Libre accès : mesures canadiennes et modèle hollandais
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 13 avril 2007, 02:08 - Édition - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Marie D. Martel et Lucie Geoffroy, étudiantes de l'École de bibliothéconomie et des sciences de l'information dans le cadre du cours sur l'économie du document.
Nous avons pris connaissance récemment du billet « SSHRC funding program will help OA journals » sur le blog de Peter Suber. En tant qu’organisme subventionnaire de la recherche, il était nécessaire que le CRSH prenne position face à l’OA. En 2004, le CRSH avait déjà adopté le principe de l’accès libre à l’information et s’interrogeait alors sur la manière d’intégrer ce principe au sein de ses programmes de recherches subventionnées. La création récente du fond « Aide aux revues de recherche à libre accès » indique que le CRSH prend actuellement le parti d’encourager le développement des périodiques en accès libre. De cette manière, le CRSH reconnaît l’importance des périodiques comme outil de diffusion de la recherche. La bourse est d’une durée d’un an ; elle n’est pas automatiquement renouvelable, et le maximum du montant allouable est de 25.000$. Une liste de conditions d'admissibilité est disponible sur leur site.
Les buts du programme sont :
- Aider les périodiques en accès libre en sciences sociales et humaines
- Augmenter le nombre de lecteurs de ces titres
- Tester de nouveaux modes de financement pour les périodiques afin d’établir un nouveau programme en 2008/2009.
Les dépenses suivantes, liées à l’édition de ces revues, sont éligibles au programme :
- Gestion du système de révision par les pairs ;
- Edition ;
- Achat de logiciel ;
- Préparation (traduction etc) ;
- Pré-copie (gestion des images etc) ;
- Assistance technique ;
- Marketing et promotion ;
- Fournisseur de service pour ressources électroniques.
Certes, si l’on privilégie la solution de la reconnaissance des publications scientifiques comme bien public, il y a tout lieu de se réjouir d’une telle initiative. Néanmoins, il est tentant mettre en parallèle cette proposition du CRSH et les mesures annoncées en février dernier par la Commission Européenne (CE) pour supporter l’accès libre.
On se souviendra que le CE avait alors choisi d’appuyer la voie des OAJ (revues) et non pas celle consistant à introduire un mandat obligeant les recherches à être déposées dans des dépôts d’archives de manière à être accessibles gratuitement. Il est entendu que ces deux voies (la voie d’or –OAJ et la voie verte – avec le mandat) ne sont pas mutuellement exclusives. Mais le fait est que la CE a opté pour la première seulement, celle des OAJ, malgré une étude préalable que la Commission avait, elle-même, appointée et qui appuyait la voie du mandat. On a suggéré que le lobbying ($$$!) des éditeurs commerciaux avait probablement connu du succès auprès de la Commission (voir Open and Shut de Richard Poynder). Puisque le monde de l’édition est principalement situé en Europe, il ne fallait pas s’étonner que la Commission Européenne ait prêté une oreille attentive à la propagande des éditeurs dépeignant la déroute de cette industrie européenne et des milliers de travailleurs européens qu’elle emploie sans compter l’implosion de la recherche, etc. Si on revient au CRSH, on observe qu’un rapport présenté au mois d’août 2006 (Chan, Groen et Guédon, 2006) préconisait une série de mesures appuyant la voie verte incluant l’introduction d’un mandat pour les revues subventionnées par le CRSH :
- 7. Regarding journals: SSHRC should mandate that all SSHRC-supported journals be made “green”
- 8. Regarding authors: SSHRC should strongly request all scholars whose research has been funded by SSHRC to self-archive their papers in suitable institutional repositories;
- 9. Regarding Institutional repositories: SSHRC should collaborate with CARL (and other suitable associations) to promote the development of IR's, ensure their interoperability, and improve their role to preserve the Canadian scholarly heritage. SSHRC should also consider working with AUCC as well as the Canadian Federation for the Humanities and the Social Sciences to support selfarchiving at the institutional level.
Un autre rapport, publié sous l’égide de la Fédération canadienne des sciences humaines, paru début 2007, arrive à des conclusions qui vont dans le même sens.
Or, comme la CE, le CRSH n’a pas donné suite (ou pas encore donné suite ?) à ces recommandations privilégiant des mesures vertes et il s’est rangé exclusivement du côté de la voie d’or. Dans le cas du CRSH cependant, il semble assez improbable que le lobbying et l’émoi des éditeurs européens aient pu avoir ici un impact et des conséquences comparables. Alors que se passe-t-il au CRSH ? Pourquoi limite-t-on actuellement l’intégration du principe de l’accès libre au financement des périodiques ?
Une hypothèse ? Les dépôts d’archives sont dans une situation encore chaotique. Dans le milieu académique, ils sont encore peu nombreux (outre M. Harnad et M. Guédon) à savoir ce qu’est un dépôt d’archive, ce qu’on fait avec et pourquoi. C’est vrai de la majorité des chercheurs et des bibliothécaires, c’est peut-être vrai aussi d’un organisme subventionnaire. Est-ce que pour le CRSH, la voie verte ne serait-elle pas encore… trop verte ?
Une autre hypothèse ? Le mandat inquiète et laisse présager une sombre bureaucratie à gérer car qui dit obligation dit contrôle et sanction. A priori, ce sont des modalités dont les représentations cadrent mal avec la liberté académique et intellectuelle. Ensuite, ce sont des coûts !
