit d’aller au plus près du quotidien des lecteurs en favorisant les routines temporelles (régularité) et spatiales (réseaux de distribution). Pour le contenu, il faut tenir en haleine le lecteur par un traitement de l’actualité qui fidélise le lecteur.
  • Pour ne pas dénaturer le média, il faut différencier clairement les espaces rédactionnels et publicitaires, tout en accordant suffisamment de place à l’un et l’autre..
  • Pour construire le marché amont, il faut se mettre d’accord sur une mesure de l’attention acceptable par les parties en place (supports, annonceurs, agences) qui raisonnent globalement, tous titres et supports confondus. Ces mesures gardent un caractère approximatif et artificiel et sont validées par un tiers.