Les zoos sociaux
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 22 novembre 2007, 13:44 - Web 2.0 - Lien permanent
Après avoir lu le billet d'Olivier qui se demande si l'homme n'est pas devenu un document depuis qu'il est documentarisé par les réseaux sociaux, je me suis rappelé la réflexion de Suzanne Briet sur l'antilope :
L’antilope qui court dans les plaines d’Afrique ne peut être considérée comme un document… Mais si elle est capturée… et devient un objet d’études, on la considère alors comme un document. Elle devient une preuve physique.
L'antilope devient un document quand elle est dans un zoo, alors qu'elle n'est qu'elle même dans la jungle.. À méditer.
On trouvera une bonne présentation de Suzanne Briet et de son œuvre ici. Son livre Qu'est-ce que la documentation de 1951 est accessible en ligne dans sa version anglaise de Ron Day ici.
Il ne semble plus être accessible en Français (hep, psitt, Pierre, tu as retiré ton exemplaire ?)
Actu du 18 déc 2007 Pour le livre de S. Briet en ligne, voir les commentaires. Pour la suite des réflexions d'Olivier sur le sujet, c'est là.
Commentaires
Flûte, je l'ai oublié dans les cartons du déménagement -- quand @folio a quitté les serveurs de l'université de Strasbourg, fin octobre.
J'ai vu que quelqu'un (un lecteur de ce blog sans doute) avait arrangé une mise en page mi-codex mi-rouleau, à partir de mon exemplaire (attention, il vaut mieux être sur du haut-débit) :
martinetl.free.fr/questce...
Je rétablirai mon exemplaire en ligne dès que possible, et je donnerai son URL ici.
Merci Pierre.
Un peu long à charger, mais superbe.
La question de l'antilope est page 7 et 8.
le quelqu'un, c'est moi. j'avais déjà mis en ligne la version précédente en pdf.
je suis le traducteur, avec ron day.
il y a aussi un nouveau pdf, ici :
martinetl.free.fr/questce...
que j'ai également fabriqué à partir des fichiers de pierre schweitzer, pour qui ne serait pas allergique aux formats propriétaires.
je suis en pourparler avec j-m rauzier, de l'adbs, pour une réédition française, mais les choses traînent. pourtant j'ai l'accord des héritiers.
je dispose de la traduction en français des notes de bas de page que nous avons élaborées avec ron day, et qui sont d'une aide précieuse à la lecture. je dispose également de l'accord de m. buckland pour utiliser sa bibliographie de briet pour cette réédition.
sans nouvelles de l'adbs, je projette de faire une vraie mise en ligne - texte et non pas image - du livre, avec les notes et la biblio. les test d'ocr que j'ai fait sont mauvais et je ne sais pas encore comment récupérer le texte, à moins de le faire resaisir. si l'un de vous à une idée, je suis preneur.
laurent martinet
Une antilope n'est pas plus un document en captivité qu'en liberté, de même qu'elle peut aussi bien être étudiée dans la jungle comme au zoo.
Les traces qu'une personne laisse, les informations qu'elle sème et les documents qu'elle produit, qu'ils soient papiers ou numériques, ne sont pas la personne elle-même; et ils ne resteront toujours que ce qu'ils sont.
Il ne faut pas confondre la pipe et l'image de la pipe...
@ LD
Je crois que la question est plus subtile que vous semblez le penser, même si elle prête à discussion, et je vous suggère de lire le livre de S. Briet.
Pensez vous qu'une pipe dans une vitrine de musée n'est pas un document ? La pipe reste une pipe, mais il est difficile de prétendre qu'elle n'y a pas acquis un statut documentaire. Elle est devenue elle-même une «trace» pour reprendre votre expression dont je ne suis pas sûr qu'elle couvre l'ensemble du phénomène. Tout comme l'antilope dans le zoo représente l'ensemble de ses semblables.
Par surcroit, l'antilope dans le zoo sera documentarisée : repertoriée, présentée sur une fiche, intégrée dans un système d'information. On trouve un bon exemple de ce travail de documentarisation d'objets-documents dans cette vidéo, même si ce n'était pas son objectif premier :
www.dailymotion.com/video...
