Et si T. Berners-Lee avait été Chinois..
Par Jean-Michel Salaun le dimanche 23 septembre 2007, 05:03 - Sémio - Lien permanent
.. la face du Web aurait peut-être été changée ? En tous cas, la structure du Web sémantique, si l'on suit le raisonnement de L. Floridi (Billet, repéré par M. Lessard, merci à lui).
Extrait du billet (trad JMS) :
Il y a uns grande différence entre une langue indo-européenne (comme l'anglais) et le chinois. : la première est une langue qui privilégie plus le sujet, la seconde fait partie de celles qui mettent plutôt en avant le thème. (note)
En simplifiant beaucoup, dans un cas (sujet privilégié) on préfèrera les phrases comme « Marie aime la pizza » avec un sujet, un prédicat et un objet ; dans l'autre (thème privilégié), on préfèrera des phrases comme « pour se nourrir, Marie préfère la pizza », avec un thème et un commentaire approprié.
Cela ne vous rappelle rien ? Permettez-moi une autre simplification : les langues indo-européennes pensent comme le Web sémantique, le chinois comme le Web 2.0.
Dans un cas, le point essentiel est d'avoir une URI et une relation à trois pôles du type « X est Y », comme la bonne vieille philosophie grecque. C'est le fondement de toute ontologie.
Dans l'autre, vous définissez un thème et vous le taggez.
Je ne suis pas expert, mais j'aimerais bien avoir l'avis des amis du Rtp-Doc sur cette question (et je vais de ce doigt leur poser la question sur la liste). Si l'on pousse le raisonnement, on pourrait en conclure, en effet, que le Web sémantique est bridé par une structure trop marqué par son origine langagière. Ce serait une victime de ce que les historiens des techniques appellent à la suite de J. Perriault « l'effet diligence » (Wkp), la technicité du Web sémantique reprenant mécaniquement celle des langues indo-européennes. À vrai dire, la critique du WS développée dans le second texte de Roger, sans reprendre précisément cet argumentaire, ne me paraît pas si éloignée.
Actu du 28 sept 2007
On peut toujours compter sur ses amis.. voir les commentaires. J'ai intégré ci-dessous la contribution importante de Monique Slodzian, linguiste renommée, responsable du Centre de recherche en ingéniérie multilingue (prés) qu'elle m'a autorisé à reproduire ci-dessous :
Les langues pensent comme ceci ou comme cela….Voilà bien une thèse jugée problématique depuis près de deux siècles. On rappellera quelques faits.
D’abord, cette manière de concevoir les langues dans leurs rapports supposés à la connaissance relève d’un logicisme orthodoxe qu’on pourrait croire dépassé et qui postule :
- La possibilité de discerner la signification d’une phrase directement et immédiatement en la réduisant à des éléments logiques;
- L’existence d’un langage formel permettant de comparer et de paramétrer la valeur gnoséologique des langues en soi.
Il s’agit d’une philosophie linguistique, qui ne tient aucun compte de l’interlocution et, plus généralement, du fait que le sens se construit dans des productions discursives écrites ou orales convoquant toutes les dimensions du langage (morphologie, syntaxe, lexique, prosodie…). Déclarer que le chinois met davantage en valeur le thème que le sujet procède d’une vision réductrice de la langue et croire qu’il y aurait un mode de pensée chinois qui déterminerait des catégories conceptuelles susceptibles de modeler le Web sémantique est simplement naïf.
En effet, le raisonnement de L. Floridi incorpore tacitement des arguments inspirés d’une vision romantique du « génie de la langue », tirés superficiellement des travaux de Humboldt (thèse sur l’influence des formes grammaticales sur le développement des idées). Le programme de Humboldt sur l’étude comparée des langues (1820) entend bien fonder les principes de la classification des langues. Cependant, une controverse fameuse avec le sinologue Rémusat, conduit Humboldt à réviser sa position sur la supériorité cognitive des langues flexionnelles (notamment indo-européennes) par rapport aux langues dépourvues de formes grammaticales comme le chinois (la seule position des mots y marque les fonctions grammaticales). L’argument imparable du sinologue est que le supposé handicap de l’absence de formes grammaticales n’a pas empêché le chinois d’offrir l’une des plus puissantes littératures du monde. Se rendant à l’évidence, Humboldt en conclut que le contexte et les relations entre les mots jouent un rôle déterminant. S’il continue d’opposer le sanskrit et les langues flexionnelles au chinois, le cas du chinois le conduira à théoriser le rôle de l’interprétation et non à postuler des propriétés intrinsèques à telle ou telle famille de langue. Humboldt se garde bien de réifier en catégories absolues les spécificités morphosyntaxiques de la langue. La perspicacité de Humboldt paraît d’autant plus remarquable si l’on songe au mythe encore répandu du chinois comme langue idéale en raison de la supposée référentialité des idéogrammes et de la simplicité de sa grammaire.
