Dérive des éditeurs scientifiques français
Par Jean-Michel Salaun le samedi 09 décembre 2006, 05:27 - Édition - Lien permanent
Nicolas Morin, bibliothécaire à l'Université d'Angers, constate l'offre et la stratégie catastrophiques des éditeurs scientifiques français en ligne.
Voici la conclusion de son billet :
Bref, les fournisseurs français de documentation électronique sont globalement les plus timorés dans leur offre (la quantité et la qualité des contenus proposés sont faibles), les moins professionnels dans leur démarche technique (les plateformes sont catastrophiques), les plus déraisonnables dans leur démarche commerciale. Un vrai bonheur, de travailler avec eux.
Comme me l’a dit une fois un éditeur américain qui cherchait des partenaires pour proposer des contenus francophones: “je les déteste” (en français dans le texte).
J'ajouterai ceci : les auteurs scientifiques français ont une lourde part de responsabilité dans cette situation en acceptant sans hésitation de publier dans de telles maisons. La grande majorité des auteurs scientifiques français que je connais ne se préoccupent que des titres qu'ils pourront ajouter dans leur bibliographie personnelle sans se soucier de la diffusion et donc de la lecture de leurs travaux, qui est alors quasi-nulle du fait des carences indiquées des éditeurs. Pire, nombre de seniors acceptent sans vergogne, ni réflexion sur la diffusion, des responsabilités de collection, se faisant les complices objectifs de ces dérives. Plus ils sont hauts dans la hiérarchie éditoriale, plus cette complicité est d'ailleurs rémunérée.
Nous sommes une poignée à dénoncer cette situation depuis longtemps.. en prêchant dans le désert. Les réponses que j'ai pu lire à nos interpellations sont affligeantes et montrent une totale absence de réflexion. L'argument principal est : « puisque les autres, et en particulier les seniors, le font, pourquoi ne le ferais-je pas ? »
C'est la version moderne de l'histoire des moutons de Panurge..
Ne serait-il pas temps de réagir ?
Commentaires
Sans oublier l'emballage graphique souvent années soixante et tristounet…
Dans mon billet je ne parlais pas de la responsabilité des auteurs, mais c'est un complément indispensable, qu'un universitaire est mieux placé qu'un bibliothécaire pour faire, d'ailleurs. J'étendrais pour ma part cette dénonciation de la "corruption" des auteurs aux monographies de type manuels, en particulier ceux qui sont destinés en France au CAPES et à l'agrégation. Le cas est particulièrement dramatique en Histoire. J'ai souvenir, du temps où je préparais l'agrégation d'Histoire, d'un Maître de Conférence nous tenant, lors de sa première séance, le discours suivant:
"je tiens ici (disait-il en portant un livre au-dessus de sa tête), un ouvrage important sur le sujet, très riche, définitif! Ne le lisez pas, vous perdriez, pour le concours, un temps précieux. J'ai là (dit-il en portant un autre livre au-dessus de sa tête), un livre qui mérite à peine ce nom, produit à la hâte pour ce concours, sans idées ni forme, un document indigne d'un universitaire. Apprenez-le par coeur!".
(J'ai abandonné la préparation quelques semaines plus tard).
Je ne suis pas une victime du système universitaire français mais j'identifie les mêmes dérives plus ou moins prononcées dans tout le système universitaire européen.
Le système en l'état apprend à passer des concours et non pas à construire de la connaissance (malgrès cela quelques facultés/laboratoires restent créateurs, aux prix de contorsions adminsitratives des plus sophistiquées).
Un autre constat, entendu de la bouche d'un recteur d'université en janvier 2006, est que l'on forme à l'université des chercheurs et des professeurs, alors que 60% des diplômés finiront comme enseignants du secondaire, sans aucune formation pédagogique (étonnez-vous après cela que nos têtes blondes écoutent leur professeurs).
Pour la question plus précise de la publication, cela fait belle lurette que les scientifiques francophones en sciences dures publient en anglais dans les revues anglo-saxonnes (Nature, Sciences ou autre Lancet). Le nombrilisme (voire le microscopisme) éditorial me paraît particulièrement prononcés dans les sciences humaines, et j'aurais tendance, ne faisant pas partie de l'establishement, à leur dire "vae victis".