Dans une entrevue récente menée par Richard Poynder, Leo Waaijers faisait état de la manière dont l’auto-archivage connaissait, sans mandat, un succès important en Hollande (30%). Les ingrédients de cette réussite : le contexte centralisé de cette contrée, un réseau de dépôts institutionnels (Darenet, Surfshare, Cream of Science, Promise of Science), une sensibilisation des chercheurs au fait de contribuer au rayonnement national et la perspective d’assurer la pérennité ultime de leurs productions en les archivant dans un e-depot national. Certains diront que ce 30 % n’est pas une si grande affaire. Mais, une étude menée dans 6 universités québécoises (Vézina, 2006) indique que 12% des répondants ont pratiqué l’auto-archivage et 2% seulement l’ont fait dans des archives ouvertes (0,5%) ou dans un dépôt institutionnel (1,5%)… Avec seulement 1.5% des recherches québécoises versées dans des dépôts, il y a peut-être quelque chose à retenir de l’expérience hollandaise !
En somme on peut se demander si, alors qu’aux Etats-Unis -dont le contexte est trop décentralisé- l’implantation d’une telle stratégie ne serait pas concevable, le Canada et le CRSH ne pourraient pas s’inspirer du modèle hollandais et aller de l’avant avec des mesures qui soient moins timides.
Commentaires
Excellente analyse. Bravo ! Incidemment, la Faculté de Droit de l'Université d'Ottawa vient de tenir une journée d'étude sur la possibilité de voir toute la Faculté devenir une Faculté en "accès libre" et ce que cela signifierait. Une idée que je pourrais suggérer, c'est que l'EBSI contacte cette Faculté (je peux aider la chose, si nécessaire) de façon à échanger les points de vue et à coordonner les actions.
Sur la question d'un réseau d'archives au Canada, je soutiens à fond cette idée. Je connais bien Leo Waaijers et il peut constituer une source d'exprérience précieuse. Je sais aussi que l'ACBR veut s'impliquer dans ce type de mouvement.
Sur la question du CRSH, il faut continuer de presser, de pousser et de faire évoluer dans la bonne direction. L'EBSI peut jouer un rôle important là-dedans, ainsi que toutes les écoles de sciences de l'information au Canada. Il va y avoir une réunion de ces écoles en mai, je crois. Ce serait le moment de proposer ce type d'initiative. Dans mon rôle de V-P (dissémination de la recherche) de la Fédération canadienne des sciences humaines, je fais tout mon possible pour faire de la Fédération le bon levier pour faire progresser la cause de l'accès libre au CRSH. La principale source de résistance se situe au niveau de certaines presses universitaires. CALJ-ACRS ne joue pas toujours un rôle progressif non plus. Synergies peut devenir un acteur puissant dans ce domaine. Le président est notre collègue, Michael Eberle-Sinatra d'Études anglaises.
La question de la bureaucratisation accrue liée aux mandats me paraît à la fois prématurée et exagérée. Un organisme de recherche n'a pas de gros efforts à faire pour récupérer les articles, chapitres, etc. qui sortent d'un projet de recherche, surtout si l'on décide que seuls les textes récupérés seront utilisés pour les évaluations des demandes de subventions ultérieures. Pour une université, qui récupère les cv des professeurs chaque année, tenir à jour la collection des textes publiés ne paraît pas très difficile non plus. Il suffit de demander un exemplaire de chaque texte mentionné dans la biblio annuelle et de faire numériser (si nécessaire) ce texte par la bibliothèque ou tout service adéquat. Cela demande la mise en place de quelques procédures supplémentaires, certes, mais ce n'est pas la mer à boire.
Mais je reviens sur mon commentaire initial : Bravo !
L'existence de compagnies distributrices de périodiques en ligne, dont les tendances monopolistes et les tarifs quasi-mafieux continuent d'opprimer de façon substantielle les budgets des bibliothèques universitaires, m'est toujours apparu comme une démonstration que les institutions d'enseignement supérieurs ne 'faisaient pas bien leurs devoirs' en ce qui a trait à la dissémination des résultats des recherches de leurs propres étudiants, chercheurs et professeurs.
Plusieurs options de diffusion en ligne à accès libre pourraient voir le jour. Un regroupement d'universités pan-canadien pour offrir des publications regroupant les recherches par domaine, par exemple. Le succès d'une telle entreprise serait certainement de nature à intéresser éventuellement les universités américaines, dont les bibliothèques souffrent des mêmes oppressions commerciales que les nôtres.
Dans un deuxième temps, les entreprises et les institutions non-universitaires effectuant des recherches et produisant des rapports pourraient être approchées pour inclure leurs résultats à de telles publications à accès libre.
De plus, il conviendrait peut-être d'examiner de près le fonctionnement des compagnies distributrices de périodiques en ligne afin, possiblement, d'en découvrir ou d'en déduire des idées pratiques applicables à des publications à accès libre. Car il faut convenir que ces compagnies, disposant vraisemblablement de fonds de fonctionnement hors du commun, effectuent en définitive un travail passablement efficace.
Il revient aux universités de gérer également les résultats des recherches effectuées dans leur institution. Sinon, des intérêts autres que scientifiques continueront d'en effectuer l'exploitation à leur place.