Comme linguiste, il ne lui échappait pas qu’il fallait bien distinguer entre écriture, langue et parole. La leçon vaut toujours : si les caractères chinois sont des graphèmes constitués historiquement comme des signes moins arbitraires que les écritures alphabétiques, dans la production de la parole, ils jouent un rôle similaire aux signes de toute langue, qui imposent un lien indissoluble entre son et sens. De sorte que polysémie et homophonie y sont aussi inhérents qu’aux autres types de langues.
En l’occurrence, la dichotomie sujet/thème a été largement étudiée par la linguistique de l’énonciation dont elle relève et qui concerne toutes les langues, y compris indo-européeennes. Le « schéma actanciel » de Tesnière constitue, par exemple, une théorisation possible du rapport sujet/thème à partir de la position des actants dans les langues flexionnelles et sans cas. La syntaxe structurale considère que donner une information sur un événement à l’aide d’actants (sujet, objet, temps, lieu…) implique une activité conceptuelle, avec des idées de procès, de participants actif et non-actif du procès, de circonstance de l’action, etc., qui valent pour toutes les langues, mais qui, en eux-mêmes, n’autorisent pas à tirer des conclusions sur « la » sémantique d’une langue particulière.
Le raisonnement de L. Floridi paraît donc à la fois réducteur et anachronique. S’il n’y a pas de lien mécanique entre formes linguistiques et mode de pensée, pourquoi faudrait-il fonder dans cette dualité une quelconque logique du Web?
Sans doute, ces remarques sont importantes et relativisent le propos initial. Mais, ne peut-on penser que les promoteurs du WS ont simplement raisonné par analogie ? Cela ne présuppose pas un point de vue juste sur la réalité de la langue, mais simplement une reproduction mécanique de sa structure apparente.
Commentaires
e pense bien sûr que c'est un des handicaps du web sémantique et c'est sans doute aussi une des raisons du projet de Pierre Lévy.
Je songe surtout que les modes de communication du style twitter vont de plus en plus privilégier les images ou les signes à la place des phrases lapidaires utilisées actuellement. La sémantique de l'identité semble se développer également avec les avatars comme symbole de l'identité numérique.
Pour la partie purement sémantique, les microformats constituent probablement une piste moins complexe et moins ambitieuse que le web sémantique mais peut-être plus efficace.
Comment traduit-on 'Web sémantique' en chinois ?-)
Si un spécialiste passe dans les parages*, je serais intéressé d'en savoir un peu plus sur une question plus triviale et pratique : comment les moteurs indexent-ils les écritures non alphabétiques ? Pour le chinois par exemple, les 'mots' sont-ils décomposés jusqu'aux clés qui les composent ? Et dans ce cas, les dérivations de sens seraient-elles (c'est mon hypothèse) mieux accessibles par l'indexation des clés ? Merci aux bonnes volontés qui pourraient éclairer ma lanterne en passant, saisissant la perche tendue par Jean-Michel.
* les parages du document : en chinois, me semble-t-il, le 'document' est l'association de deux clés, l'une désigne l'origine et la provenance (ce qui vient de...) et l'autre désigne les 'confins', ce qui se trouve au delà des limites d'un territoire. Je ne sais pas s'il s'agit de sémantique, mais c'est une vision très poétique du document, je trouve.
Si un sinologue passe par là aussi ...
;-)
En ce qui concerne la "structure apparente":
La sémantique à l'oeuvre dans le WS n'est pas à proprement parler linguistique, au sens où on évoque une sémantique lexicale, textuelle, etc. Même si les structures de la prédication, que l'on trouve peu ou prou dans dans toutes les langues humaines, ont inspiré son expression, la logique des prédicats, qui est la fondation conceptuelle de la calculabilité du WS, est loin d'être un exemple de langue naturelle...
Nous savons maintenant grâce à Monique que la dichotomie sujet/thème n'est pas triviale et qu'il n'y a pas de lien direct entre forme de langage et forme de pensée.