@ JM Salaun
J’avoue que j’ai été bref dans mon commentaire précédent, alors voici, je m’explique sur les deux points soulevés : à savoir le billet « Zoo sociaux » qui s’interroge sur l’identité remixée de l’être humain et la possibilité de devenir soi-même un document, de un; et sur la nature changeante du statut documentaire des objets, de deux.
Je ne m’attarderai pas longtemps sur le premier point, car je considère l’argumentaire plutôt simpliste : l’être humain a de tout temps laissé des traces (« suite d’empreintes ou de marques que laisse le passage d’un être ou d’un objet » dixit Le Petit Robert) documentaires. Dans le cas d’internet, on peut alors parler d’ombre électronique, mais le fait que ces documents soient papiers ou électroniques n’y change rien : l’être humain n’est pas plus un document aujourd’hui qu’hier, simplement par le fait qu’il est maintenant plus rapide de colliger les « informations consignées » le concernant…
Quant au deuxième point, je soutiens effectivement qu’une pipe dans une vitrine de musée ou une antilope dans un zoo ne sont pas des documents. Si on se réfère à la définition usuelle de document, soit « un support ou est consigné de l’information », nous ne pouvons accepter la pipe dans le musée, ou l’antilope au zoo à titre de documents : ils seront des objets, des artefacts, ou des spécimens, mais pas des documents. Ils seront documentarisés, mais ne se transformeront pas eux-mêmes en documents. Il y a une nuance importante à faire ici. Les concepts auxquels ces mots (documents, artefacts, spécimens, objets) référent sont bien distincts, malgré une certaine proximité intellectuelle.
En ce sens, l’exemple de S. Briet me semble fautif : une antilope pourrait devenir « document » seulement parce que je la possède physiquement? Et l’étoile, parce qu’elle est trop grosse, non? Devrions-nous ajouter une notion de taille physique ou de droit de possession à la définition de Document?
Mon analogie de la pipe faisait référence à La trahison des images de Magritte, où l’artiste explore le rapport et la distinction à faire entre la pipe et son image, entre l’objet et ce qui le documente. La vidéo que vous me suggérez illustre mon propos merveilleusement : ne s’agit-il pas pour les enfants de documentER leurs objets, et non de transformer leur objet en document?
L’antilope sera tour à tour objet d’étude, spécimen, artefact, mais jamais document. Je peux la classifier, la cataloguer, la décrire, la photographier, la modéliser en 3D, la documenter ad nauseam, mais tout ceci n’en fera pas un document, pas plus que la pipe ou l’étoile; la distinction demeure et demeurera toujours.
@ LD
Je pense que l'on peut discuter la proposition de S. Briet, mais pas comme vous le présentez.
Ce qui selon elle, donne le statut documentaire à l'antilope dans un zoo, n'est pas qu'elle soit enfermée, mais qu'elle fasse fonction de preuve. Ainsi elle peut être en effet cataloguée (c'est à dire documentarisée, comme tout document). De même selon toujours cette proposition, ce ne sont pas les traces qui constituent des documents, mais la possibilité de prouver une réalité à partir d'artefact. Ainsi les objets d'un musée sont des documents.
Mon clin d'œil sur les réseaux sociaux voulait simplement faire remarquer que si l'on suit O Ertzscheid qui considère que ces derniers assimilent les individus à des documents, et que, de plus, l'on inverse la proposition de S. Briet, alors il faut admettre que les dits réseaux s'apparentent à des zoos d'humains. Ce n'est qu'un clin d'œil et un sophisme, quoique.. ;-)
Maintenant, on peut refuser cette caractéristique de preuve aux documents, mais alors effectivement toute trace devient un document, ce qui nous emmène très loin dans l'explosion documentaire..
Bonjour, et merci pour cet eclairage original sur les reseaux sociaux ;)
Bien que *tres* ancienne eleve de l'INTD, je n'avais pas entendu parler de Madame Documentation jusqu'a la publication d'un post de danah boyd sur son blog. Shame on me! Je viens donc seulement de decouvrir le travail de Laurent Martinet, et al.
En fait, j'ai meme d'abord lu "What's documentation?" en anglais... ;(
Sur mon blogue j'ai mis une note a propos de Suzanne Briet, inspiree de votre billet, de celui de danah, et d'Olivier. Merci a tous.