The Register signale (ici, repéré par Ratatium) une étude d'un consultant britannique sur la chute du marché du disque au Royaume-Uni. Extrait (trad JMS) :

Capgemini a calculé que, sur les 480 M de £ perdus par l'industrie depuis 2004, 368 découlaient du changement de format : principalement l'éclatement de l'album CD en une sélection de titres numériques à la carte. Pour le reste, la piraterie concernerait 18% des pertes.

L'étude pointe aussi la responsabilité des supermarchés qui ont cassé les prix. En l'absence de détail sur la méthode de calcul, il faut rester prudent sur ces chiffres et déductions, d'autant que les polémiques, souvent de mauvaise foi, vont bon train on le sait dans ce secteur. On en trouve d'ailleurs un exemple étonnant dans le même billet, qui cite un industriel :

« Ce qui déconnecte le modèle iTunes de la réalité, c'est que, historiquement, ce qui marche pour la propriété intellectuelle ce sont les prix en bloc (bundled price), ce qui ne marche pas c'est la granularité. Croyez-vous que Alan Edgar Poe aurait pu faire de l'argent, s'il avait vendu Le Corbeau séparément de 30 autres poèmes ? »

Le problème dans cette affirmation péremptoire est que Le Corbeau (ici), un des plus célèbres poèmes de la littérature anglophone, a été initialement publié dans un journal, The New York Mirror, où son auteur était critique (wkp). Il est difficile de prétendre qu'il a enrichi son auteur qui est plutôt considéré comme la figure de l'auteur romantique, mort dans la misère..

Néanmoins l'étude pointe une question de structure importante que l'on retrouve dans d'autres domaines, la Presse ou les revues scientifiques et le découpage en articles par exemple, et qui pourrait aussi être une explication de la relative résistance au numérique de l'édition de livres, rétifs à l'éclatement : quelle relation peut-on faire entre constitution des prix et granularité ?

En réalité, il n'y a pas une seule alternative pour la constitution des prix, mais trois options, et toute une gamme de possibilités intermédiaires. Il ne s'agit pas de choisir entre la vente d'albums ou de morceaux pour la musique, de journaux ou d'articles pour la presse ou encore d'abonnements de revues ou d'achats à l'article pour la science, mais entre ces options et une troisième : la rentabilisation de la collection par un ticket d'entrée payé a priori.

Et, pour compliquer encore le tableau, je rappelle que nous sommes dans un secteur de double marché : biens (en direction du lecteur, auditeur) et attention (en direction de l'annonceur).

Le grand changement du numérique est d'avoir transformé radicalement la structure des coûts, dans la distribution, bien sûr, mais aussi, et c'est souvent oublié, dans le traitement du document, et donc la possibilité de le repérer. La baisse des coûts de distribution ouvre la porte à la vente par morceaux, mais celle des coûts de traitement et de repérage ouvre la voie à la rentabilisation des collections. Si on ajoute maintenant la question des coûts de transaction : négociation avec les clients, gestion et sécurisation des flux monétaires, repérages des identités, etc. On se rend compte de l'intérêt de la valorisation de la collection, plutôt que de la multiplicité de micropaiements dans nombre de cas. C'est aussi une des explications de la préférence pour le marché des annonceurs : il y a moins d'acheteurs, donc moins de coûts de transaction.

Ces éléments expliquent, à mon avis, les évolutions récentes de la Presse sur le Net avec l'accès gratuit aux archives du NYT, ou encore les multiples tentatives d'accès direct à des catalogues musicaux. Voilà ce qui fait aussi la fortune de Elsevier dans le secteur de l'édition scientifique. J'ai emprunté le schéma ci-dessous à une intéressante brochure distribuée par Livre-Hebdo à la dernière foire du livre de Francfort (repéré par Bibliofrance).

Le classement 2007 de l’édition mondiale produit par Livres Hebdo (France) et publié en partenariat avec Buchreport (Allemagne), Publishers Weekly (Etats-Unis), Publishing Today (Chine) et Svensk Bokhandel (Suède), Pdf.

On voit donc dans ce schéma, et dans l'ensemble de la brochure, à la fois la réussite des éditeurs scientifiques qui ont investi dans le numérique et la vente de licence pour l'accès direct à d'énormes collections et la résistance des éditeurs de livres traditionnels, pour lesquels le Web n'est sans doute qu'une occasion de développer leur marketing. Pour ces derniers, comme je l'indiquais plus haut, découper un livre traditionnel n'a pas grand sens, dès lors le marché à l'unité est protégé car les prix restent élevés.