Tarski ou Hutch ;-) (je préfèrerais, pour ma part, que l'on laisse les masques de carnaval au vestiaire sur ce blogue..) rappelle que la sémantique du WS n'est pas précisément linguistique.
Tout cela réduit la proposition de L. Floridi à une caricature. Néanmoins, le candide que je suis n'est pas encore convaincu qu'un effet diligence des langues indo-européennes ne soit pas à l'œuvre dans le WS. En effet :
D'une part, pour qui connait un peu la Chine, il paraît clair que les modes de raisonnement y sont souvent différents de ceux du monde occidental et que l'écriture joue un grand rôle dans son unité. Je serais très curieux de savoir comment les tags agissent avec des sinogrammes. Peut-on observer des différences avec ce que l'on trouve dans les pays occidentaux du côté Web 2.0 ?
D'autre part, les développeurs du WS ne parlent pas qu'aux machines. Ils doivent aussi se comprendre et la sémantique utilisée, de ce fait, utilise une forme frustre de langage. Sauf erreur de ma part, les développeurs chinois utilisent, eux aussi l'anglais. Pour autant, c'est bien Baidu et non Google qui y domine comme moteur et ses responsables attribuent cette réussite à leur meilleure connaissance de la langue chinoise. Voir :
blogues.ebsi.umontreal.ca...
Trad JMS :
« Nous pensons qu'il y a au moins 38 façons de dire «je» en chinois. Il est important que nous maîtrisions toutes les façons dont quelqu'un s'adresse en chinois, car nos utilisateurs dépendent de nous pour chacune de leurs requêtes quotidiennes. Et, croyez-nous, classer les requêtes (pin pointing queries ?) en chinois est un art plus qu'une science.»
Un passé de linguiste ayant fouillé du côté de la logique (des logiques, en fait) et de la comparaison entre les structures de langues me fait me ranger sans hésitation du côté de Monique Slodzian.
Les travaux de François Jullien pourraient apporter des informations : philosophe helléniste et sinisant, enseignant à Paris 7, il s'est fait une spécialité de l'éclairage réciproque entre ces deux mondes et conclut à une profonde altérité de la pensée chinoise (ou vice-versa). Sauf erreur ou omission de ma part, il ne s'appuie pas sur ce genre de théorie de la grammaire, pas plus que Jean-François Billeter, qui conteste ses analyses. (Références faciles à trouver sur Google, et bibliographie dans un article de Wikipedia).
Il me paraît plus efficace, si l'on veut comparer les approches "web sémantique" et "tagging", de procéder d'abord avec les outils des mathématiciens et logiciens pour comparer les systèmes formels sans invoquer les théories grammaticales construites à propos des langues naturelles.
Bonjour,
permettez-moi de m'immiscer (peut-être temporairement ?) dans cette discussion. Mon véritable nom est Nicolas Montessuit, mais je signe Escape car c'est mon identité télématique, que j'utilise d'habitude en ces circonstances pour me distancer de mon activité sociale.
Juste histoire de préciser, et avant d'en venir au fait, voici mon domaine de compétences : j'ai fait les classes préparatoires puis ai été reçu admissible à l'ENS Ulm, je me suis redirigé vers la Linguistique dans l'espoir de résoudre par le biais d'une langue pivot ce qui me semblait le problème central des Sciences Cognitives (la « constituance », ou : comment une grosse unité tire son sens de l'agrégation d'unités plus petites). J'ai fini par entamer un DEA au LIMSI/CNRS mais j'ai abandonné ce cursus entretemps pour me tourner vers des perspectives qui me semblaient plus prometteuses.
Voici maintenant ma contribution :
- je pense que Monique Slodzian se trompe, et ma pratique de langues fort diverses, au moins en amateur éclairé pour quelques unes, m'incite à penser que « le génie de la langue » existe bel et bien; que ce soit une notion romantique ne l'invalide pas en tant que telle, mais incite juste à l'affiner pour en faire quelque chose de plus conforme aux canons de scientificité de notre époque.
- je pourrais citer de nombreux cas où une « effet dilligence » se manifeste, dans le Web Sémantique ou dans les Ontologies Formelles, ou même le Web 2.0. C'est quelque chose de tout à fait sensible pour qui a l'oreille à cela. Et même de tout à fait dommageable.
