Le livre, malade imaginaire ?
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 25 janvier 2007, 13:09 - Édition - Lien permanent
En tous cas, bien des médecins et des membres de la famille se penchent sur son cas en France.
Le Centre national du livre a lancé l'année dernière une réflexion baptisée Livre 2010 : Réflexion(s) sur l'avenir du livre (le "s" entre parenthèse est de mon fait car il est intermittent sur le site du CNL..). On trouvera ici les compte-rendus, à l'intérêt variable, de cinq des neufs table-rondes tenues à cet occasion. Le tout doit se conclure par un colloque national en février. Le CNL dispose d'un budget provenant notamment des redevances sur la reprographie et il s'interroge parfois sur son utilisation..
Et, sans doute parce qu'il doit penser qu'on n'y verra pas plus clair, le président de la commission des affaires culturelles du Sénat a décidé de se pencher sur l'avenir du livre :
La commission entendra tous les acteurs de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, critiques littéraires, libraires, bibliothécaires et responsables locaux) afin de prendre la mesure des problèmes de ce secteur compte tenu de l'évolution des pratiques de lecture et des mutations technologiques et économiques liées à l'internet et à la concurrence des nouveaux médias.
Ces travaux se dérouleront au cours du premier semestre 2007 et donneront lieu à la publication d'un rapport d'information. (repéré grâce à G. Auburtin, merci à lui)
On peut penser que le Sénat pourrait mieux dépenser l'argent public.
En réalité, même si le chiffre d'affaires de l'édition a baissé de 1% l'année dernière, si la vente de livres en ligne continue de croître (Voir article du Monde), si, pour la énième fois, la polémique fait rage sur les blogs et ailleurs, sur la place des auteurs et des libraires, la situation est, me semble-t-il, plutôt bonne financièrement pour bon nombre d'acteurs, pas tous sans doute mais c'est le lot des affaires.
Et le plus frappant n'est pas la menace qui pèserait sur le livre, mais au contraire l'impressionnante longévité, fonctionnelle et culturelle, de ce média qui tranche avec ses cousins du son et de l'image.
Commentaires
C'est un peu compréhensible quand-même... Certains acteurs de la filière et les pouvoirs publics, échaudés par les transformations dans l'industrie musicale, sont anxieux et veulent améliorer leur visibilité sur les perspectives du numérique dans ce secteur.
Le paradoxe, c'est qu'au même moment, au Midem, les professionnels du disque semblent réaliser enfin que finalement, le CD ne disparaitra sand doute pas de si tôt... En dépit des prévisions nostradamusienne d'un Jacques Attali, pronostiquant la gratuité totale de la musique à terme, les enquêtes de comportement semblent accorder encore une solide valeur aux supports enregistrés.
Dans le secteur de l'édition, il est frappant de constater que les éditeurs les plus engagés et les plus audacieux avec le numérique (tel M. Valensi pour les Éd. de l'Éclat ou d'autres) sont aussi les plus clairvoyants sur la valeur réelle et indépassable du support imprimé. C'est plutôt rassurant.
Concernant les chiffres, il y a une info que je recherche depuis qq années : quand le secteur de l'encyclopédie (par exemple) ripe du papier vers cédérom, le chiffre d'affaire correspondant reste-t-il comptabilisé dans le CA de l'édition ?
Pierre,
Tout n'a-t-il pas déjà été dit et écrit et réécrit sur cette question ? La "crise" du livre (augmentation des titres, baisse des tirages, difficultés des librairies) ne date pas d'hier. On en parlait déjà quand j'étais étudiant ! Il s'agit d'une tendance de longue durée, liée à la fois à la baisse des coûts de fabrication et aux transformations des pratiques. De même, le double mouvement de concentration et d'éclatement des ventes n'est nouveau que parce que C. Anderson l'a baptisé "longue traîne" (déjà Diderot y faisait allusion dans sa lettre sur le commerce des livres, cf. p.41 www.freescape.eu.org/bibl... ). Le Web est un épisode de plus, une sorte d'aboutissement qui creuse encore un peu plus la tendance.