À titre d'exemple, je ne citerai qu'un seul phénomène : il existe quelque chose en chinois que je suis conduit (fort personnellement) à appeler des fractions de prédicats. Il s'agit de lexèmes qui peuvent signifier soit un verbe, soit une préposition. Par exemple, "yong4" peut vouloir dire "utiliser" ou bien la préposition "en"; "gei3" peut vouloir dire "donner" ou bien "à l'adresse de".
Maintenant, cette caractéristique linguistique autorise l'existence de phrases où deux demi-prédicats se combinent pour former un prédicat entier - mais où la lecture totale devient de ce fait ambigu. Exemple :
"zhe4 wo3 yong4 pin1yin1 gei3 xue2sheng1"
"(démonstratif) (je) (utiliser/en) (pinyin) (donner/à l'adresse de) (étudiants)"
qui peut donc être traduit soit :
"pour ceci, je m'adresse en pinyin aux étudiants"
soit :
"quant à ceci, j'utilise le pinyin pour les étudiants"
Le point important est qu'il ne s'agit pas, pensé-je, d'une ambiguïté structurale, mais d'une structure unique à part entière : un prédicat = somme de deux demi-prédicats.
Or, une telle structure ne peut qu'échapper à ceux qui implantent un web sémantique en s'inspirant d'une langue telle que le français. C'est une des raisons pour lesquelles je dis que cet effet « Tim Berners-Lee chinois » est tout à fait réel, et que le come-back de Sapir et Whorf sous-jacent n'est en rien naïf ou anachronique.
--esc
Voici la réaction de M. Slodzian à ma remarque :
En effet, les spéculations sur le chinois et l’indo-européen à partir d’un seul fait linguistique (Sujet vs Thème), abusivement interprété (comme si l’un ou l’autre étaient encapsulés dans le cerveau des locuteurs), fondent une chaîne d’analogies au service de la promotion du W 2.0. On peut voir dans l’importance de l’enjeu la raison d’être d’une argumentation aussi échevelée qu’imprudente : sans revenir sur les considérations sur le sujet/thème, ajoutons l’aspect hypothétique de la notion de « langue indo-européenne » (dont l’anglais n’est assurément pas le parangon puisqu’il a perdu ses flexions et que par sa tendance au raccourcissement, il se rapprocherait du chinois qui, lui-même, a été une langue flexionnelle dans un état antérieur).
En avançant que le chinois met en avant le thème, à l’inverse de l’indo-européen qui privilégierait le sujet, l’auteur entend-il montrer que la philosophie du W 2.0, celle de l’ « ingénierie agile », a dépassé les limitations du W3C ? A le suivre, le W3C imaginé par Tim Berners Lee suivrait une logique aristotélicienne centrée sur le prédicat qui conduit à une vision autoritaire et centralisée de l’information (l’information serait dépendante de son producteur, en quelque sorte). Les ontologies et les langages normalisés qui lui sont inhérents bloqueraient le pluriel des points de vue multiples. Le changement de cap introduit par le W 2.0 vise à créer des interfaces faiblement standardisées, à privilégier les folksonomies et, à promouvoir le « web social », fondamentalement pluriel. On pourrait en déduire aussi que, moins européocentrique, le W 2.0 serait par définition ouvert aux autres cultures. On ne peut qu’applaudir à tant d’idéaux : intelligence collective, démocratie participative, égalité des cultures…
Pourtant quelques voix (celle de Tristan Nitot, le directeur de Mozilla Europe, entre autres) pointent une autre réalité : et si le W 2.0 n’était qu’une tentative plus ou moins consciente de promouvoir les technologies propriétaires, privatisant l’espace du Web, sous prétexte de Web social et de partage démocratique de l’information ? En toile de fond semble s’esquisser une controverse qui a à voir avec le débat éthique (et idéologique) sur unité-universalité d’une part et multiplicité-particularité de l’autre.
On retiendra ici que pour assurer le marketing d’une innovation, nombre de chantres du Web sémantique instrumentalisent les langues et les cultures sans y regarder de très près. Et qu’ils évitent de faire une critique sérieuse de l’innovation précédente (en l’occurrence, le W3C), sous prétexte d’invention d’un produit « radicalement nouveau » ; or une réflexion plus sérieuse sur les limites des ontologies pourrait peut-être éviter des déconvenues prévisibles sur les folksonomies, par exemple. Comment ne pas voir qu’ontologies et folksonomies procèdent d’une même logique du sens ? Elles divergent certes sur la source de l’autorité normative puisque, avec le Web social, la norme est censée se créer dynamiquement à l’intérieur d’une communauté, mais il s’agit toujours de procéder par mots clés (concepts), à l’exclusion de toute approche alternative de caractérisation des textes produits par lesdites communautés.
Il serait assurément plus productif de voir le W 2.0 dans la continuité de W3C et le futur internet 3.0 dans celle du W 2.0.
Une plus grande modestie théorique et moins de bonne conscience permettraient d’ouvrir le débat sur le dépassement du Web-annuaire reposant sur l’ontologisation des connaissances. Car à force de lui faire chevaucher les hauteurs béantes des révolutions technologiques, le public apprendra à faire exploser les mythes (cf Nova Spivak à propos de W 2.0) comme des pétards mouillés.
Bonjour,
Les commentaires au billet de Jean-Michel pointent l'abus de l'usage du chinois pour faire dire autre chose. C'est assez fréquent, car nous connaissons peu le
chinois (je veux dire le chercheur moyen) et il est facile de le présenter comme la langue de "l'autre" radicalement différent(e).
Le même débat a eu lieu (et réfuté en son domaine, comme Monique Slodzian l'a fait en linguistique) à propos de la "science chinoise", qui serait synthétique, contre l'approche analytique de l'occident. Si tel était vraiment le cas, on aurait du mal à comprendre la rapidité avec laquelle les chinois se sont installés
et imposés dans les sciences contemporaines.
Je crois en sens inverse que ce qu'il nous faut interroger en miroir, c'est la composante "logique" du web sémantique. Pourquoi penser que la seule représentation possible des connaissances serait celle des "meubles et tiroirs" et
des "relations" de logique du premier ordre qui sont un recyclage des théories et méthodes de "l'intelligence artificielle" des années 80.
Nous ne savons pas comment nous pensons.
Donc nos modèles sont avant tout déterminés par ce que nous savons faire... libre ensuite de "vendre", au dessus de la "technique" mise en oeuvre, de l'idéologie et de l'espérance explicative.
Nous avons déjà vu cela à la fin des années 80 avec le "connexionnisme" (qui va revenir, car le "récit" est assez beau, et donc inspirant pour de nouvelles techniques). Beaucoup de travaux très intéressants (j'ai même essayé avec Bernard Victorri de trouver une représentation connexionniste pour le "tissu documentaire").
Et parmi ceux-ci "Net-talk", un modèle qui permettait à un réseau de neurones "d'apprendre" à lire (synthétiser) un texte écrit. Algorithme à rétroprapagation du gradient, l'apprentissage (mieux associer un ensemble de lettres à un phonème) passait même, selon ses concepteurs (désolé, je n'ai pas les textes sous les yeux, mais si l'histoire intéresse Roger, je retrouverais), par les stades traditionnels de l'apprentissage du langage (le "lallaiement", les mots qui émergent,...). Projection, évidemment. Anthropomorphie.
Ce qui ne condamne pas la technique. Mais qui doit nous mettre en garde quand nous confondons la modélisation pratique, celle qui permet de réaliser (technique) avec la réalité de ce qu'elle représente. La technique est rarement une analogie explicative du fonctionnement réel de notre mental.
Dans le même ordre d'idée, autant je pense qu'il est nécessaire de placer des "descripteurs" pour ranger (classer, archiver, mais aussi rendre disponible, retrouver, apparier,..) les documents, autant croire que la clarté de la transmission de connaissance, quand elle prend le document comme véhicule, est plus grande quand il devient plus facile de trouver ces descripteurs est une extrapolation.
Mieux, je suis convaincu que c'est dans le flou que nous construisons la compréhension de ce que dit l'autre. Nous ré-interprétons, pour retrouver un fil. Plus nous avons de latitude à le faire, et plus nous y arrivons. Ce qui ne retire rien aux langages formels ou à la mathématique, qui sont des jeux pour éprouver nos
représentations en les axiomatisant. La tentative "universalisante" de Bourbaki en étant un modèle achevé. Il y a du plaisir, au sens physique des picotements d'excitation, à jouer avec le formalisme. Mais cela nous dit-il quelque chose sur la transmission ?
Le "triplet" qui est le coeur de RDF est un fantastique moyen d'organiser l'information dans un système social réparti. Pour moi, cela suffit à poursuivre dans la voie du web sémantique...
RDF a besoin d'outils qui justifient (sémantiquement, mais aussi pragmatiquement et surtout "socialement") les pratiques de l'indexation, qu'elle soit "professionnelle" (via les ontologies) ou "sociale" (via les tags et la folksonomie).