La comparaison avec le monde de l'industrie musicale n'a pas grand sens. La structure des firmes, des marchés, les marchandises échangées et les pratiques ne sont pas comparables.
Mon sentiment, pour avoir moi aussi donné dans les tables rondes, débats et rapports avec et sur les éditeurs en France, est que les chiffres d'affaires et les bénéfices sont en général plutôt confortables même s'ils sont très rarement cités et que l'objectif est de protéger le plus longtemps possible ce statu-quo en utilisant notamment un lobbiing particulièrement efficace auprès des cabinets ministériels, de la culture comme de l'éducation, qui a permis de plus l'ouverture de rentes diverses (droits de copies, de photocopies etc.) qui n'ont plus de rapport avec le métier d'éditeur et les risques qu'il suppose. La France est un pays d'intellectuel où il est de bon ton d'avoir écrit un livre pour un homme de pouvoir. Cela créé des liens et favorise les décisions intéressées. D'où ce billet d'humeur qui mériterait sans doute plus de nuance.
Le fait majeur est bien que le livre reste le livre, malgré sa mort régulièrement annoncée.
Pour ta dernière question, je pense que la réponse est oui, car le CA de l'édition est celui des entreprises répertoriées sous la rubrique en question. Mais renseigne-toi auprès de l'INSEE.
Bien d'accord avec tout ça Jean-Michel.
Il y a pourtant quelques nouveautés récentes qui réactualisent ces questions fort anciennes. En vrac :
- au délà de l'esbroufe du prétendu 'papier' électronique, les technologies d'affichage bistable (c'est à dire l' 'encre' électronique) sont au point. Elles pourraient reposer à nouveau la question des supports nomades spécialement dédiés à la lecture (en opposition au 'couteau suisse') car elles reconfigurent profondément l'ergonomie du matériel (équation poids / autonomie). Reste à savoir si, du point de vue de l'usager, les contenus éditoriaux traditionnels sont vraiment l'application rêvée pour ce genre de supports... ou à déterminer, le cas échéant, quels sont les segments particuliers de l'offre éditoriale qui pourraient valablement se laisser tenter par l'expérience de lecture numérique.
- la filière de l'édition semble comprendre, enfin (et bientôt 10 ans après qu'Amazon ait ouvert la voie...) que le Web est une alternative crédible pour exposer les livres, face aux contraintes grandissantes qui pèsent sur la distribution : les libraires pris en tenaille entre l'explosion des titres et l'inflation du prix du m2 en centre ville, la concentration et les pratiques ahurissantes de la diffusion et du 'star sytème', etc.
- évidemment, les projets novateurs comme Google Print ou la fonction 'Chercher au coeur' d'Amazon, ou bien encore l'annonce d'une véritable BIBLIOTHÈQUE numérique à l'échelle européenne, finissent par botter le cul - enfin ! - des acteurs de la filière.
- ce à quoi j'ajoute, mais c'est une marrotte perso :-) la question des indisponibles protégés ('zone grise' du rapport Stasse) qui eux, n'ont été considérés ni par Diderot dans sa Lettre sur le commerce de la librairie, ni par C. Anderson dans sa resucée baptisée 'Long Tail' dont la blogosphère nous assomme depuis des mois... Ces titres représentent pourtant une bonne partie des oeuvres protégées, une grande majorité peut-être mais cette info semble relever du secret industriel.
Voilà quelques faits nouveaux, assez récents, qui méritent peut-être ré-examen. Mais les initiatives concrètes des acteurs de la filière seront sans doute mieux à même de dessiner le 'Livre 2010' et je n'enlèverai pas un mot du constat un peu désabusé que tu fais, sur les relations entre les lobbiistes de la filière (investis par qui ?) et les pouvoirs publics.
On n'en a pas encore fini de cet État jacobin ! et je pourrais en témoigner aussi sur d'autres sujets...