Car ce qui fait la force déterminante de RDF, c'est que chacun des élément du triplet (sujet -prédicat - objet) est représenté par un URI... donc au final par un "document". Cela peut paraître rigide en premier abord... mais nous sommes
pourtant proche des autres pratiques sociales.
Le prédicat lui-même est déterminé par le flou du langage. On peut par exemple regarder comment le prédicat "titre" est définit dans le Dublin Core :
<rdf:Property rdf:about="purl.org/dc/elements/1.1/...
<rdfs:label xml:lang="en-US">Title</rdfs:label>
<rdfs:comment xml:lang="en-US">A name given to the resource.</rdfs:comment>
<dc:description xml:lang="en-US">Typically, a Title will be a name by which the resource is formally known.</dc:description>
<rdfs:isDefinedBy rdf:resource="purl.org/dc/elements/1.1/...
<dcterms:issued>1999-07-02</dcterms:issued>
<dcterms:modified>2006-12-04</dcterms:modified>
<dc:type rdf:resource="dublincore.org/usage/docu...
<dcterms:hasVersion rdf:resource="dublincore.org/usage/term...
</rdf:Property>
C'est "logique". Une machine peut lire et vérifier que "dc:title" dans un fichier RDF nous renvoie bien à la "norme sociale" définie dans ce snippet de code : "le titre est le nom par lequel une ressource est en général connue".
Nous voilà bien avancés.... du point de vue de la "logique formelle". Mais nous avançons réellement du point de vue de la construction sociale collective : quand je prends la décision non pas d'attribuer un "titre" à un document, mais un <dc:title>, je signale que je m'inscris dans la structure sociale que les bibliothécaires ont mis en oeuvre pour décrire les documents numériques. C'est donc que je le fais avec le sérieux qui s'accorde avec la volonté d'être respecté par les autres tenants de cette norme sociale.... mes collègues en description
"avancée".
Il convient de ne pas limiter RDF à une "représentation" des connaissances, mais comme un cadre de travail pour faire coordonner les actions des indexeurs avec des normes sociales. Prenez l'exemple des fichiers RSS 1.0 pour ds podcasts (qui utilisent le cadre RDF). On a souvent la description... et la description dans l'espace de nom "itunes", qui permet de rendre le podcast accessible au travers du logiciel d'Apple. En utilisant cet espace de nom, l'extensiblité de RDF, mon podcast marque en fait qu'il s'inscrit dans un réseau social de diffusion.
On n'a pas fini d'exploiter les ressources d'organisation sociale de RDF. Justement par sa capacité à empiler les assertions indépendantes. Ce qui permet de faire cohabiter dans une même représentation (encodée, donc utilisable par une machine) plusieurs approches (normes sociales).
D'autant que RDF, en demandant la représentation de chaque élément du triplet par un URI incite à la construction d'outils coopératifs pour offrir ces référents collectifs. Un fichier des noms d'auteurs (excusez, des "autorités auteurs") coopératif, regroupant les diverses façon de nommer les auteurs (selon les langues, les écritures,...) pour lequel chaque auteur serait un URI "synthétisant" la personne... est une façon pour le réseau des bibliothèques de participer à la construction, dans leur domaine social, du web sémantique. Avec les auteurs, il est évident que je pars du plus simple (des entités objectivables). Avec les descripteurs de matière, c'est plus complexe, car il n'y a pas souvent d'accord sur les termes, et sur la capacité des termes à représenter le concept dans le cas de chaque indexation de document.
Ce que la folksonomie nous apprend, c'est cette variabilité, et pourtant la capacité d'émergence quand de nombreuses personnes interviennent.
La "sagesse des foules" ?
Je doute à chaque fois que je regarde un tag-cloud....
Voir aussi le billet d'Olivier qui pointe plusieurs références en relation avec la question :
affordance.typepad.com/mo...
Je me demande si le regard foucaldien ne nous serait pas encore utile notamment les mots et les choses.
J'avais amorcé quelques réflexions ici sur la tératogénèse documentaire :
www.marsouin.org/IMG/pdf/...
Pour ma part je ne pense pas que le chinois soit une langue plus orientée web social si on y songe au sens collectif et d'intelligence collaborative...démocratique.
Pour ce qui concerne nos langues européennes, il faudrait mener une archéologie de nos règles grammaticales et de ses rapports avec la catégorisation et la raison.